• Scène 1 : le jour suivant le soir où Bella est allé voir le film sur les zombies avec Jessica :

         Phoenix me manquait toujours, en de rares occasions, quand quelque chose m'embêtait. Maintenant, par exemple, alors que je me dirigeais vers la Banque Fédérale de Forks pour y déposer mon salaire.      Que n’aurais-je pas donné pour utiliser un distributeur de billets pour les voitures. Ou pour au moins avoir un inconnu derrière son bureau.
         - Bonjour, Bella, me salua la mère de Jessica.
         - Bonjour, Madame Stanley.
         - C'est bien que tu soies sortie avec Jessica hier soir. Ca faisait bien longtemps.
         Elle me faisait la conversation, souriant pour paraître plus amicale. Quelque chose dans mon expression devait être mort, parce que tout d'un coup le sourire se figea, et elle se tordait nerveusement les mains, alors qu’une minute plus tôt elles étaient croisées; ses cheveux étaient aussi bouclés que ceux de Jessica et arrangés en de vaporeuses boucles souples.
         Je lui souris aussi, réalisant que je le faisais quelques secondes trop tard. Mes reflexes étaient rouillés.
         - Oui, dis-je d'une voix que j’espérais sociable. J'ai été très occupée, vous savez. Le lycée... le travail...
        Je fis un effort pour trouver quelque chose à rajouter dans ma courte liste, mais j'eus un blanc.
         - Bien sûr, elle souriait plus chaleureusement, certainement ravie que ma réponse semble tout à fait normale et bien équilibrée.
         Soudain il m'apparut que je ne pourrai pas sourire quand je connaîtrais ce qui se cachait derrière son sourire. Qui sait ce que Jessica était allée lui raconter pour hier soir. Quoi que cela puisse être, ce ne serait absolument pas fondé. J'étais la fille de l'ex épouse excentrique de Charlie - la folie devait être héréditaire. Ancien membre du groupe de monstres de la ville ; je laissai tomber cette idée rapidement en tressaillant. Récente victime d'un coma éveillé. J'estimai qu'il y avait assez de bonnes raisons pour justifier ma folie, sans parler des voix que j'entendais maintenant, et je me demandais si Mme Stanley était réellement en train de penser ça.
         Elle dû voir ma réflexion dans mes yeux. Elle détourna rapidement les yeux, vers la fenêtre derrière moi.
        - Le travail répétai-je, attirant son attention en posant mon chèque sur le comptoir. C'est la raison pour laquelle je suis là, bien sûr.
         Elle sourit à nouveau. Son rouge à lèvres se fendillait à mesure que la journée avançait, et il était clair qu'elle s'était redessiné des lèvres plus pleines qu'elles ne l'étaient à l'origine.
         - Comment vont les choses chez les Newton? me demanda-t-elle brièvement.
         - Bien, la saison s'annonce bonne, répondis-je automatiquement, en pensant qu'elle passait près du  parking de la Quincaillerie d'Olympique plusieurs fois par jour et qu'elle avait dû voir des voitures peu familières.
         Elle devait connaître les fluctuations du commerce de la randonnée mieux que moi.
         Elle acquiesça d'un air absent alors qu'elle pianotait sur le clavier de l'ordinateur en face d'elle. Mes yeux déambulèrent sur le comptoir marron foncé avec ses lignes d'un orange chatoyant, très années soixante-dix, qui décoraient les bords. Un gris plus neutre s'étendait sur les murs et la moquette, le comptoir restait l'élément de décor original du bâtiment.
         - Humm.
         Le murmure de Mme Stanley était beaucoup plus aigu que d'ordinaire. Je jetai un coup d'œil, seulement à moitié intéressée, et espérai que c'était une araignée sur le bureau, qui l'avait effrayée.
         Ses yeux étaient rivés sur l'écran de l'ordinateur. Maintenant, ses doigts étaient inactifs, elle était surprise et mal à l'aise. J'attendais, mais elle ne dit rien d'autre.
         - Il y a un problème ?
         Les Newton m’avaient-ils fait un chèque sans provision?
         - Non, non, bredouilla-t-elle rapidement, me regardant avec une étrange lueur dans les yeux.
         Elle semblait réprimer une quelconque excitation. Elle me rappelait Jessica, quand elle avait un nouveau potin qu'elle ne pouvait pas s'empêcher de partager.
         - Est-ce que tu veux que je t'imprime ton solde ? me demanda Mme Stanley avec impatience.
         Ce n'était pas dans mes habitudes - mon pécule croissait si lentement et si invariablement qu'il n'était pas difficile de faire le calcul de tête. Mais son changement de ton m'intrigua. Qu'y avait-il sur l'écran qui la fascinait ?
         - Oui, approuvai-je.
         Elle appuya sur une touche et un petit document sortit rapidement de l'imprimante.
         - Et voilà.
         Elle tira le papier avec tellement de précipitation qu'elle le déchira en deux.
         - Oups, je suis vraiment désolée.
         Elle s’agitait à son bureau, sans jamais croiser mon regard curieux, jusqu'à ce qu'elle trouve un rouleau de ruban adhésif. Elle scotcha les deux morceaux de papiers et me le tendit brusquement.
         - Heu, merci, grommelai-je.
         Le papier en main, je me tournai et allai vers la porte, y jetant un rapide coup d'œil pour voir quel était le problème de Mme Stanley.
         Je pensais que mon compte allait être en hausse d'environ mille cinq cent trente-cinq dollars. Je me trompais. Il n’y avait pas trente-cinq dollars, mais trente-six cinquante.
         Et il y avait aussi un bonus de vingt mille.
         Je me figeai sur place, essayant de comprendre les chiffres. Mon compte avait été augmenté de vingt mille dollars avant mon dépôt d'aujourd'hui, qui avait bien été ajouté.
         Pendant un bref instant je pensai à fermer mon compte immédiatement. Mais après avoir soupiré, je retournai vers le comptoir où Mme Stanley m'attendait gaiement, une lueur d’intérêt brillant dans ses yeux.
         - Il y a dû avoir une erreur avec l’ordinateur, Mme Stanley, lui dis-je en lui rendant le morceau de papier. Il devrait y avoir mille cinq cent trente six dollars cinquante.
         Elle sourit avec un air de conspiratrice.
         - Je savais que c’était un peu étrange.
         - Ça ne serait possible que dans mes rêves,
     ris-je aussi.
         Parler aussi normalement m’impressionnait.
         Elle tapait vivement.
         - Je vois d’où vient le problème … Il y a trois semaines il y a eu un dépôt de vingt mille dollars de … humm, il semblerait que ce soit une autre banque. Je suppose que quelqu’un n’a pas pris les bons numéros de compte.
         - Qu’est ce que je risque si je solde mon compte ? la taquinai-je.
         Elle gloussa distraitement tout en continuant à taper.
         - Humm, dit-elle à nouveau, trois rides profondes plissant son front. Il semblerait que ce transfert soit un virement. Nous n’en avons pas beaucoup de ce genre-là. Tu sais quoi ? Je vais demander à Mme Gérandy de jeter un coup d’œil…
         Sa voix s'estompa comme elle se détourna de l'ordinateur, et elle tendit le cou pour regarder par la porte ouverte derrière elle.
         - Charlotte, es-tu occupée ? demanda-t-elle.
         Pas de réponse. Mme Stanley n'attendit pas la réponse, et passa rapidement par la porte derrière elle pour entrer dans ce qui devait être les bureaux.
    Je scrutai la porte pendant une minute, mais elle ne réapparut pas. Je me tournai et contemplai distraitement par la fenêtre la pluie ruisseler sur la vitre. Elle dégoulinait en ruisseaux irréguliers, et elle tombait parfois en biais à cause du vent. L'attente m'évitait de remarquer les minutes s'écouler. J'essayais de laisser mon esprit vagabonder, ne pensant à rien, mais je n'avais pas l'air de revenir à cet état de semi-coma.
         Finalement, j'entendis à nouveau des voix derrière moi. Je me tournai pour voir Mme Stanley et la femme du Dr Gérandy entrer dans la pièce avec le même sourire poli sur leur visage.
         - Désolée pour tout ça, Bella, dit Mme Gérandy, je devrais pouvoir éclaircir ceci avec un petit coup de fil. Tu peux attendre si tu veux.
         Elle désigna une rangée de chaises en bois contre le mur. Elles avaient l'air d'appartenir à la salle à manger de quelqu'un.
         - Ok, approuvai-je.
         Je me dirigeai vers les chaises et m'assis en plein milieu de la rangée, souhaitant subitement avoir un livre. Je n'avais rien lu depuis un moment, excepté pour le lycée. Et quand par hasard, certaines histoires d'amour ridicules faisaient partie du programme d'études, je trichais en utilisant un guide de notes. J'étais soulagée d'étudier La Ferme des Animaux désormais. Pourtant, il y avait bien d'autres bons livres. Les thrillers politiques. Les meurtres non élucidés. Les meurtres macabres ne posaient aucun problème, tant que l'intrigue secondaire n'était pas fleur bleue et romantique.
         L’affaire s’éternisa et je commençai à m’énerver. J'en avais assez de l'ennuyeuse pièce grise, sans une seule image pour rehausser les murs vides. Je ne pouvais qu'observer Mme Stanley brasser une pile de papiers et faire une pause de temps en temps pour entrer quelque chose dans l'ordinateur - elle leva les yeux vers moi une fois, et quand elle croisa mon regard, elle semblait mal à l'aise et fit tomber un dossier. Je pouvais entendre la voix de Mme Gérandy, un murmure à peine audible filtrant de la pièce du fond, mais il n'était pas difficile de comprendre qu'elle avait menti sur la longueur de l'appel. C’était si long que l'on pouvait s'attendre à ce que mon esprit sombre, et si ça ne se terminait pas très vite, je ne pourrais plus rien faire. Je devais réfléchir. Je paniquai légèrement, essayant de trouver un sujet décent auquel je pourrais penser.
         Le retour de Mme Gérandy me sauva. Je lui souris avec gratitude, alors qu'elle passait la tête par la porte, ses épais cheveux blancs attirant mon regard pour la première fois.
         - Bella, voudrais-tu bien venir? demanda-t-elle, et je réalisai qu'elle avait le téléphone contre son oreille.
         - Bien sûr, marmonnai-je alors qu'elle disparaissait.
         Mme Stanley dut ouvrir le portillon au bout du comptoir pour me laisser entrer. Elle sourit distraitement, elle ne croisait toujours pas mon regard. J'étais absolument certaine qu'elle était en train d'envisager un moyen d'écouter aux portes.
         Je songeai à quelques solutions possibles alors que je me hâtais d'aller vers le bureau. Quelqu'un avait blanchi de l'argent avec mon compte. Ou peut-être que Charlie touchait des pots-de-vin et j'étais sa couverture. Qui avait assez d'argent pour soudoyer Charlie, après tout ? Peut-être que Charlie appartenait à la pègre, touchait des pots-de-vin et utilisait mon compte pour blanchir de l'argent. Non, je ne pouvais pas imaginer Charlie dans la pègre. C'était peut-être Phil. Connaissais-je bien Phil, après tout ?
         Mme Gérandy était toujours au téléphone, et elle me montra du menton une chaise pliante en métal devant son bureau. Elle griffonnait précipitamment quelque chose au bas d'une enveloppe. Je m’assis en me demandant si Phil avait un sinistre passé, et si j'allais finir en prison.
         - Merci, oui. Et bien, je pense que ce sera tout. Oui, oui. Merci beaucoup pour votre aide.
         Mme Gérandy adressa un sourire inutile à son interlocuteur avant de raccrocher. Elle n'avait pas l'air en colère ni même menaçante. Plutôt excitée et confuse. Cela me rappela Mme Stanley dans le couloir. Pendant une seconde je caressai l'idée de franchir la porte d'un bond et de l'effrayer.
         Mais Mme Gérandy se mit à parler.
         - Et bien, je pense que j'ai une excellente nouvelle pour toi ... bien que je ne puisse pas imaginer que tu n'aies pas été informée de ça.
         Elle me fixait d'un air grave, comme si elle attendait que je me tape le front en disant "Oh, ces vingt mille dollars LÀ ! Ça m'était complètement sorti de la tête !"
          - Bonnes nouvelles ? la poussai-je.
         Ces mots devaient signifier que ce problème était trop compliqué pour qu'elle puisse le résoudre et qu'elle avait l'impression que j'étais plus riche que nous le pensions il y a quelques minutes.
         - Bon, si tu ne sais vraiment pas... alors toutes mes félicitations. On t'a accordé une bourse d'étude de... (Elle regarda ses notes.) la Pacific Northwest Trust.
         - Une bourse ? répétai-je incrédule.
         - Oui, n'est-ce pas excitant ? Mon Dieu, tu peux aller à l'université de ton choix.
        C'est à cet instant précis, alors qu'elle s'extasiait joyeusement sur ma bonne fortune, que je sus exactement d'où venait l'argent. En dépit d'un soudain élan de colère, d'émotion, d'humiliation et de souffrance, j'essayai de parler calmement.
         - Une bourse de vingt mille dollars qui a été virée en liquide sur mon compte, remarquai-je. Au lieu de la verser à l'école. Sans même avoir la certitude que je m'en servirai pour l'université.
         Ma réaction l'énerva. J'avais l'impression de l'avoir offensée par mes paroles.
         - Il serait vraiment imprudent de ne pas utiliser cette argent pour ce à quoi il est destiné, ma chère Bella. C'est le genre de chance qu'on n'a qu'une fois dans sa vie.
         - Bien sûr, dis-je aigrement. Et, est-ce que cette Pacific Northwest Trust a expliqué pourquoi elle m'avait choisie ?
         Elle regarda ses notes une fois de plus, mon ton lui faisant légèrement froncer les sourcils.
         - C'est vraiment un honneur - ils ne décernent pas une bourse comme celle-là tous les ans.
         - Ça, j'en mettrais ma main à couper.

         Elle me jeta un coup d'œil et regarda ailleurs promptement.
         - La banque à Seattle qui dirige la transaction m'a renvoyée vers l'homme qui gère l'allocation des bourses. Il a dit que la bourse est attribuée sur la base du mérite, le sexe de la personne et le lieu. Ça concerne les étudiantes dans les petites villes qui n'ont pas l'opportunité d'une ville plus grande.
         Il semblait que ce quelqu'un se trouvait drôle.
         - Mérite ? répondis-je avec désapprobation. J'ai une moyenne de 17. Je peux vous citer trois filles à Forks qui ont de meilleurs résultats que moi, et l'une d'elles est Jessica. Par ailleurs - je n'ai jamais fait de demande de bourse.
         Elle était vraiment énervée maintenant, prenant son stylo et le reposant encore, attrapant le pendentif qu'elle portait entre le pouce et l'index. Elle parcourut ses notes à nouveau.
         - Il n'a pas évoqué ça... 
         Elle baissa les yeux vers l'enveloppe, elle n'était pas certaine de savoir comment réagir face à mon comportement.
         - Ils n'acceptent pas les demandes. Ils vérifient les demandes rejetées pour d'autres bourses et ils choisissent les étudiants qu'ils estiment avoir été injustement oubliés. Ils ont eu ton nom sur une demande de bourse que tu as envoyé pour une demande d'aide financière pour l'Université de Washington.
         Je sentis les coins de ma bouche s'affaisser. Je ne savais pas que ma demande avait été rejetée. C'était quelque chose que j'avais rempli il y a longtemps, bien avant...
         Et je n'avais pas pensé à d'autres alternatives, bien que les dates limites fussent dépassées. Je n'arrivais pas à me concentrer sur mon futur. Mais l'Université de Washington était le seul lieu où je serais assez près de Charlie et de Forks.
         - Comment reçoivent-ils les demandes rejetées ? demandais-je d'une voix plate.
         - Je n'en suis pas sûre, ma chère.
         Mme Gérandy n'était pas contente. Elle s'attendait à de l'excitation et elle avait trouvé de l'hostilité. J'aurais souhaité lui expliquer que ma réaction négative n'était pas dirigée contre elle.
         - Mais l'administrateur m'a laissé son numéro au cas où j'aurais d'autres questions - tu pourrais l'appeler toi-même. Je suis sûre qu'il arrivera à te convaincre que cet argent est bien pour toi.
         Je n'avais aucun doute là-dessus.
         - J'aimerais avoir le numéro.
         Elle écrivit rapidement sur un petit bout de papier déchiré. Je me mis en tête d'envoyer anonymement un bloc de post-it à la banque.
         C'était un appel longue distance.
         - Je suppose qu'il n'a pas laissé une adresse e-mail ? demandai-je sans grande conviction.
         Je ne voulais pas faire grimper la facture de Charlie.
         - En fait, si.
         Elle souriait, contente d'avoir quelque chose que je voulais. Elle se pencha par dessus le bureau pour écrire une autre ligne sur mon bout de papier.
          - Merci. Je vais le contacter dès que je serai rentrée chez moi.
         Ma bouche formait une ligne dure.
          - Ma chérie, dit Mme Gérandy hésitante. Tu devrais être heureuse pour tout ça. C'est une grande opportunité.
          - Je ne vais pas prendre vingt mille dollars que je n'ai pas mérités,
     répliquai-je en essayant de cacher le dégoût dans ma voix.
          Elle se mordit la lèvre et baissa les yeux à nouveau. Elle aussi pensait que j'étais folle. Et bien, j'allais le lui faire dire à haute voix.
          - Quoi ? demandais-je.
          - Bella... elle s'arrêta et attendit, les dents serrées. C'est beaucoup plus que vingt mille dollars.
          - Excusez-moi ?
          J'étais choquée.
          - Plus ?
          - En fait, le paiement initial est juste de vingt mille. À partir de maintenant, tu recevras cinq mille dollars tous les mois jusqu'à la fin du lycée. Si tu t'inscris à l'université, la bourse continuera à être versée.

         En me disant ça, elle était à nouveau excitée.
          Dans un premier temps je n'arrivais plus à parler, j'étais trop furieuse. Cinq mille dollars par mois pendant une durée indéterminée. J'aurais voulu casser quelque chose.
          - Comment ? réussi-je à lâcher.
          - Je ne comprends pas ce que tu veux dire.
          - Comment vais-je recevoir cinq mille dollars par mois?
          - Ça sera viré sur ton compte,
     répondit-elle, perplexe.
          Il y eut un bref instant de silence.
          - Je vais clôturer mon compte maintenant, dis-je d'une voix blanche.
          Il me fallut quinze minutes pour la convaincre que j'étais sérieuse. Elle finit par me dire que mes raisons, quelles qu'elles fussent, n'étaient pas bonnes. Je discutai avec entêtement, jusqu’à ce qu'il me vienne à l'esprit qu'elle se faisait du souci pour me donner les vingt mille dollars. Est-ce qu'ils disposaient d'une telle somme?
          - Attendez, Mme Gérandy, la rassurai-je. Je veux juste retirer mes mille cinq cents dollars. J'apprécierais vraiment si vous pouviez renvoyer le reste de l'argent d'où il vient. Je vais m'arranger avec ce... 'Je vérifiai le papier.) monsieur Isaac Randall. C'est vraiment une erreur.
          Elle sembla se détendre.
          Environs vingt minutes plus tard, avec une liasse de mille cinq cent dollars, un billet de vingt, un de dix, un de cinq, un de un et cinquante cents en poche, je m'enfuyais de la banque avec soulagement. Mme Stanley et Mme Gérandy se tenaient debout près du comptoir, me regardant avec de grands yeux.


    Scène deux : la même soirée après avoir acheté les motos, et après avoir rendu visite à Jacob la première fois…

         Je refermai la porte derrière moi, et je sortis mon argent pour l’université de ma poche. Ça semblait bien modeste dans la paume de ma main.  Je le mis au fond d’une chaussette immettable et la rangeai au fond d’un tiroir avec mes sous-vêtements. Ce n’était sûrement pas le lieu le plus original pour cacher quelque chose, mais je m’occuperais de trouver une cachette de plus inventif plus tard.
          Dans mon autre poche, il y avait le petit morceau de papier avec le numéro de téléphone et l’adresse e-mail d’Isaac Randall. Je le pris et le posai sur le clavier de mon ordinateur, ensuite j’appuyai sur le bouton, tapant impatiemment du pied pendant que l’écran s’éclairait.
         Quand je fus connectée, j’ouvris ma messagerie.  Je dus patienter, car il me fallut fermer une montagne de fenêtres de pubs qui avaient inondé ma boîte mail durant les quelques jours depuis que j’avais écris à Renée. J’en finis avec ce travail laborieux, puis je pus ouvrir une page vierge pour écrire un message.
          L’adresse e-mail indiquait « irandall », donc je supposai que j’allais être dirigée vers la personne concernée.
         
          Cher Monsieur Randall, écrivis-je,
          J’espère que vous vous souvenez de la conversation que vous avez eue cet après-midi avec Mme Gérandy de la Banque Fédérale de Forks. Mon nom est Isabella Swan et apparemment, il s’avère qu’il m’a été attribué  une très généreuse bourse scolaire de la Pacific Northwest Trust Company.
         Je suis navrée, mais je ne peux pas accepter cette bourse. J’ai déjà demandé que l’argent soit renvoyé sur le compte d’où il  venait, et clôturé mon propre compte à la Banque Fédérale de Forks. S’il vous plaît, veuillez attribuer cette bourse à une autre candidate.
         Merci. I. Swan.


         Il me fallut plusieurs essais pour que cela sonne bien – formel et explicite. Je le relus deux fois avant de l’envoyer. Je n’étais pas tout à fait certaine des instructions que Mr Randall avait reçues à propos de cette fausse bourse, mais je ne voyais aucune alternative à ma réponse.


    Scène trois : quelques semaines plus tard, juste avant le « rendez-vous » de Bella et Jacob avec les motos…

         En rentrant, je pris le courrier sur le chemin. J’écartai rapidement les factures et les pubs, jusqu’à ce que je trouve la lettre pratiquement à la fin de la pile.
          C’était une enveloppe administrative normale qui m’était adressée – mon nom était manuscrit, ce qui était inhabituel. Je regardai l’adresse de l’expéditeur avec intérêt.
         Intérêt qui se transforma rapidement en une nausée nerveuse. La lettre venait de la Pacific Northwest Trust, Bureau d’Attribution des Bourses. Il n’y avait pas de rue sous le nom.
          C’était sûrement juste une confirmation de mon refus, me dis-je. Il n’y avait aucune raison pour que je sois nerveuse. Aucune raison du tout, bien qu’un seul petit détail pourrait me renvoyer en bas de la spirale de zombieland. Seulement ça.
          Je déposai le reste du courrier sur la table pour Charlie, ramassai mes livres qui gisaient sur le sol du salon et me précipitai dans les escaliers. Une fois dans ma chambre, je verrouillai la porte et déchirai l’enveloppe. Je ne devais pas oublier que je devais rester en colère. La colère, c’était la solution.

         Chère Melle Swan,
          Permettez-moi de vous féliciter officiellement pour l’attribution de la prestigieuse bourse J. Nicholls de la Pacific Northwest Trust. Cette bourse n’est attribuée que rarement, et vous devez être fière de savoir que le Comité d’Attribution ayant retenu votre nom a fait l’unanimité pour cet honneur.
         Il y a eu quelques petites difficultés dans le versement de votre bourse, mais je vous prie de ne pas vous sentir concernée. J’ai pris sur moi de vous éviter tout désagrément. Vous trouverez ci-joint un chèque d’un montant de vingt-cinq mille dollars ; le versement initial plus le premier mois de l’allocation.
         Encore une fois je me permets de vous adresser mes félicitations pour votre bourse. Veuillez accepter tous les vœux de la Pacific Northwest Trust pour votre scolarité.
         Cordialement, I. Randall


         Pour ce qui était d'être en colère, il n'y avait aucun problème.
          Je regardai dans l'enveloppe, et bien entendu, il y avait le chèque à l'intérieur.
          - Qui sont ces gens? grognai-je les dents serrées, écrasant la lettre, d'une main, en une boule bien serrée.
          J'avançai furieusement vers ma poubelle, pour y dénicher le numéro de téléphone de Mr Randall. Peu importe que ce soit un appel longue distance, ce sera une conversation très courte.
          - C'est pas vrai ! sifflai-je. La poubelle était vide. Charlie avait jeté les ordures.
          Je jetai l'enveloppe avec le chèque sur le lit et défroissai la lettre. C'était un papier à entête, en haut duquel était inscrit en vert foncé Pacific Northwest Bureau d'Attribution des Bourses, mais il n'y avait aucune autre information, ni adresse, ni numéro de téléphone.
          - Bon sang.
          Je m’assis sur le rebord de mon lit et essayai de réfléchir calmement. Apparemment, ils avaient décidé de m'ignorer. J'avais pourtant été très claire, ce n'était donc pas un problème de compréhension. Ça ne ferait probablement aucune différence si je téléphonais.
          Il n'y avait donc qu'une seule chose à faire.
          Je chiffonnai de nouveau la lettre, détruisis l'enveloppe ainsi que le chèque, et dévalai les escaliers.
         Charlie était au salon, le volume de la télé fort.
         Je me dirigeai vers l'évier de la cuisine, et jetai les boules de papier à l'intérieur. Ensuite, je farfouillai dans notre tiroir à bazar jusqu'à ce que je trouve une boîte d'allumettes. J'en allumai une, et l'insérai délicatement dans un des trous du papier. J'en allumai une autre, et fis de même. J'avais l'intention d'en allumer une troisième, mais le papier avait brûlé avec enthousiasme, ce n'était donc vraiment pas nécessaire.
          - Bella ?
         La voix de Charlie couvrait le son de la télé.
         J'ouvrai rapidement le robinet, ressentant un sentiment d'intense satisfaction alors que la force du jet réduisait le brasier en une espèce de pâte de cendre plate et gluante.
          - Oui, Papa ? je remis les allumettes dans le tiroir et le fermai rapidement.
          - Tu ne sens pas de la fumée ?
          - Non, Papa.
          - Mmmm.

          Je rinçai l'évier, pour être certaine que toutes les cendres finiraient dans le tuyau d'évacuation, et allumai le broyeur par prudence.
          Je retournai dans ma chambre, quelque peu apaisée. Ils pourraient m'envoyer tous les chèques qu'ils voulaient, pensai-je gravement. Quand je manquerais d'allumettes, je pourrais toujours en racheter.


    Scène quatre : pendant la période où Jacob l'évitait…

         Il y avait un colis sur le pas de la porte. Je le ramassai avec curiosité, m'attendant à un retour de courrier de Floride, mais il venait de Seattle. Il n'y avait aucun nom  d'expéditeur inscrit sur le côté du carton.
         C'était à moi qu'il était adressé, pas à Charlie, je le posai donc sur la table et déchirai l'étiquette du carton pour l'ouvrir.
          À peine avais-je vu le logo vert foncé de la Pacific Northwest Trust que je sentis ma gastro-entérite revenir. Je m'affalai sur la chaise la plus proche sans un regard pour la lettre, ma colère grandissant lentement.
          Je ne pouvais pas me résoudre à la lire, même si ça n'avait pas été long. Je la sortis du carton, la posai en la retournant sur la table, et jetai à contrecœur un autre coup d'œil dans le carton pour voir ce qu'il y avait dedans. C'était une enveloppe bombée. J'avais peur de l'ouvrir, mais j'étais malgré tout assez en colère pour l'arracher au carton.
         Mes lèvres formaient une ligne dure alors que je l’ouvrais sans prendre la peine d'utiliser l'ouverture. J'avais déjà assez à faire maintenant. Réminiscences et provocation étaient vraiment les dernières choses dont j'avais besoin.
          Je fus choquée, mais cependant pas surprise. Qu'est-ce que ça aurait pu être d'autre à part ça - trois grosses liasses de billets, attachées proprement par de larges bandes. Je n'avais pas besoin de regarder les coupures. Je savais exactement combien ils me forçaient à accepter. C'était trente mille dollars.
          Tout en me levant, je soulevai précautionneusement l'enveloppe, puis me retournai et la laissai tomber dans l'évier. Les allumettes étaient au fond du tiroir à bazar, exactement là où je les avais laissées la dernière fois. J'en pris une et l'allumai.
          La flamme s'approchait de plus en plus près de mes doigts alors que je fixais l'horrible enveloppe. Je ne parvenais pas à la lâcher. J'éteignis l'allumette avant de me brûler. Une grimace de dégoût se dessina sur mon visage.
          Je saisis la lettre de la table, en fis une boule et la balançai dans l’autre bac de l’évier. Je grattai une autre allumette et la glissai entre les papiers, et je regardai le tout brûler avec une amère satisfaction. Un simple échauffement. Je m’emparai d’une autre allumette. Encore une fois, la tenant, elle se consumait, au-dessus de l’enveloppe. Encore une fois, je me brûlai presque les doigts avant de la jeter dans  les cendres de la lettre. Je ne pouvais pas me résoudre à brûler trente mille dollars.
          Qu’allais-je donc faire de ça ? Il n’y avait pas d’adresse où les renvoyer – j’étais pratiquement sûre que la société n’existait pas réellement.
         Puis il me vint à l’esprit que, si, j’avais une adresse.
         Je fourrai à nouveau l’argent dans le carton, arrachant l’étiquette portant mon nom, comme ça si quelqu’un d’autre le trouvait, il serait impossible de faire le rapprochement avec moi. J’allai vers ma camionnette, râlant stupidement tous le long du trajet. Je me promis d’être particulièrement téméraire avec ma moto cette semaine.
          Je ferais quelques cascades s’il le fallait.
          Je haïs chaque centimètre de la route alors que je m’enfonçais dans les arbres sombres, serrant les dents à en avoir mal aux mâchoires. Mes cauchemars seraient violents ce soir – je ne demandais que ça. Des fougères remplacèrent les arbres, je roulai rageusement dessus, laissant deux traces de pneus derrière moi. Je m’arrêtai devant les escaliers du porche, les gravis impassiblement.
          La maison était toujours dans le même état, tristement vide, morte. Je savais que je projetais mes propres émotions en son apparence, mais ça ne changeait en rien la façon dont je la voyais. En prenant soin de ne pas regarder par les fenêtres, je marchai vers la porte d’entrée. Je souhaitai désespérément être un zombie un instant de plus, mais ma léthargie avait pris fin.
          Je posai minutieusement le carton sur le palier de la maison abandonnée, et m’en allai.
          Je m’arrêtai en haut de la première marche. Je ne pouvais quand même pas laisser un tas de billets devant la porte d’entrée. C’était presque aussi mal que de les brûler.
          Avec un soupir, baissant les yeux, je fis demi-tour et ramassai le carton injurieux. Peut-être pourrais-je en faire don anonymement à une œuvre de charité. Une œuvre de bienfaisance pour les gens atteints de maladie du sang, ou quelque chose comme ça.
         Mais je secouai la tête en retournant vers la camionnette. C'était son argent, et bon sang, il allait le garder. Si on lui volait sous son porche, ça serait de sa faute, pas de la mienne.
         Ma fenêtre était ouverte, et au lieu de descendre de ma camionnette, je lançai simplement le carton aussi fort que possible vers la porte d'entrée.
          Je n'avais jamais su viser, et le carton brisa bruyamment la baie vitrée, laissant un trou si gros qu'on aurait dit que j'avais envoyé une machine à laver.
          - Oh, c'est pas vrai ! soupirai-je tout haut, couvrant mon visage avec mes mains.
          Ce que j'avais fait n'avait aucune importance, je le savais, je rendais juste les choses encore plus difficiles.
          Heureusement, ma colère reprit le dessus. C'était de sa faute, me répétai-je. Je lui rendais simplement ce qui lui appartenait. S'il devait faire cette réparation, ça serait son problème.
          Par ailleurs, le bruit du verre brisé était plutôt agréable - je me sentais un peu mieux, d'une façon perverse.
          Je n’étais pas vraiment convaincue, mais je démarrai la camionnette, passai une vitesse et m'en allai. C'était si proche que je pouvais revenir prendre l'argent où il reposait. Et maintenant, j'avais un endroit approprié pour laisser le colis du mois prochain.
          C'était le mieux que je pouvais faire.
          J'y repensai, une demi-heure plus tard quand je fus à la maison. Je me dirigeai vers l'annuaire pour chercher un vitrier, mais il n'y avait aucun témoin qui puisse m'aider. Comment allais-je justifier l'adresse ?  Est-ce que Charlie devrait m'arrêter pour vandalisme ?


    Scène cinq : la première nuit où Alice est revenue après qu'elle aie vu Bella "se suicider"...
          - Jasper n'a pas voulu t'accompagner ?
          - Il n'approuvait pas que j'intervienne.

          Je reniflai.
          - Tu n'es pas la seule.
          Elle se raidit, puis se détendit.
          - Est-ce que ça a un rapport avec le trou dans la baie vitrée de ma maison et le carton rempli de billets de mille dollars sur le sol du salon?
          - Assurément, dis-je avec colère. Désolée pour la fenêtre. C'était un accident.
          - C'est souvent le cas avec toi. Qu'a-t-il fait ?
          - Quelque chose appelé la Pacific Northwest Trust m'a attribué une très étrange et très persistante bourse d'étude. Ce n'était rien de plus qu'une couverture. Je veux dire, je pense qu'il ne voulait pas que je sache que c'était lui, mais j'espère qu'il n'imaginait pas que je serais aussi stupide.
          - Et bien, quel gros tricheur,
     murmura Alice.
          - Exactement.
          - Et il me disait de ne pas t'épier.

          Elle secoua la tête avec irritation.


    Scène six : Avec Edward, la nuit après l'Italie, dans la chambre de Bella…

          - Y a-t-il une raison pour que le danger ne puisse te résister plus que moi ?
          - Le danger n'essaie pas,
     marmottai-je.
          - Bien sûr, il semble que tu le cherchais activement. À quoi pensais-tu Bella? J'ai vu dans la tête de Charlie le nombre de fois où tu as fini aux urgences ces derniers temps. T'ai-je dit que j'étais furieux contre toi ?
          Dans sa voix paisible, on percevait plus la douleur que la colère.
          - Pourquoi ? Ce ne sont pas tes affaires, dis-je, embarrassée.
          - En fait, je me rappelle clairement que tu avais promis de ne rien faire de téméraire.
          Ma réponse fut prompte.
          - Et tu n'avais pas promis de ne plus interférer ?
          - À l'époque, tu avais franchi la limite,
     me signifia-t-il avec précaution. J'ai respecté ma part du contrat.
          - Ah, c'est comme ça ? Trois mots, Edward : Pacific. Northwest. Trust.

          Il releva la tête pour me regarder, il paraissait perplexe et innocent - beaucoup trop innocent. C'était peine perdue.
          - C'est censé me dire quelque chose ?
          - C'était vraiment insultant,
     me plaignis-je. Tu penses que je suis aussi idiote ?
          - Je ne comprends pas un mot de ce que tu dis,
     dit-il les yeux écarquillés.
          - Si tu le dis, grommelai-je.


    Scène sept : conclusion de ce fil d’Ariane : la même nuit/matin, quand ils arrivent chez les Cullen pour le vote…

          Soudainement, la fumière du porche s’alluma d’un coup, et je pus voir Esmé nous attendre sur le pas de la porte. Ses cheveux caramel ondulés étaient détachés, et elle tenait une sorte de truelle dans la main.
          - Est-ce que tout le monde est à la maison ? demandai-je avec espoir alors que nous montions les marches.
          - Oui, ils sont là.
          Alors qu’elle parlait, les fenêtres s'illuminèrent soudain.
          Je regardai par la plus proche pour voir qui nous avait aperçus, mais posé sur un tabouret, un seau contenant une épaisse bouillie grise attira mon attention. Je regardai la perfection lisse du verre, et réalisai ce que faisait Esmé sous le porche avec une truelle.
          - Oh non, Esmé. Je suis vraiment désolée pour la fenêtre ! J’allais…
          - Ne t’en fais pas pour ça,
     m’interrompit-t-elle avec un sourire.Alice m’a raconté l’histoire, et je tiens à te dire que je ne te blâme pas d’avoir fait ça pour cette raison.
          Elle dévisageait son fils, qui me dévisageait.
          Je levai un sourcil. Il regardait ailleurs, marmonnant quelque chose d’indistinct à propos qu’"A cheval donné on ne regarde pas la bouche."


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        - Quand vas-tu me dire ce qu'il se passe, Alice ?
        - Tu verras, sois patiente,
     m’ordonna-t-elle avec un sourire sournois.
        Nous étions dans ma voiture, mais c’était elle qui conduisait. Plus que trois semaines, et je pourrais retirer mon attelle ; alors, je pourrais sérieusement remettre mon pied au “travail de la pédale”. J’aimais conduire.
        Nous étions fin mai, et je ne sais comment la campagne autour de Forks avait trouvé un moyen d’être encore plus verte que d’habitude. C’était magnifique, bien sûr, et d’une certaine façon, je commençai à me réconcilier avec la forêt, surtout parce que j’y passais plus de temps que d’habitude. La nature et moi n’étions pas encore de grandes amies, mais nous nous rapprochions progressivement.
        Le ciel était gris, mais je l’appréciais ainsi. C’était un gris perlé, pas du tout sinistre, pas pluvieux, et presque assez chaud pour moi. Les nuages étaient épais et réconfortants, le genre de nuages qui m’étaient devenus plaisants, grâce à la liberté qu’ils garantissaient.
        Mais malgré cet environnement agréable, je me sentais angoissée. En partie à cause du comportement bizarre d’Alice. Elle avait beaucoup insisté pour que nous prenions une journée entre filles en ce samedi matin, pour me conduire à Port Angeles, m'entraînant chez la manucure et la pédicure, refusant que j’utilise le modeste rose foncé que je voulais, demandant à la place à la manucure de me vernir les pieds avec un rouge sombre chatoyant - en insistant même pour me peindre les orteils pris dans l'attelle.
        Ensuite, elle m’avait emmenée acheter des chaussures, malgré le fait que je ne puisse en essayer qu’une sur deux. Malgré mes protestations énergiques, elle avait acheté une paire des plus impraticables, des talons aiguilles scandaleusement chers - une paire dangereuse à première vue, retenue seulement par d'épais rubans de satin qui passaient par-dessus mon pied, et se serraient en un grand nœud derrière ma cheville. Ils étaient bleu jacinthe très foncé, et j’avais essayé en vain de lui expliquer que je n’avais rien à mettre qui irait avec. Même avec mon placard plein des vêtements qu’elle m’avait acheté à L.A - la plupart d’entre eux étaient trop légers pour être portés à Forks - j’étais sûre de n’avoir rien dans ces tons. Et même si j’avais eu cette couleur exacte cachée dans mon armoire, mes vêtements n'allaient absolument pas avec des talons aiguilles. Je n’étais pas faite pour les talons aiguilles - je pouvais à peine marcher sans encombre en chaussettes. Mais ma logique imparable ne servait à rien contre elle. Elle n’avais même pas essayé de me convaincre.
        - Eh bien, ce ne sont pas des Biviano, mais ça ira, avait-elle marmonné, me déroutant, sans rien ajoute en dégainant sa carte bleue devant les employés impressionnés.
        Elle avait acheté mon déjeuner à la fenêtre d’un drive de fast-food, m’expliquant que je devrais manger dans la voiture, mais refusant de m’expliquer pourquoi nous étions si pressées. Qui plus est, sur le chemin du retour, j'avais dû lui rappeler plusieurs fois que ma voiture était parfaitement incapable des mêmes performances qu’une voiture de sport, même avec les améliorations que Rosalie y avait apportées, et la prier d'arrêter de la malmener. D’habitude, Alice était mon chauffeur préféré. Elle ne semblait pas gênée par le fait de conduire 40 ou 50 kilomètres heure au-dessus de la limitation de vitesse.
        Mais l’agenda secret d’Alice ne constituait que la moitié du problème, bien sûr. J’étais presque pathétiquement anxieuse de ne pas avoir vu le visage d’Edward depuis presque six heures, ce qui devait être un record pour ces deux derniers mois.
        Charlie avait montré des réticences, mais il avait fini par s'incliner. Il s’était habitué à la présence constante d’Edward quand il revenait à la maison, ne trouvant rien à me reprocher lorsqu’il nous retrouvait assis devant nos devoirs sur la table de cuisine - il semblait même apprécier la présence d’Edward lorsqu’ils criaient ensemble devant les matches d’ESPN. Mais il n’avait rien perdu de son inflexibilité habituelle lorsqu’il ouvrait la porte pour Edward à précisément dix heures chaque soir de semaine.
           Bien sûr, Charlie ne savait pas du tout que les capacités d’Edward lui permettaient de ramener sa voiture chez lui et de revenir par ma fenêtre en moins de dix minutes.
        Il était bien plus agréable envers Alice, parfois même de façon embarrassante.    
         Evidemment, jusqu’à ce que mon plâtre volumineux soit remplacé par quelque chose de moins encombrant, j’avais besoin de l’aide d’une femme. Alice était un ange, une sœur ; chaque nuit et chaque matin elle apparaissait pour m’aider dans ma routine quotidienne.
         Charlie était extrêmement reconnaissant d’être soulagé de l'horreur que constituait une fille presque adulte ayant besoin d’être douchée - c’est bien au-delà de ses compétences, et des miennes aussi, en vérité. Mais c’était avec plus que de la simple gratitude que Charlie commença à la surnommer “Mon ange”, en la regardant avec des yeux médusés quand elle dansait  en souriant dans la petite maison, l’illuminant. Aucun humain ne pouvait résister à sa grâce et son incroyable beauté, et chaque fois qu’elle se glissait à travers la porte le soir venu, avec un affectueux “À demain, Charlie,” elle le laissait complètement stupéfait.
        - Alice, est-ce qu'on rentre maintenant ? demandai-je à présent ; nous comprenions toutes les deux que je parlais de la maison blanche près de la rivière.
        - Oui, sourit-elle, sachant où je voulais en venir. Mais Edward n’est pas là-bas.
        Je fronçai les sourcils. 
        - Où est-il ?
        - Il avait une course à faire.
        - Une course ?
     répétai-je sans comprendre. Alice, (mon ton devint enjôleur) s’il te plaît, dis-moi ce qu'il se passe.
        Elle secoua la tête, en souriant toujours. 
        - Ça m’amuse trop, expliqua-t-elle.
        Quand nous arrivâmes à la maison, Alice m’emmena directement en haut des escaliers, dans sa salle de bain aussi grande qu'une chambre. Je fus surprise d’y trouver Rosalie qui attendait, un sourire divin sur le visage, se tenant derrière une chaise rose très basse. Un étalage stupéfiant d’outils et de produits recouvrait tout le comptoir.
        - Assieds-toi, ordonna Alice. Je la toisai soigneusement pendant une minute, puis, décidant qu’elle utiliserait la force si nécessaire, je boitillai jusqu’à la chaise, et m'assis avec le peu de dignité qu’il me restait. Rosalie commença immédiatement à me brosser les cheveux.
        - J’imagine que tu ne vas pas me dire de quoi il s’agit ? lui demandai-je. 
        - Tu peux me torturer, murmura-t-elle, absorbée par mes cheveux, mais je ne parlerai pas.
        Rosalie soutint ma tête dans l’évier pendant qu’Alice frotta mes cheveux avec un shampooing qui sentait la menthe et le pamplemousse. Alice jeta furieusement une serviette sur le fouillis de mes cheveux mouillés, puis vaporisa pratiquement toute une bouteille d’un autre produit - celui ci sentait le concombre - sur la masse humide, et frotta de nouveau avec la serviette.
        Puis, elles me peignèrent très vite ; peu importe ce qu’était cette chose au concombre, elle avait démêlé mes cheveux. Je devrais peut-être leur emprunter le produit un jour ou l’autre. Puis elles prirent chacune un sèche-cheveux et se mirent au travail.
        Alors que les minutes passaient, et qu’elles s’occupaient de nouvelles mèches humides, leurs visages commencèrent légèrement à se crisper d’inquiétude. Je souris allègrement. Il y avait certaines choses que même les vampires ne pouvaient pas accélérer.
        - Mais elle a beaucoup trop de cheveux ! commenta Rosalie d’une voix anxieuse.
        - Jasper ! appela Alice d’une voix claire, pourtant pas trop forte.Trouve-moi un autre sèche-cheveux !
        Jasper arriva à leur secours, arrivant je ne sais comment avec deux nouveaux sèche-cheveux, qu’il pointa vers ma tignasse, l’air extrêmement amusé, pendant qu’elles continuaient de travailler avec les leurs.
        - Jasper... commençais-je, pleine d'espoir.
        - Désolé Bella, je ne suis pas autorisé à dire quoi que ce soit.
        Il s’échappa gracieusement quand tout fut finalement sec - et épais. Mes cheveux se tenaient à trois centimètres de mon crâne.
        Qu’est ce que vous m’avez fait ? demanda-je, horrifiée. Mais elles m’ignorèrent, sortant une boîte de bigoudis.
        J’essayai de les convaincre que mes cheveux ne frisaient pas, mais elle m’ignorèrent, barbouillant chaque mèche d’une substance d’un jaune malsain, avant d’y enrouler un bigoudi.
        - Tu as trouvé les chaussures ? demanda Rosalie intensément pendant qu’elles travaillaient, comme si la réponse était vitale.
        - Oui - elles sont parfaites.
        Alice ronronna de satisfaction.
        Je regardai Rosalie dans le miroir, secouant la tête comme si un gros poids venait de lui être enlevé de la conscience.
        - Tes cheveux sont très beaux, notai-je. 
        Ce n’était comme s'ils n’étaient pas toujours parfaits - mais elle les avait relevés cet après-midi, créant une couronne de douces boucles dorées au sommet de son visage parfait.
        - Merci.
        Elle sourit. Elles commençaient la deuxième ligne de mèches à présent.
        - Que penses-tu du maquillage ? demanda Alice.
        - C’est embêtant, déclarai-je.
        Elles m’ignorèrent.
        - Elle n’a pas besoin de grand chose - sa peau est mieux sans rien,  dit Rosalie d'un air songeur.
        - Mais du rouge à lèvres”,décida Alice.
        - Et du mascara, et de l'eye-liner,-  ajouta Rosalie, - juste un peu.
        Je soupirai bruyamment. Alice ricana.
        - Sois patiente, Bella. On s’amuse.
        - Tant que c’est ton cas,
     marmonnai-je.
        Elles avaient inconfortablement positionné tous les bigoudis sur ma tête à présent.
        - Allons l'habiller.
        La voix d’Alice tremblait d’impatience. Elle n’attendit pas que je boitille hors de la salle de bain moi-même. À la place, elle m’extirpa en me transportant jusqu’à la grande chambre blanche d’Emmett et Rosalie. Sur le lit, il y avait une robe. Bleu jacinthe, bien sûr.
        - Qu’en penses-tu ? pépia Alice.
        C’était une bonne question. C’était fait de dentelle légère, apparemment prévu pour être porté très bas, les épaules dégagées, avec des longues manches drapées qui se resserraient au niveau des poignets. Le corsage léger était ceinturé par un autre imprimé fleuri couleur jacinthe pâle, qui se plissait pour former une fine manchette sur le côté gauche. Les motifs de fleurs étaient longs dans le dos, mais ouverts devant sur plusieurs couches de jabots jacinthe clair ajustés, formant un dégradé de couleur jusqu’en bas de l’ourlet.
        - Alice ! braillai-je. Je ne peux pas porter ça !
        - Pourquoi ?
     demanda-t-elle d’une voix dure.
        - Le haut est complètement transparent !
        - Ça va en dessous.

        Rosalie me tendit un vêtement menaçant bleu pâle.
        - Qu’est ce que c’est ? demandai-je, effrayée.
        - C’est un corset, imbécile, dit Alice, impatiente. Alors, est-ce que tu va le mettre, ou dois-je appeler Jasper et lui demander de te tenir pendant que je le fais ? menaça-t-elle.
        - Tu es censée être mon amie , accusai-je.
        - Sois gentille Bella, soupira-t-elle, je ne me souviens pas de mon existence humaine, et j'essaie de m’amuser par procuration, là. En plus, c’est pour ton bien.
    Je me plaignis et rougis beaucoup, mais il ne fallut pas longtemps pour m’enfiler la robe. Je devais l’admettre, le corset présentait des avantages.
        - Whaou, soufflai-je, en regardant vers le bas. J’ai un décolleté.
        - Qui l’eût cru, ricana Alice, ravie de son propre travail.

        Je n’étais pas complètement convaincue cependant.
        - “Vous ne croyez pas que cette robe est un peu trop... je ne sais pas... avant-gardiste... pour Forks ?demandai-je, hésitante.
        - Je pense que le mot que tu cherches est haute couture, rit Rosalie.
        - Ce n’est pas pour Forks, c’est pour Edward. insista Alice. C’est exactement ce qu’il faut.
        Elles me ramenèrent dans la salle de bain, défaisant les bigoudis de leurs doigts aériens. A ma grande surprise, des cascades de boucles dégringolèrent. Rosalie étira la plupart d’entre elles, les tortillant doucement en anglaises qui submergeaient mon dos. Pendant qu’elle travaillait, Alice dessina rapidement une épaisse ligne noire autour de chacun de mes yeux, me mit du mascara, et étala précautionneusement un rouge à lèvres rouge foncé sur mes lèvres. Puis, elle s’échappa rapidement de la pièce et revint avec les chaussures.
        - Parfait, souffla Rosalie tandis qu’Alice les tenait en l’air pour que nous les admirions.
        Alice noua la chaussure de la mort avec expertise, puis regarda mon attelle avec spéculation.
        - J’imagine qu’on a fait tout ce qu’on pouvait, dit-elle tristement en secouant la tête. Tu ne pense pas que Carlisle nous laisserait...

        Elle jeta un coup d’œil à Rosalie.
        - Je ne pense pas, répliqua sèchement Rosalie.

        Alice soupira.
        Toutes deux se reprirent.
        - Il est rentré.

        Je savais de qui elle parlait en disant “il”, et je sentis de vigoureux papillons dans mon estomac.
        - Il peut attendre. Il y a encore une chose importante, dit Alice fermement. Elle me souleva une nouvelle fois - c’était nécessaire, j’étais sûre que je ne pourrais pas marcher dans cette chaussure - et me porta jusque dans sa chambre, où elle me déposa doucement devant sa large psyché dorée.
        - Voilà, dit-elle. Tu vois ?
        Je fixai l’inconnue dans le miroir. Elle avait l’air très grande dans cette chaussure, la longue et fine ligne de la robe moulante s’ajoutant à l’illusion. Le corsage décolleté - où sa poitrine exceptionnellement impressionnante me sauta aux yeux de nouveau - rallongeait son cou, tout comme les colonnes de boucles radieuses qui s’étalaient le long de son dos. La couleur jacinthe du tissu était parfaite, faisant ressortir sa peau ivoire ainsi que le rose de ses joues. Elle était très jolie, je devais l’admettre.
        - Ok, Alice, souris-je. Je vois.
        - Ne l’oublie pas,
     ordonna-t-elle.
        Elle me souleva de nouveau, et m’emmena en haut des escaliers.
        - Tourne-toi, et ferme les yeux ! ordonna-t-elle du bas des escaliers. Et reste en dehors de ma tête - ne gâche pas ce moment.
        Elle hésita, marchant plus lentement que d’habitude vers le bas des escaliers jusqu’à ce qu’elle puisse s’assurer qu’il obéissait. Puis elle vola presque sur le reste du trajet. Edward se tenait près de la porte, il nous tournait le dos, très grand et sombre - je ne l’avais jamais vu porter du noir auparavant. Alice me redressa, lissant les plis de ma robe, remettant une boucle en place, puis elle me laissa sur place, pour aller s'asseoir sur le tabouret du piano, et regarder. Rosalie la suivit pour s'asseoir dans le public.
        - Est-ce que je peux regarder ?

        Sa voix brûlait d’impatience - mon cœur se mit à battre irrégulièrement.
        - Maintenant...oui, dirigea Alice.
        Il pivota immédiatement, et se figea sur place, ses yeux topaze grands ouverts. Je pus sentir les battements de mon cœur résonner dans ma nuque, et mes joues se teinter. Il était si beau ; je sentis une étincelle de cette vieille peur, me disant que ce n’était qu’un rêve, qu’il ne pouvait pas être réel. Il portait un smoking, et il aurait dû se retrouver sur un écran de cinéma, pas près de moi. Je le fixai mêlée d’admiration et d’incrédulité.
        Il marcha lentement ver moi, hésitant à quelques centimètres lorsqu’il m’atteint.
        - Alice, Rosalie... merci, souffla-t-il sans détourner ses yeux de moi.

        J’entendis Alice glousser de plaisir.
        Il avança vers moi, posa une main froide sous ma mâchoire, s’abaissant pour presser ses lèvres contre mon gorge.
        - C’est toi, murmura-t-il contre ma peau.

        Il se retira, il avait des fleurs blanches dans son autre main.
        - Freesia, m’informa-t-il alors qu’il les épinglait dans mes boucles. Complètement superflu du point de vue du parfum, bien sûr.

        Il se pencha en arrière et me regarda de nouveau. Il sourit de son sourire à tomber à la renverse.

        - Tu es absolument magnifique.
        - Tu as volé ma réplique, essayais-je de dire aussi clairement que possible. Juste au moment où je commençais à croire que tu es réel, voilà que tu apparais comme ça, et je crains d’être de nouveau en train de rêver.
        Il m’attira rapidement dans ses bras. Me tenant près de son visage, ses yeux brûlant tandis qu'il me rapprochait de lui.
        - Attention au rouge à lèvres ! ordonna Alice.
        Il rit sauvagement et à la place, il abandonna sa bouche sur le creux juste au dessus de ma clavicule.
        - Est-ce que tu es prête à partir ? demanda-t-il.
        - Est-ce que quelqu’un va finir par me dire de quoi il s’agit ?
        Il rit de nouveau, jetant un regard à ses sœurs par dessus son épaule.

        - Elle n’a pas deviné ?
        - Non,
     ricana Alice.

        Edward rit délicieusement. Je me renfrognai.
        - Quelque chose m’échappe ?
        - Ne t’inquiète pas, tu sauras bien assez tôt,
     m’assura-t-il.
        - Descends-la, Edward qu’on puisse prendre une photo.

        Esmé arrivait en bas des escaliers avec un appareil photo argenté dans les mains.
        - Des photos ? murmurai-je, tandis qu’il m’installait délicatement sur mon pied boiteux.

        Tout cela ne m'inspirait pas confiance.

        - Est-ce que tu apparaîtras sur la pellicule ? demandai-je, sarcastique.
        Il me fit une grimace.
        Esmé prit plusieurs photos de nous, jusqu’à ce qu'Edward insiste gentiment pour que nous ne soyons pas en retard. 
        - On se voit là-bas, lança Alice pendant qu’il me portait jusqu’à la porte.
        - Alice sera là-bas ? Où que ce soit ?

        Je me sentais mieux.
        - Et Jasper, et Emmett et Rosalie.
        Mon front  se plissa alors que je concentrai pour déduire le secret. Il ricana devant mon expression.
        - Bella, m’appela Esmé, C’est ton père au téléphone.
        - Charlie ? demandâmes Edward et moi simultanément.
        Esmé apporta le téléphone, mais il l’attrapa au vol tandis qu’elle essayait de me le donner, me retenant sans effort d’un seul bras.
        - Hé ! protestai-je, mais il parlait déjà.
        - Charlie ? C’est moi. Qu’est-ce qui ne va pas ?
        Il semblait inquiet. Mon visage pâlit. Puis son expression prit un air amusé et soudainement malicieuse.
        - Donnez-lui le téléphone, Charlie - laissez moi lui parler.
        Quoi qu’il se passât, Edward s’amusait beaucoup trop pour que Charlie soit en danger. Je me relaxai en soupirant.
        - Bonjour Tyler, c’est Edward Cullen.
        Sa voix était amicale, en surface. Je la connaissais assez bien pour capter la douce pointe de menace. Qu’est ce que Tyler faisait chez moi ? L’horrible vérité commença à se dévoiler à moi.
        - Je suis désolé s'il y a eu un quelconque problème de communication, mais Bella n’est pas disponible ce soir. (Le ton d’Edward changea, et tandis qu’il continuait, la menace de sa voix fut beaucoup plus évidente tout d’un coup.) Pour être parfaitement honnête, elle sera indisponible tous les soirs, tant qu’il s’agira de quelqu’un d’autre que moi. Sans t’offenser. Et désolé pour ta soirée.
         Il ne semblait pas du tout désolé. Puis il referma le téléphone, un grand sourire de satisfaction sur le visage.
        - Tu m’emmènes au bal de promo ! accusai-je furieusement.
        Mon visage, mon cou virèrent au rose sous l’effet de la colère. Je pouvais sentir les larmes d'énervement me monter aux yeux. Il ne s’attendait pas à ce type de réaction, cela se voyait. Il pinça les lèvres, et ses yeux se foncèrent.
        - Ne sois pas difficile, Bella.
        - Bella, on y va tous,
     m'encouragea Alice, faisant irruption derrière moi.
        - Pourquoi est-ce que vous me faites ça ? demandai-je.
        - Ça va être chouette.
        Alice était toujours optimiste.
        Mais Edward se pencha pour murmurer dans mon oreille, de sa voix veloutée et sérieuse.
        - Tu n’es humaine qu’une seule fois Bella. Fais-moi plaisir.
        Puis il libéra tout le pouvoir de ses ardents yeux dorés, faisant fondre ma résistance de leur chaleur.
        - Bien, rechignai-je, incapable de lui jeter le regard furieux que j’aurais voulu. J’irai sans résister. Mais tu verras, le prévins-je d’un air grave, c’est la malchance que tu craignais tant. Je vais probablement me casser l’autre jambe. Regarde cette chaussure ! C’est un piège mortel !
        Je soulevai ma jambe valide pour le prouver.
        - Hmmm.
        Il fixa ma jambe pendant un moment, plus long que nécessaire, puis il se tourna vers Alice, les yeux brillants.
        - Une nouvelle fois, merci.”
        - Vous allez être en retard chez Charlie,
     lui rappela Esmée.
        - D’accord, allons-y.
        Il me fit tournoyer à travers la porte.
        - Est-ce que Charlie est dans le coup ? demandai-je entre mes dents.
        - Bien sûr, sourit-il.
        J’étais préoccupée, donc je ne le remarquai pas tout de suite. J’étais vaguement consciente qu’il s’agissait d’une voiture grise, je pensais qu’il s’agissait de la Volvo. Puis il s'arrêta si bas pour me déposer que je crus d’abord qu’il allait m'asseoir par terre.
        - Qu’est ce que c’est que ça ? demandai-je, surprise de découvrir un coupé qui ne m’était pas familier. Où est la Volvo ?
        - La Volvo est ma voiture de tous les jours,
     me dit-il prudemment, appréhendant le fait que je puisse faire une autre crise. C’est la voiture des occasions spéciales.
        - Que va penser Charlie ?

        Je secouai la tête en signe de désapprobation pendant qu’il montait en voiture, et démarrait le moteur. Il ronronna.
        - Oh, la plupart des gens de Forks pensent que Carlisle est un collectionneur de voitures avide.
        Il accéléra à travers les bois en direction de la voie rapide.
        - Et il ne l’est pas ?
        - Non, c’est plus mon hobby. Rosalie collectionne les voitures aussi, mais elle préfère s’amuser avec leurs entrailles, plutôt que de les conduire. Elle a beaucoup travaillé sur celle-ci pour moi.

        Je me demandais toujours pourquoi nous repassions par chez Charlie quand il se gara devant la maison. La lumière du porche était allumé, pourtant, il ne faisait pas encore très sombre. Charlie devait nous attendre, peut-être même nous surveillait-il à travers la fenêtre en ce moment même. Je commençais à rougir, me demandant si la première réaction de mon père à la vue de la robe serait la même que la mienne. Edward fit le tour de la voiture, doucement pour lui, pour m’ouvrir la portière - confirmant mes soupçons que Charlie nous regardait.
        Puis, alors qu’Edward me soulevait doucement de la voiture, Charlie - pas du tout fidèle à lui même - sortit dans le jardin pour nous saluer. Mes joues brûlaient ; Edward le remarqua et me lança un regard interrogateur. Mais je n’avais pas à m’inquiéter. Charlie ne me vit même pas.
        - Est-ce que c’est une Aston Martin ? demanda-t-il à Edward d’une voix solennelle.   
        - Oui - la Vanquish.
        Les commissures de ses lèvres frémirent mais il se contrôla. Charlie siffla légèrement.
        - Vous voulez l’essayer ? dit Edward en lui tendant les clés.
        Les yeux de Charlie quittèrent finalement la voiture. Il regarda Edward, incrédule - avec une légère pointe d’espoir.
        - Non, dit-il, réticent, - Que dirait ton père ?
        - Ca ne dérangera pas du tout Carlisle, dit Edward honnêtement, en rigolant. Allez-y.
        Il mit les clés dans la main consentante de Charlie.
        - Eh bien, juste un petit tour...
        Charlie caressait déjà l’aile d’une main.
        Edward m’aida à boiter jusqu’à la porte d’entrée, me soulevant dès que fûmes à l'intérieur pour me porter jusque dans la cuisine.
        - Ça c’est bien passé, dis-je. Il n’a même pas eu le temps de paniquer devant ma robe.
        Edward cligna des yeux.
        - Je n’avais pas pensé pas à ça, admit-il.  (Ses yeux examinèrent ma robe une nouvelle fois, avec un regard critique.) “J’imagine que c’est une bonne chose que nous ne soyons pas venus avec ta camionnette, classique ou pas.
        Contre mon gré, je détournai mon regard de son visage assez longtemps pour réaliser que la cuisine était inhabituellement sombre. Il y avait des bougies sur la table, beaucoup, peut-être vingt ou trente grandes bougies blanches. La vieille table était recouverte par une longe nappe blanche, tout comme les deux chaises.
        - Est ce que c’est ça que tu as fabriqué toute la journée ?
        - Non - cela n’a pris qu’une demi seconde. C’est la nourriture qui a pris toute la journée. Je sais que tu penses que les restaurants de luxe sont intimidants, non pas qu’il y ait beaucoup d’entre eux qui rentrent dans cette catégorie près d’ici, mais j’ai décidé que tu ne te plaindrais pas de ta propre cuisine.

        Il m’assit dans une des chaises blanches, et commença à sortir des choses du frigo et du four. Je notai qu’il n’y avait qu’un seul couvert sur la table.
        - Tu ne vas pas nourrir Charlie ? Il sera obligé de revenir à un moment ou à un autre.
        - Charlie ne peux plus rien avaler - qui a joué le rôle du goûteur à ton avis? Je devais m’assurer que tout ça était comestible.

        Il plaça une assiette en face de moi, pleine de choses qui avaient l’air très comestibles. Je soupirai.
        - Es-tu toujours énervée ?

        Il tira l’autre chaise pour pouvoir s'asseoir à côté de moi.
        - Non. En fait oui, mais pas en ce moment. Je me disais juste, eh voilà, la seule chose que je pouvais faire mieux que toi. Ça a l’air délicieux.

        Je soupirai de nouveau.
        Il gloussa.

        - Tu n’as pas encore goûté - sois optimiste, peut-être que c’est horrible.
        Je pris un morceau, fis une pause, et fit une grimace.
        - Est-ce horrible ? demanda-t-il, choqué.
        - Non, c’est fabuleux, naturellement.
        - C’est un soulagement,
     sourit-il, tellement beau. Ne sois pas inquiète, il y a encore beaucoup de choses pour lesquelles tu es meilleure.
        - Nommes-en une.

        Il ne répondit pas tout de suite, il fit simplement courir son doigt froid sur le sommet de ma clavicule, soutenant mon regard, me couvant de ses yeux jusqu’à ce que je sente ma peau brûler et rougir.
        - Il y a ça, murmura-t-il, touchant le rose de mes joues. Je n’ai jamais vu quelqu’un rougir aussi bien que toi.
        - Merveilleux,
     me renfrognai-je. Les réactions involontaires - voilà quelque chose dont je peux être fière.
        - Tu es aussi la personne la plus courageuse que je connaisse.
        - Courageuse ?
     raillai-je.
        - Tu passes tout ton temps libre en compagnie de vampires ; ça nécessite du courage. Et tu n'hésites pas à te placer régulièrement à une distance dangereuse de mes dents...
        Je secouai la tête.

        - Je savais que tu ne trouverais rien.
        Il rit.

        - Je suis sérieux, tu sais. Mais peu importe. Mange.

        Il prit me prit la fourchette des mains, impatient, et commença à me nourrir. La nourriture était parfaite, bien sûr.
        Charlie revint à la maison quand je m'apprêtais à finir. Je regardai précautionneusement son visage, mais la chance était avec moi, il était toujours trop ébloui par la voiture pour noter la façon dont j’étais habillée. Il rendit les clés à Edward.
        - Merci, Edward, sourit-il rêveusement. C’est une sacrée voiture.
        - De rien.
        - Comment ça s’est passé ?

        Charlie regardait mon assiette vide.
        - Parfaitement.

        Je soupirai.
        - Tu sais Bella, tu devrais le laisser s'entraîner à la cuisine de temps en temps, glissa-t-il.
        Je jetai un regard noir à Edward.

        - Je suis sûre qu’il le fera, Papa.
        Ce ne fut que lorsque nous nous dirigeâmes vers la porte que Charlie se réveilla complètement. Edward avait son bras autour de ma taille, pour me soutenir, et pour mon équilibre, tandis que je boitillais sur ma chaussure instable.
        - Hmm, tu as l’air... très adulte, Bella.

        Je pouvais déjà entendre le début d’une désapprobation paternelle s’amorcer.
        - Alice m’a habillée. Je n’ai pas vraiment eu mon mot à dire.
        Edward rit si bas que je fus la seule à l’entendre.
        - Eh bien, si Alice... (Il s’égara, un peu apaisé.) Tu es vraiment très belle, Bells. (Il fit une pause, un reflet furtif dans l’œil.) Donc, dois-je m’attendre à voir d’autres jeunes hommes en costard se pointer ici ce soir ?
        Je grognai et Edward ricana. Comment pouvait-on être plus inconscient que Tyler, je ne pouvais pas le comprendre. Ce n’était pas comme Edward et moi étions très discrets au lycée. Nous arrivions et repartions ensemble, il me portait à moitié jusqu’en classe, je m’asseyais avec lui et sa famille tous les jours pour le repas, et il n’était pas timide lorsqu’il s’agissait de m’embrasser devant des témoins. Tyler avait clairement besoin de voir un professionnel.
        - J'espère que non. (Edward fit une grimace à mon père.) Le réfrigérateur est plein de restes – dites-leur de se servir.
        - Je ne crois pas - tout ça est à moi, murmura Charlie.
        - Relevez les noms pour moi, Charlie.

        La trace de menace dans sa voix n’était probablement évidente que pour moi.
        - Oh, assez ! ordonnai-je.
        Heureusement, nous arrivions enfin à la voiture, et partîmes.

     

     


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    BADMINTON


    Note de Stephenie Meyer : Cette scène a été raccourcie du chapitre 11 “Complications" (de Twilight NdT). Cela me dérangeait de l’enlever, mais je ne savais pas pourquoi, donc j’ai laissé tombé. Quand il a été trop tard pour revenir en arrière, j’ai finalement compris pourquoi cela m’avait dérangée. Alors que je fais allusion au côté maladroit de Bella en cours de gym plusieurs fois, je ne l’avais jamais vraiment montrée en action. C’était la seule fois où Edward regardait, et donc l’endroit évident pour démontrer ce côté maladroit. Ha ha - et maintenant mon explication est plus longe que l’outtake !!!







          J’entrai dans le gymnase, étourdie, bancale. Je dérivai vers le vestiaire, me changeant en transe, vaguement consciente des autres personnes qui m’entouraient. La réalité ne s’installa pas complètement avant que j’aie une raquette dans la main. Ce n’était pas lourd, pourtant cela semblait dangereux entre mes doigts. Je pouvais voir quelques-uns des autres élèves de ma classe me jeter des regards furtifs. Le Coach Clapp nous ordonna de nous mettre par équipes de deux.

         Quelques restes de la chevalerie généreuse de Mike avaient survécu ; il vint se mettre à côté de moi.

         - Tu veux qu’on fasse équipe ? demanda-t-il joyeusement.
         - Merci, Mike – tu n’es pas obligé de faire ça, tu sais, grimaçai-je.

         - Ne t’inquiète pas, je me tiendrai loin de toi, sourit-il en un rictus.
         Parfois il était si facile d’apprécier Mike.

         Cela ne se passa pas en douceur. J’essayai de rester loin de Mike pour qu’il puisse garder le volant en jeu, mais le Coach Clapp vint et lui ordonna de rester de son côté du terrain pour que je puisse participer. Il resta nous regarder, pour appuyer ses mots.

         Dans un soupir, je me recentrai sur le terrain, tenant ma raquette bien droite, mais toujours délicatement. La fille de l’autre équipe me lança un sourire méprisant en servant le volant – j'avais dû la blesser durant les cours de basket-ball – le lobant à quelques pas du filet, juste dans ma direction. Je bondis en avant sans grâce, visant de mon revers la direction du petit enquiquineur de caoutchouc, mais j’oubliai de prendre le filet en compte. Ma raquette rebondit dessus avec une force surprenante, s’échappant de ma main pour atteindre mon front, avant de mettre une raclée à l'épaule de Mike qui s’était élancé pour rattraper le volant que j’avais complètement loupé.
         Le Coach Clapp toussa, ou étouffa un rire.
         - Désolé, Newton, glissa-t-il, s’éloignant pour que nous puissions retrouver nos anciennes positions, moins dangereuses.
         - Ça va ? demanda Mike, massant son épaule, tandis que je me frottais le front.
         - Ouais, et toi ? demandai-je humblement, ramassant mon arme.
         - Je pense que je vais m’en sortir.
         Il fit décrire un grand cercle à son bras, s’assurant qu’il avait toujours sa mobilité.

         - Je crois que je vais rester à l’arrière.
         Je marchai jusqu’au fond du terrain, tenant consciencieusement ma raquette dans mon dos.

     



    NARCOTIQUES
     

    Note de Stephenie Meyer : Vous reconnaîtrez cette scène de la fin du chapitre 2 de Tentation. Seules quelques lignes ont changé. C’est la première version, Carlisle a donné un médicament  à Bella pour l’aider à lutter contre la douleur et elle a une réaction imprévue. Pourquoi ce morceau a-t-il été coupé ? Premièrement,  mes éditeurs pensaient que l’ambiance ne collait pas (j’ai essayé de mettre une touche d’humour partout, ils m’en ont empêché). Deuxièmement, ils ne pensaient pas que la réaction de Bella était réaliste. Mais la blague s’est retourné contre eux, car l’histoire est tirée d’un fait réel (mais pas de ma vie, cette fois-ci).


        Je m’effondrai de nouveau sur mon oreiller, le souffle court, ma tête tournait. Mes bras ne me faisaient plus souffrir, mais je ne savais pas si cela était dû aux anti-douleur ou au baiser. Quelque chose d'insaisissable me revint en mémoire... 
        - Désolé, dit-il, le souffle court lui aussi. C’était déplacé.
        A ma propre surprise, je ricanai.
        - Tu es drôle, marmonnai-je, ricanant de nouveau.

        Il fronça les sourcils dans la pénombre. Il avait l’air si sérieux. C’était délirant.

       Je couvris ma bouche, étouffant mon fou rire pour ne pas que Charlie m’entende.
        - Bella, est-ce que tu as déjà pris du Percocet auparavant ?

        - Je ne crois pas, gloussai-je. Pourquoi ?

        Il leva les yeux au ciel ; je ne pouvais plus m'arrêter de rire.
        - Comment va ton bras ?

        - Je ne le sens plus. Est-ce qu’il est toujours là ?

        Il soupira tandis que je continuais de rire.
        - Essaie de dormir, Bella.
        - Non, je veux que tu m’embrasses encore.
        - Tu surestimes mon contrôle.

        Je ris, sarcastique.
        - Qu’est ce qui te dérange le plus, mon sang ou mon corps ?
        Ma question me fit rire.

        - Ex aequo.
        Il me fit malgré lui un grand sourire.
        - Je ne t’avais jamais vu planer. Tu es très divertissante.
     â€¨  - Je ne plane pas.

         J’essayai d’étouffer mon fou rire pour le prouver.
        - Dors maintenant, suggéra-t-il.

        Je réalisai que j’étais en train de me ridiculiser, ce qui était assez commun, mais c’était tout de même embrassant, donc je tentai de suivre son conseil. Je mis ma tête sur son épaule une nouvelle fois, et fermai les yeux. De temps en temps, un rire m’échappait. Mais cela devint moins fréquent au fur et à mesure que la drogue m’enfonçait dans  l'inconscience. 

                                                         *****

         Je me sentis absolument hideuse le lendemain matin...

     


     

     
     
    EMMETT ET L'OURS


    Note de Stephenie Meyer : "Ce bout a été supprimé de l'épilogue original (de Twilight NdT). Même si j'explique brièvement l'histoire d'Emmett dans le chapitre 14 "La raison et la chair", cela me manquait vraiment de ne pas avoir les détails de sa propre bouche."


          J’étais surprise de voir qu’une étrange affinité s’instaurait entre Emmett et moi, surtout parce que, de tous, il avait été celui qui m’effrayait le plus pendant longtemps. Cela concernait la manière dont nous avions été choisis pour rejoindre la famille ; nous avions tous les deux été aimés – et aimé en retour – alors que nous étions humains, même si cela avait été très court pour lui. Seul Emmett se souvenait – lui seul pouvait comprendre le miracle qu’Edward constituait pour moi.
          Nous parlions de cela pour la première fois un soir, alors que nous étions tous les trois allongés sur les canapés du salon, Emmett me régalant doucement de ses souvenirs, encore mieux que des contes de fées, tandis qu'Edward se concentrait sur la chaîne Cuisine – il avait décidé qu’il devait apprendre à cuisiner, à ma grande surprise, et cela lui était difficile sans les sens indispensables de l’odorat et du goût. Enfin, il y avait quelque chose qui ne lui venait pas naturellement. Ses sourcils parfaits se froncèrent devant le célèbre chef améliorant sa recette en la goûtant. Je réprimai un sourire.
        - Il finissait de jouer avec moi, et j'ai su que j’allais mourir, se souvint doucement Emmett, concluant le conte de ses années d’humain avec l’histoire de l’ours.
         Edward ne nous prêtait aucune attention ; il avait déjà entendu cette histoire.
         - Je ne pouvais pas bouger, et j’étais en train de perdre conscience, quand j’ai entendu ce que je croyais être un autre ours, et ce que j’imaginais être une lutte pour savoir qui emporterait ma carcasse. Soudain, j'ai senti que je volais. Je pensais être mort, mais j’essayais tout de même d’ouvrir les yeux. Alors je l'ai vue...
         Son visage était incrédule à ce souvenir ; je m’identifiais totalement.
         - Et j'ai su que j’étais mort, enchaîna-t-il. Je me fichais complètement de la douleur – je luttais pour garder mes paupières ouvertes, je ne voulais pas manquer une seule seconde de ce visage d’ange. Bien sûr, je délirais, je me demandais pourquoi nous n’étions pas encore au paradis, pensant que cela devait se trouver plus loin que je ne le pensais. Je m’attendais à ce qu’elle décolle. Puis elle m’a amené à Dieu.
         Il rit de son rire puissant. Je pouvais tout à fait comprendre que n'importe qui fasse cette supposition.
         - Je pensais que ce qui m'est arrivé ensuite était mon jugement. J’avais eu trop de plaisir dans mes vingt années humaines, donc je n'ai pas été surpris par les feux de l’enfer.
         Il rit de nouveau, je frissonnai. Le bras d’Edward me resserra inconsciemment.
         - Ce qui m'a surpris est que l’ange n'est pas parti. Je ne comprenais pas comment une chose aussi jolie pouvait rester en enfer avec moi – mais je lui en étais reconnaissant. Chaque fois que Dieu venait voir mon état, je craignais qu’il ne l’emporte loin de moi, mais il ne l'a jamais fait. J'ai commencé à penser que ces prêtres qui parlent d’un Dieu miséricordieux avaient peut-être raison, après tout. Puis la douleur a disparu... et ils m’ont expliqué. Ils ont été surpris de voir à quel point le fait d'être un vampire me perturbait peu. Mais si Carlisle et Rosalie, mon ange, étaient des vampires, était-ce si mal ?
         J'acquiesçai, totalement d’accord, tandis qu’il continuait.
         - J'ai eu plus de problèmes avec les règles... gloussa-t-il. Tu n’en pouvais plus de moi au début, n’est-ce pas ?
         Le coup de coude joueur qu’Emmett mit dans l’épaule d’Edward nous fit valser tous les deux.

         Edward grogna sans détacher ses yeux de la télé.
         - Donc, tu vois, l’Enfer n’est pas si mal si tu as un ange près de toi, m’assura-t-il avec malice. S'il change un jour d’avis pour accepter l’inévitable, tu t’en sortiras bien.
         Le poing d’Edward bougea si vivement que je ne vis pas ce qui cogna Emmett, l’étalant sur le canapé. Les yeux d’Edward n'avaient pas quitté l’écran.
         - Edward ! le grondai-je, horrifiée.
         - Ne t’inquiète pas, Bella.
         Emmett était de nouveau à sa place, imperturbable.
         - Je sais où le trouver.
         Il regarda au-dessus de ma tête, vers Edward.
         - Tu devras la lâcher à un moment ou un autre, menaça-t-il.
         Edward grogna simplement en guise de réponse, sans lever les yeux.
         - Les garçons ! appela brusquement la voix réprobatrice d’Esmée du bas des escaliers.
     
     
     
     

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    LA NOUVELLE DE ROSALIE


        Le téléphone vibra de nouveau dans ma poche. C’était la vingt-cinquième fois en vingt-quatre heures. Je pensai à ouvrir le téléphone, au moins pour voir qui essayait de me contacter. Peut-être était-ce important. Peut-être Carlisle avait-il besoin de moi.
         J’y pensai, mais je ne bougeai pas.
         Je ne savais pas exactement où j’étais. Un quelconque grenier sombre et minuscule, pleins de rats et d’araignées. Les araignées m’ignoraient, et les rats m’offraient une large couchette. L’air était chargé de fortes odeurs d’huile de cuisine, de viande rance, de sueur humaine et de couches presque solides de pollution qui était visible dans cet air humide, comme un film plastique posé sur quelque chose. Sous moi, quatre étages d’un immeuble de ghetto branlant, grouillant de vie. Je ne cherchais plus à séparer les pensées des voix - elles constituaient une grande et bruyante clameur espagnole que je n’écoutais pas.  Je laissais simplement le son me bercer. Dénué de sens. Tout cela était dénué de sens. Ma propre existence était dénuée de sens.
        Le monde entier était dénué de sens.
         Mon front posé sur mes genoux, je me demandai combien de temps encore je pourrais rester ainsi.  Peut-être n’y avait-il aucun espoir. Peut-être, si mon essai était voué à l’échec, devrais-je simplement arrêter de me torturer et revenir...
         Cette idée était si puissante, tellement salutaire - comme si les mots contenaient une sorte d'anesthésique puissant, lavant les montagnes de douleur que j’avais enterrées - que cela me faisait haleter, au bord du vertige.
         Je pouvais partir maintenant, je pouvais retourner là-bas.
         Le visage de Bella, toujours derrières mes paupières, me sourit.
         C’était un sourire de bienvenue, de pardon, mais cela n’eut pas sur ma conscience l’effet que j’attendais.
         Bien sûr que je ne pouvais pas rentrer. Qu’était ma douleur, après tout, en comparaison de son bonheur ? Elle devait être capable de sourire, libre de toute peur, de tout danger. Libre de la convoitise d’un futur sans âme. Elle méritait mieux que ça. Elle méritait mieux que moi. Quand elle quitterait ce monde, elle irait dans un endroit qui me serait à jamais verrouillé, peu importe comment je me conduirais ici.
         L’idée de cette séparation finale était tellement plus intense que la douleur que je la ressentais déjà. Mon corps en frémit. Quand Bella irait dans cette endroit auquel elle appartenait, auquel je n’appartiendrais jamais, je ne m’attarderais pas ici. Cela faciliterait l’oubli. Cela faciliterait le soulagement.
         Là était mon espoir, mais sans garanties. To sleep perchance to dream. Ay, there's the rub, me récitai-je. "Dormir pour pouvoir rêver. Aïe, voilà le hic." Même quand je serais poussière, sentirai-je encore la torture de l’avoir perdue ?
         Je frissonnai de nouveau.
         Et puis mince, j’avais promis. Je lui avais promis que je ne hanterais plus sa vie, en ramenant mes démons noirs. Je ne reviendrais pas sur mes mots. Ne pouvais-je donc rien faire de bien pour elle ? Rien du tout ?
         L’idée de mon retour dans cette petite ville nuageuse qui serait toujours ma véritable maison sur cette planète serpenta dans mes pensées une fois de plus.
         Juste pour vérifier. Juste pour voir qu’elle allait bien, qu’elle était hors de danger, et heureuse. Pas pour interférer. Elle ne saurait jamais que j’étais là...
         Non. Mince, non.
         Le téléphone vibra de nouveau.
         - Merde, merde, merde, grognai-je.
         J’imaginai que je pourrais profiter de la distraction. J’ouvris le téléphone et vérifiai le numéro, recevant mon premier choc en six mois.
         Pourquoi Rosalie m’appellerait-elle ? Elle devait être la seule personne à apprécier mon absence.
         Il devait sûrement y avoir quelque chose qui allait mal pour qu’elle ait besoin de me parler. M’inquiétant soudain pour ma famille, j’appuyai sur le bouton de rappel.
         - Quoi ? demandai-je tendu.
         - Oh, whoua. Edward répond au téléphone. Je me sens tellement honorée.
          Dès que j’entendis son ton, je sus que la famille allait bien. Elle devait juste s’ennuyer. Il était difficile de deviner sa motivation sans ses pensées pour me guider. Je n’avais jamais vraiment compris Rosalie. Ses pulsions étaient souvent fondées sur un sens logique très alambiqué.
         Je fermai le téléphone pour l’éteindre.
         - Laisse-moi tranquille, murmurai-je dans le vide.
         Evidemment, le téléphone sonna de nouveau.
         Continuerait-elle d’appeler jusqu’à ce qu’elle me transmettre un quelconque message avec lequel elle comptait m'embêter ? Probablement. Il faudrait des mois pour qu’elle commence à s’ennuyer de ce petit jeu. Je m’amusai à l’idée de la laisser appuyer sur le rappel automatique pour les six prochains mois... puis je soupirai et répondis au téléphone une nouvelle fois.
         - Lâche le morceau.
         Rosalie expédia les mots.
         - Je pensais qu’il t'intéresserait de savoir qu’Alice est à Forks.
         Mes yeux s’ouvrirent et je fixai les poutres pourries à huit centimètres de mon visage.
         - Quoi ?
         Ma voix était plate, sans émotion.
         - Tu sais comment est Alice - elle croit qu’elle sait tout. Comme toi.
         Rosalie gloussa. Sa voix avait un ton nerveux, comme si soudainement, elle ne savait plus ce qu’elle faisait.
         Mais ma rage m'empêchait de me soucier de son problème.
         Alice m’avait juré qu’elle suivrait mon exemple en ce qui concernait Bella, même si elle n’approuvait pas ma décision. Elle avait promis de laisser Bella tranquille... tant que je ferais de même. Clairement, elle avait pensé que je plierais sous le poids de la douleur. Peut-être avait-elle raison là-dessus.
         Mais je n’avais pas plié. Pas encore. Donc, que faisait-elle à Forks? Je voulais lui tordre son petit cou fluet. Non pas que Jasper me laisserait faire, une fois qu’il aurait ressenti la bouffée de furie me consumant...
         - Tu es toujours là, Edward ?
         Je ne répondis pas. Je me pinçai l'arête du nez, me demandant s'il était possible pour un vampire d’attraper une migraine.
         D’un autre côté, si Alice y était déjà...
         Non. Non. Non. Non.
         J’avais fait une promesse. Bella méritait d’avoir une vie. J’avais faire une promesse. Bella méritait d’avoir une vie.
         Je répétais ces mots comme un mantra, essayant de vider ma tête des images séduisantes de la sombre fenêtre de Bella. La porte d’entrée de mon unique sanctuaire. Pas de doute, je devrais ramper à mon retour. Mais je m’en moquais. Je pourrais passer la prochaine décennie à genoux si c’était pour elle, avec joie même.
         Non. Non. Non.
          - Edward ? Le fait qu’Alice soit là-bas ne t’inquiète pas ?
          - Pas particulièrement.

         La voix de Rosalie, prit une légère teinte de suffisance, enchantée, sans aucun doute, de m’avoir fait parler.
         - Bien sûr, elle n’enfreint pas exactement les règles. Je veux dire, tu lui as seulement dit de rester loin de Bella n’est-ce pas ? Le reste de Forks ne compte pas.
         Je clignai des yeux doucement. Bella était partie ? Mes pensées tournèrent autour de cette idée inattendue. Elle n’avait pas encore passé son bac, donc elle avait dû retourner chez sa mère. Une bonne chose. Elle vivrait au soleil. Une bonne chose qu’elle soit capable de laisser l’ombre derrière elle.
     â€¨   J’essayai de déglutir, je n'y arrivai pas.
         Rosalie tressaillit, d’un rire nerveux.
          - Donc, tu n’as pas à être énervé après Alice.
          - Alors pourquoi as-tu appelé, Rosalie, si ce n’est pas pour chercher des ennuis à Alice ? Pourquoi m’embêtes-tu, hein ?
          - Attends !
     dit-elle, sentant, à juste titre, que j’étais capable de raccrocher une nouvelle fois. Ce n’est pas pour ça que j’appelais.
         - Alors pourquoi ? Dis-le-moi rapidement, et laisse-moi tranquille.
         - Eh bien...
     hésita-t-elle.
         - Crache le morceau, Rosalie. Tu as dix secondes.
         - Je pense que tu devrais rentrer à la maison,
     dit-elle hâtivement. J’en ai marre qu’Esmée soit en deuil et que Carlisle ait cessé de rire. Tu devrais avoir honte de ce que tu leur as fait. Tu manques à Emmett en permanence, et ça m'énerve. Tu as une famille. Grandis et pense à autre chose qu’à toi-même.
          - Conseil intéressant, Rosalie. Laisse-moi te raconter une petite histoire sur l'hôpital qui se moquait de la charité...
          - Moi, je pense à eux, contrairement à toi. Tu te fiches même de savoir combien tu as blessé Esmée ? Elle t’aime plus que nous tous, et tu le sais bien. Reviens à la maison.

          Je ne répondis pas.
         - Je pensais qu’une fois que toute cette histoire à Forks serait finie, tu t’en remettrais.
         - Forks n’a jamais été le problème, Rosalie,
     dis-je essayant d’être patient.
         Ce qu’elle avait dit sur Esmée et Carlisle avait touché ma corde sensible.
         - Ce n’est pas parce que Bella - il m’était difficile de dire son nom à voix haute - a déménagé en Floride que cela veut dire que je suis capable... Ecoute, Rosalie. Je suis vraiment désolé, mais crois-moi, personne ne sera plus heureux si je suis là-bas.
         - Hum...

          Et voilà, cette hésitation nerveuse une nouvelle fois.
         - Qu’est ce que tu ne me dis pas, Rosalie ? Est ce qu'Esmée va bien ? Est ce que Carlisle -
         - Ils vont bien. C’est juste... eh bien, je n’ai pas dit que Bella avait déménagé.

         Je ne parlai pas. Je déroulai notre conversation dans ma tête. Si, Rosalie avait bien dit que Bella avait déménagé. Elle avait dit : "tu nous as seulement demandé de rester loin de Bella n’est pas ? Le reste de Forks ne compte pas." Puis : "Je pensais qu’une fois que cette histoire à Forks serait finie..." Donc Bella n’était pas à Forks. Que voulait-elle dire, Bella n’avait pas déménagé ?
          Puis Rosalie expédia ses mots une nouvelle fois, les prononçant avec colère cette fois.
          - Ils ne voulaient pas que je te le dise, mais je pense que c’est stupide. Plus vite tu t’en remettras, plus vite les choses reviendront à la normale. Pourquoi te laisser te morfondre dans les coins sombres du monde quand ça ne sert plus à rien ? Tu peux revenir à la maison maintenant. Nous pouvons de nouveau être une famille. C’est fini.
         Mon esprit semblait bloqué. Je n’arrivais pas à déchiffrer ses paroles. C’est comme si il y avait quelque chose de particulièrement évident qu’elle était en train de me dire, mais je ne savais pas du tout ce dont il s’agissait. Mon cerveau jouait avec l’information, créant des formes bizarres. Sans aucun sens.
         - Edward ?
         - Je ne comprends pas ce que tu es en train de dire, Rosalie.
         Une longue pause, longue de quelques battements de cœur humain.
          - Elle est morte, Edward.
          Une pause encore plus longue.
          - Je suis... désolée. Pourtant, tu as le droit de savoir, je pense. Bella... s‘est jetée du haut d’une falaise il y a deux jours. Alice l’a vue, mais il était trop tard pour faire quoi que ce soit. Je pense qu’elle aurait aidé, brisé sa promesse, si il y avait eu assez de temps. Elle est retournée là-bas pour faire ce qu’elle pouvait pour Charlie. Tu sais qu’elle l’a toujours beaucoup aimé...
         Le téléphone se coupa. Il me fallut quelques secondes pour réaliser que j’avais pressé le bouton pour l’éteindre.
         Je m'assis dans l’ombre poussiéreuse pendant un long moment, le temps se figea. Comme s'il s’était arrêté. Comme si l’univers s’était arrêté.
         Doucement, me mouvant comme un vieillard, je rallumai mon téléphone, et composai le numéro que je m’étais promis de ne jamais rappeler.
         Si elle était là, je raccrocherais. Si c’était Charlie, j’obtiendrais l'information dont j’avais besoin grâce à un subterfuge. Je prouverais à Rosalie que sa petite blague malsaine n’avait pas fonctionné, puis je retournerais à mon vide.
         - Résidence Swan, répondit une voix que je n’avais jamais entendue.
         La voix d’homme était rauque, profonde, mais toutefois jeune.
         Je ne fis aucune pause pour penser à ce que cela impliquait.
          - C’est le Dr. Carlisle Cullen, dis-je, imitant parfaitement la voix de mon père. Puis-je parler à Charlie ?
          - Il n’est pas là,
     répondit la voix, et je fus faiblement surpris par la colère qu’elle contenait. Les mots avaient presque été aboyés. Mais ça n’avait pas d’importance.
         - Et où se trouve-t-il ? demandai-je, impatient.
         Il y eut une courte pause, comme si l’étranger refusait de me donner l’information.
         - Il est à l’enterrement, lâcha le garçon.
         J'éteignis le téléphone.







    MAUVAIS CALCULS


    Note de Stephenie Meyer : 

    C’est une drôle d’histoire – en fait j’ai écrit cet extrait comme une blague. J’ai lu quelque chose sur le site Twilight Fanfiction, et le concours “Mettez-vous à ma place”, et j’ai dit à Alphie (une célébrité du Lexicon) que j’y participerais peut-être, pour m’amuser. Elle m’a dit que ça ne marcherait jamais, Pelirroja me reconnaîtrait en une seconde. Je pariai que Pel ne m’aurait pas, et Alphie paria le contraire. Donc, j’ai écrit cette portion de New Moon (NdT : Tentation) du point de vue de Rosalie (ce fut très intéressant d’être dans la tête de Rosalie !), et je l’ai envoyée, gloussant de ma propre blague. Pour finir, la blague s’est retournée contre moi. Ma participation à été perdue dans le cyberespace et Pel ne l’a jamais su. Donc, j’imagine qu'Alphie et moi ne connaîtrons jamais le vainqueur de notre pari... sauf si Twilight Fanfiction organise un autre concours...

    Voici donc ma blague loupée, le coup de téléphone entre Alice et Rosalie dans le chapitre 18 de New Moon: 

     

     

     

         Un léger son chuchoté – pas près de moi, mais à des centaines de mètres plus au nord – me fit sursauter. Ma main se serra automatiquement autour du téléphone, le fermant, et l’éloignant de ma vue dans le même mouvement. 

         Je remis mes cheveux en place sur mes épaules, jetant un vague coup d’œil par la grande fenêtre en direction de la forêt. La lumière du jour était faible, sombre ; mon propre reflet était plus clair que les arbres et les nuages. Je fixai mes grands yeux surpris, mes lèvres qui tiraient vers le bas en une moue, la petite ride verticale entre mes sourcils… 

         Je me jetai un regard hargneux, effaçant avec mépris mon expression de culpabilité. Un mépris séduisant. Je notai, absente, que cette expression féroce m’allait bien, contrastant à merveille le doré angélique de mes boucles épaisses. En même temps, mes yeux scrutaient le vide de la forêt d’Alaska, et je fus soulagée de voir que j’étais toujours seule. Le son n’était rien – un oiseau ou la brise. 

         Il n'y avait pas de quoi être soulagée, me dis-je. Pas de quoi me sentir coupable. Je n’avais rien fait de mal. 

         Les autres n’avaient-ils pas l’intention de dire la vérité à Edward ? Le laisser se complaire dans son angoisse existentielle pour l'éternité au fin fond de bidonvilles répugnants, pendant qu’Esmée et Carlisle anticipaient chacune de ses réactions, et que la joie existentielle d’Emmett s'en allait doucement pour laisser place à la solitude? Pourquoi cela serait-il juste ? 

         De plus, il n’y avait aucun moyen de cacher un secret à Edward à long terme. Tôt ou tard il serait venu nous trouver, pour voir Alice ou Carlisle pour une raison ou une autre, et alors il aurait découvert la vérité. Nous aurait-il remerciés de lui avoir menti par ce silence ? Je ne le pensais pas. Edward devait toujours tout savoir ; il vivait avec cette omniscience. Il aurait piqué une crise, seulement exacerbée par le fait que nous nous serions abstenus de lui faire part de la mort de Bella. 

         Quand il serait calmé et remis de tout ça, il me remercierait sûrement d’avoir été la seule assez courageuse pour être honnête avec lui. 

         A des kilomètres, un faucon cria ; le son me fit sauter et vérifier la fenêtre de nouveau. Mon visage avait de nouveau cette expression coupable, et je me jetai un regard noir dans la vitre. 

         Bien, donc j’avais mon programme. Était-ce une si mauvaise chose de vouloir que ma famille soit de nouveau réunie ? Était-ce si égoïste que la paix quotidienne me manque, ce bonheur sous-jacent que j’avais pris pour acquis, le bonheur qu’Edward semblait avoir emmené avec lui dans l’avion ? 

         Je voulais juste que les choses redeviennent comme avant. Était-ce si mal ? Cela ne me semblait pas être une chose horrible. Après tout, je n’avais pas fait cela pour moi seule, mais pour tout le monde. Esmée et Carlisle, et Emmett. 

         Pas vraiment pour Alice, même si je l’aurais assumé... Mais Alice avait été tellement sûre que les choses allaient s’arranger dernièrement – qu'Edward serait incapable de rester loin de sa petite amie humaine – qu'elle ne s’était pas embêtée à faire son deuil. Alice avait toujours évolué dans un monde différent du nôtre, enfermée dans sa réalité toujours changeante. Puisqu’Edward était le seul qui pouvait participer à cette réalité, j'avais pensé que son absence serait plus dure pour elle. Mais elle était certaine, comme toujours, vivant dans le futur, son esprit dans un moment que son corps n’avait pas encore atteint. Toujours si calme. 

         Elle avait pourtant été folle d’inquiétude lorsque Bella avait sauté...

         Avais-je été impatiente, moi aussi? Avais-je agi trop tôt ?

         Je devais au moins être honnête envers moi même, parce qu’Edward verrait chaque parcelle de mesquinerie dans ma décision dès qu’il rentrerait à la maison. Mieux valait reconnaître mes mauvaises motivations dès maintenant, les accepter tout de suite.

         Oui, j’étais jalouse de ce qu’Alice ressentait pour Bella. Alice aurait-elle détalé si vite, prise de panique, si c'était moi qui avais sauté de la falaise ? Devait-elle vraiment aimer plus que moi cette fille humaine banale à ce point ? 

         Mais la jalousie n'était qu'une chose. J’avais sûrement précipité ma décision, mais je n’y pouvais rien. J’aurais appelé Edward de toute façon. J’étais sûre qu’il préférerait cette honnêteté abrupte à la gentille déception des autres. Leur gentillesse était maudite depuis le début ; Edward serait rentré de toute façon. 

         Et maintenant, il pourrait rentrer plus tôt.

         Ce n’était pas la satisfaction de ma famille qui me manquait. 

         Edward me manquait sincèrement aussi. Ses petites remarques cinglantes me manquaient, son esprit sombre qui était plus en harmonie avec mon propre sens de l’humour noir que la nature enjouée d’Emmett. La musique me manquait – sa stéréo beuglant sa dernière découverte d'un groupe indé, et le piano, le son d’Edward tissant ses pensées habituellement dissimulées pour les transformer en une chanson transparente. Il me manquait lorsqu’il fredonnait dans le garage à côté de moi lorsque je trafiquais les voitures, le seul moment où nous étions parfaitement en harmonie. 

         Mon frère me manquait. Sûrement ne me jugerait-il pas trop sévèrement quand il le verrait dans mes pensées. 

         Ce serait délicat pendant un moment, je le savais. Mais plus tôt il reviendrait à la maison, plus tôt nous pourrions retrouver une vie normale...

         Je fouillai mon esprit pour trouver une quelconque trace de deuil pour Bella, et je fus heureuse de voir que je pleurais la fille. Un petit peu. En cela au moins : elle avait rendu Edward heureux, comme jamais auparavant. Bien sûr, elle l’avait aussi rendu plus malheureux que quoi que ce soit durant son siècle de vie. Mais la paix qu’elle lui avait donnée durant ces quelques mois me manquerait. Je pourrais vraiment regretter sa perte. 

         Prendre conscience de cela me fit me sentir mieux, suffisante. Je souris devant mon visage dans la glace, encadrée par mes cheveux d’or et les murs cèdre rouge du long salon douillet de Tanya, et j’appréciai cette vue. Quand je souriais, il n’y avait aucune femme ou homme sur cette planète, mortel ou immortel, qui pouvait égaler ma beauté. C’était là une pensée réconfortante. Peut-être n’étais-je pas la personne la plus facile à côtoyer. Peut-être étais-je égoïste et superficielle. Peut-être aurais-je eu meilleur caractère si j’étais née avec un visage quelconque et un corps ennuyeux. Peut-être aurais-je été plus heureuse si cela avait été le cas. Mais c’était impossible à prouver. J’avais cette beauté, c’était une chose sur laquelle je pouvais compter. 

         Je souris encore plus grand. 

         Le téléphone sonna et je serrai automatiquement la main, même si le son venait de la cuisine et non de mon poing.

         Je savais que c’était Edward. Appelant pour vérifier l’information que je venais de lui donner. Il ne me faisait pas confiance. Il pensait apparemment que j'étais assez cruelle pour lui faire une blague. Je me renfrognai en me dirigeant vers la cuisine d’un pas léger pour répondre au téléphone de Tanya. 

         Le téléphone était tout en haut du long comptoir de boucherie. Je l’attrapai avant que la première sonnerie ne se termine, et je tournai mon visage vers la porte-fenêtre tout en répondant. Je ne voulais pas l’admettre, mais je savais que je surveillais le retour d’Emmett et Jasper. Je ne voulais pas qu’ils m’entendent parler à Edward. Ça les énerverait...

         - Oui ? demandai-je.

         - Rose, je dois parler à Carlisle, maintenant, dit sèchement Alice. 

         - Oh, Alice ! Carlisle est parti chasser. Qu’est ce que…?

         - Très bien, dès qu’il reviendra alors.

         - Qu'est-ce qui se passe ? Je vais le pister tout de suite, et je m’assurerai qu’il te rappelle… 

         - Non, interrompit de nouveau Alice. Je serai dans l’avion. Écoute, est-ce que tu as eu des nouvelles d’Edward ? 

         Mon estomac se contracta bizarrement, semblant s’abaisser dans mon abdomen. Cette sensation amena avec elle un sentiment de déjà-vu, une légère pointe d'une sensation humaine perdue depuis bien longtemps. La nausée...

         - Eh bien, oui, Alice. J’ai parlé à Edward. Il y a quelques minutes à peine. 

         Pendant une brève seconde je m’amusai à l’idée de prétendre qu’Edward m’avait appelé, une pure coïncidence. Mais bien sûr, il ne servait à rien de mentir. Edward allait déjà être assez dur avec moi en rentrant à la maison. 

         Mon estomac continua de se resserrer étrangement, mais je l’ignorai. Je décidai d’être énervée. Alice ne devait pas être sèche envers moi de la sorte. Edward n’aimait pas les mensonges ; il voulait la vérité. Il me soutiendrait quand il rentrerait à la maison. 

         - Toi et Carlisle aviez tort, dis-je. Edward n’apprécierait pas qu’on lui mente. Il voudrait connaître la vérité. Il l’a voulu. Alors je la lui ai donnée. Je l’ai appelé... Je l’ai appelé de nombreuses fois, admis-je. Jusqu’à ce qu’il décroche. Un message aurait été... déplacé.

         - Pourquoi ? haleta Alice. Pourquoi ferais-tu cela Rosalie ?

         - Parce que plus tôt il s’en remettra, plus tôt les choses pourront revenir à la normale. Le temps n’aurait rien arrangé, alors pourquoi repousser l’échéance ? Le temps ne changera rien. Bella est morte. Edward va faire son deuil, puis il s’en remettra. Autant qu’il commence maintenant.

         - Eh bien pourtant, tu as tort sur tous les tableaux, Rosalie, et cela va poser un problème, tu ne crois pas ? demanda Alice d’un ton vicieux et féroce. 

         Tort sur tous les tableaux ? Je clignai rapidement des yeux, essayant de comprendre. 

         - Bella est toujours en vie ? murmurai-je, ne croyant pas mes propres mots. 

         Essayant juste de deviner à quels tableaux Alice faisait référence. 

         - Oui, c’est ça. Elle va très bien…

         - Bien ? Tu l’as vue sauter d’une falaise !

         - J’avais tort.

         Les mots sonnèrent étrangement dans la bouche d’Alice. Alice n’avait jamais tort, il n’y avait pas d’éléments de surprise pour elle...

         - Comment ? murmurai-je.

         - C’est une longue histoire.

         Alice avait tort. Bella était en vie. Et j’avais dit...

         - Eh bien, tu as mis une belle pagaille, grognai-je, changeant mon chagrin en accusation. Edward va être furieux lorsqu’il rentrera à la maison. 

         - Mais tu as tort à ce propos aussi, dit Alice. 

         Je pouvais entendre qu’elle parlait entre ses dents. 

         - C’est pour ça que j'appelle.

         - Tort à propos de quoi ? D'Edward qui ne rentrerait pas ? Bien sûr que si. 

         Je ris d’un ton moqueur. 

         - Quoi ? Tu penses qu’il va se la jouer à la Roméo ? Ha ! Comme un stupide romantique...

         - Oui, siffla Alice, d’une voix glaciale. C’est exactement ce que j’ai vu.

         La dure conviction de ses mots fit flancher mes genoux, me rendant bizarrement instable. Je m’agrippai au mur de cèdre pour me retenir – retenir mon corps dur comme du diamant qui n’en avait certainement pas besoin. 

         - Non. Il n’est pas aussi stupide. Il… il doit sûrement se rendre compte que…

         Mais je ne pus pas finir cette phrase, parce que je pouvais voir dans ma tête, ma propre vision. Une vision de moi. Une impensable vision de ma vie si d’une façon ou d’une autre Emmett devait cesser d’exister. Je frissonnai à cette horrible idée. 

         Non, il n’y avait pas de comparaison. Bella n’était qu’une humaine. Edward ne voulais pas qu’elle soit immortelle, donc ce n’était pas la même chose. Edward ne pouvait pas ressentir la même chose !

        - Je… Je ne voulais pas que ça se passe comme ça, Alice ! Je voulais juste qu’il revienne à la maison ! 

         Ma voix était presque un hurlement. 

         - C’est un peu tard pour ça, Rose, dit Alice, plus dure et froide qu'auparavant. Garde tes remords pour quelqu’un qui y croit.

         Il y eut un clic et une tonalité. 

         - Non, murmurai-je. 

         Je secouai la tête lentement pendant un moment. 

         - Edward doit revenir à la maison. 

         Je fixai mon visage dans le pan de la vitre de la porte-fenêtre, mais je ne pouvais le voir. C’était une tâche sans forme blanche et or. 

         Puis, à travers cette tâche, loin dans les bois, un arbre énorme oscilla irrégulièrement, en décalé avec le reste de la forêt. Emmett. 

         J'écartai la porte de mon chemin d’un coup sec. Elle claqua contre le mur, mais le son était déjà loin derrière moi puisque je fonçais dans le vert. 

         -Emmett ! criai-je. Emmett, au secours !

     

     

    Tous les Outtakes ici : http://midnightsun.over-blog.com


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