• Voici (quelques uns seulement; Donnez-nous d'autres noms dans les commentaires de cette page en bas de l'article) les acteurs de la Saga Twilight !

     

    HOMMES (liste partielle)

    Robert Pattinson dans le rôle d'Edward Cullen (honte à vous si vous ne le saviez pas ! ;))

    Taylor Lautner dans le rôle de Jacob Black

    Kellan Lutz dans le rôle d'Emmett Cullen

    Jackson Rathbone dans le rôle de Jasper Cullen

    Peter Facinelli dans le rôle de Docteur Carlisle Cullen

    Cam Gigandet dans le rôle de James

    Edi Gathegi dans le rôle de Laurent

    Gregory Tyree Boyce dans le rôle de Tyler Crowley

    Michael Welch dans le rôle de Mike Newton

    Justin Chon dans le rôle d'Eric Yorkie

    Michael Sheen dans le rôle d'Aro Volturi

    Christopher Heyerdahl dans le rôle de Marcus Volturi

    Jamie Campbell Bower dans le rôle de Caïus  Volturi

    Cameron Bright dans le rôle d'Alec Volturi

    Daniel Cudmore dans le rôle de Felix Volturi

    Charlie Bewley dans le rôle de Démétri Volturi

    Xavier Samuel dans le rôle de Riley Biers

    Ned Bellamy dans le rôle de Waylon Forge

    Billy Burke dans le rôle du shérif Charlie Swan 

    Chaske Spencer dans le rôle  de Sam Uley

    Booboo Stewart dans le rôle de Seth Clearwater

    Kiowa Gordon dans le rôle d'Embry

    Tyson Houseman dans le rôle de Quil Aetera

    Gil Birmingham dans le rôle de Billy Black

     

     

    FEMMES (liste partielle)

    Kristen Stewart dans le rôle de (Isa)Bella Swan (honte à vous si vous ne le saviez pas ! ;))

    Nikki Reed dans le rôle de Rosalie Cullen

    Ashley Greene dans le rôle d'Alice Cullen

    Elizabeth Reaser dans le rôle d'Esmé Cullen

    Rachelle Lefevre dans le rôle de Victoria (chapitres 1 et 2)

    Anna Kendrick dans le rôle de Jessica Stanley

    Christian Serratos dans le rôle  d'Angela Weber

    Dakota FAnning dans le rôle de Jane Volturi

    Sarah Clarke dans le rôle de Renée 

    Julia Jones dans le rôle de Leah Clearwater

    Tinsel Korey dans le rôle d'Emily

    Mackenzie Foy dans le rôle de Renesmée Cullen

    Maggie Grace dans le rôle d'Irina Denali

    Keira Knightley dans le rôle de Tanya Denali

    Casey Labow dans le rôle de Kate Denali

    Jodelle Ferland dans le rôle de Bree Tanner

    Bryce Dallas dans le rôle de Victoria (chapitre 3)

    Judi Shekoni dans le rôle de Zafrina

    Noot Seear dans le rôle d'Heidi Volturi

    Marlane Barnes dans le rôle de Maggie


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  • Chapitre 5. Invitations part 1

          Le lycée. Ce n'était plus le purgatoire, mais l'enfer pur. Feu et tourments… oui, j'avais droit aux deux.
      Je faisais tout correctement maintenant. Personne ne pouvait prétendre que je manquais à mes obligations.   Pour faire plaisir à Esmé et protéger les autres, je restai à Forks. Je repris mon ancien emploi du temps. Je ne chassais pas plus que les autres. Tous les jours, je me présentais en cours et faisais l'humain. Tous les jours, j'écoutais attentivement si personne n'avait rien de nouveau à raconter à propos des Cullen – il n'y avait jamais rien. La fille ne dit pas un seul mot de ses soupçons. Elle répéta la même histoire encore et encore – jusqu'à ce que les oreilles avides de commérages en eussent assez de ne pas entendre de nouveaux détails. Il n'y avait aucun danger. Mon action précipitée n'avait nui à personne.
         À personne sauf à moi-même.
         J'étais déterminé à changer le futur. Ce n'était pas la tâche la plus facile à se fixer, mais aucun autre choix ne m'était supportable.
         Alice disait que je ne serais pas assez fort pour m'obliger à me tenir à distance de la fille. Je lui prouverais qu'elle avait tort.
         J'avais pensé que le premier jour serait le plus difficile. À la fin de celui-ci, j'en avais été persuadé. Mais je m'étais trompé.
       Le fait que j'allais devoir faire du mal à la fille m'était resté sur l'estomac. Je m'étais réconforté en me disant que sa douleur ne serait qu’une bagatelle – juste une petite piqûre de rejet – comparée à la mienne. Bella était humaine, et elle savait que j'étais quelque chose d'autre, quelque chose de mauvais, quelque chose d'effrayant. Elle serait probablement plus soulagée que blessée quand je tournerais ma tête ailleurs et prétendrais qu'elle n'existait pas.
          - Bonjour, Edward, m'accueillit-elle, le premier jour suivant l'accident en biologie.
         Sa voix avait été agréable, amicale, aux antipodes de sa voix la dernière fois que je lui avais parlé. Pourquoi ? Que signifiait ce changement ? Avait-elle oublié ? Décidé qu'elle avait rêvé tout l'épisode ? Avait-elle vraiment pu me pardonner de ne pas avoir tenu ma promesse ? Les questions m'avaient brûlé la langue comme la soif qui m'attaquait chaque fois que je respirais.
         Juste un instant, que je puisse regarder dans ses yeux. Juste pour voir si je pouvais y lire les réponses…
        Non. Je ne pouvais même pas me permettre cela. Pas si je voulais changer le futur.

         J'avais tourné mon menton d'un centimètre vers elle tout en regardant droit devant moi. J'avais hoché la tête, puis retourné ma tête vers le devant de la classe.
         Elle ne m'avait plus reparlé.
         Cet après-midi-là, aussitôt l'école finie, mon rôle rempli, je courus vers Seattle comme la veille. Il me semblait que je pouvais contrôler la douleur plus facilement quand je volais au-dessus du sol, quand le paysage autour de moi se transformait en une tâche verte et floue.
       Cette course devint une habitude quotidienne.
       L'aimais-je ? Je ne pensais pas. Pas encore. Cependant, les aperçus du futur qu'avait eu Alice me hantaient, et je pouvais voir à quel point il serait facile de tomber amoureux de Bella. Ce serait exactement comme tomber : sans effort. M'empêcher de l'aimer était le contraire de tomber – c'était m'obliger à escalader falaise à mains nues, une tâche aussi épuisante que si j'avais la force d'un mortel.
      Plus d'un mois passa, et chaque jour devint plus difficile. Cela n'avait aucun sens – et j'attendais de m'y habituer, que l'effort devienne plus facile. C'était sûrement ce qu'Alice avait voulu dire quand elle avait prédit que je n'arriverais pas à ne pas m'approcher de la fille. Elle avait vu la montée en flèche de la douleur. Mais je pouvais maîtriser la douleur.
        Je ne détruirais pas le futur de Bella. Si j'étais destiné à l'aimer, l'éviter ne serait-il pas le minimum que je puisse faire ?
         Cependant, l'éviter était à la limite du supportable. Je pouvais prétendre l'ignorer, et ne jamais regarder dans sa direction. Je pouvais prétendre qu'elle ne m'intéressait pas. Mais cela s'arrêtait là – simulation, et non réalité. J'étais toujours suspendu à ses lèvres et j’écoutais la moindre de ses inspirations, la moindre de ses paroles.
       Je classai mes tourments en quatre catégories.
         Les deux premiers étaient familiers. Son odeur et son silence. Ou, plutôt – pour assumer mes responsabilités, puisque tout était de ma faute –, ma soif et ma curiosité.

          La soif était le tourment le plus primitif. Maintenant, par habitude, je ne respirais plus du tout en biologie. Bien sûr, il y avait toujours des exceptions – quand je devais répondre à une question, par exemple, et que j'avais besoin de souffle pour parler. Chaque fois que je goûtais l'air autour de la fille, c'était la même chose que le premier jour – le feu, le désir et la violence brutale désespérée de pouvoir se libérer. Il m'était difficile de me raccrocher un tant soit peu à la raison et à la restriction dans ces moments-là. Et, comme au premier jour, le monstre en moi rugissait, si proche de la surface…
       La curiosité était mon tourment le plus constant. La question ne me quittait plus l'esprit : Que pense-t-elle à ce moment précis ? Quand je l'entendais soupirer doucement. Quand elle enroulait une mèche de ses cheveux autour de son doigt d'un air absent. Quand elle jetait ses livres avec plus de force sur la table. Quand elle arrivait en courant en classe, presque en retard. Quand elle tapait du pied impatiemment. Chacun de ses mouvements, attrapés du coin de l'œil, était un mystère qui me rendait fou. Quand elle parlait avec d'autres humains, j'analysais ses moindres paroles et accentuations.
       Pensait-elle ce qu'elle disait ? Il me semblait qu'elle disait souvent ce que l'on attendait d'elle, et cela me rappelait ma famille et notre vie de tous les jours faite d'illusions – nous y étions meilleurs qu'elle.
         À moins que je ne me trompe également à propos de cela, allant imaginer des choses. Pourquoi devrait-elle avoir un rôle à jouer ? Elle était l'une d'entre eux – une adolescente humaine.
         Mike Newton était mon tourment le plus surprenant. Qui aurait cru qu'un mortel aussi banal et ennuyeux puisse être irritant à ce point ? En fait, j'aurai dû ressentir de la gratitude envers cet énervant garçon ; il faisait parler la fille plus que les autres. J'apprenais tant de choses sur elle à travers ces conversations – je travaillais toujours sur ma liste – mais, au contraire, l'implication de Mike dans ce projet ne faisait que m'exaspérer encore plus. Je ne voulais pas que ce soit Mike qui découvre ses secrets. Je voulais le faire moi-même.
     â€¨     Le fait qu'il ne semblait jamais remarquer ses petites révélations, ses lapsus, aidait un peu. Il ne connaissait rien d'elle. Il avait créé dans sa tête une Bella qui n'existait pas – une fille aussi banale que lui. Il n'avait pas remarqué son sens de l'abnégation, ni son courage qui la différenciaient des autres humains ; il n'entendait pas la maturité exceptionnelle de ses paroles. Il ne remarquait pas que quand elle parlait de sa mère, elle ressemblait plus à un parent parlant de son enfant que le contraire – aimante, indulgente, légèrement amusée, et férocement protectrice. Il n'entendait pas la patience de ses mots quand elle feignait de s'intéresser à ses histoires décousues, et ne devinait pas la gentillesse cachée derrière cette patience.
         À travers ses conversations avec Mike, je pus ajouter la qualité la plus importante de ma liste, la plus révélatrice, aussi simple que rare. Bella était bonne. Toutes ses autres qualités menaient à ce tout – gentille, détachée, désintéressée, aimante et courageuse – elle était bonne de bout en bout.
         Ces découvertes utiles ne me faisaient pas aimer le garçon pour autant. La façon possessive avec laquelle il regardait Bella – comme si elle était un lot à gagner – me provoquait autant que ses fantasmes grossiers. Il devenait plus sûr de lui avec le temps, parce qu'elle semblait le préférer à ceux qu'il considérait comme ses rivaux – Tyler Crowley, Éric Yorkie, et même, sporadiquement, moi-même. Il venait s'asseoir sur le bord de notre table, du côté de Bella, avant le début du cours, bavardant, encouragé par ses sourires. Rien que des sourires polis, me disais-je. Quoi qu'il en soit, je m'imaginais souvent en train de l'envoyer d'un revers de main à travers la salle pour le voir heurter le mur du fond… Cela ne le blesserait probablement pas mortellement…
     â€¨     Mike ne pensait pas souvent à moi comme à un rival. Après l'accident, il avait craint que cette expérience partagée ne nous rapproche, Bella et moi, mais clairement, le contraire s'était produit. Avant cela, il s'était inquiété que je choisisse Bella parmi ses pairs pour avoir son attention. Mais maintenant que je l'ignorais autant que les autres, il devenait de plus en plus sûr lui. Que pensait-elle ? Accueillait-elle chaleureusement son attention ?
     â€¨     Et finalement, le dernier de mes tourments, le plus douloureux : l'indifférence de Bella. Tout comme je l'ignorais, elle m'ignorait. Elle n'essayait jamais de me parler. Pour autant que je sache, il ne lui arrivait jamais de penser à moi.
         Cela aurait suffi à me rendre fou – ou même à briser ma résolution de changer le futur – sauf qu'elle me regardait parfois comme elle le faisait avant. Je ne le voyais jamais par moi-même, parce que je ne pouvais pas m'y autoriser, mais Alice nous prévenait toujours au moment où elle allait regarder ; les autres se méfiaient toujours du savoir problématique de la fille.
     â€¨     Cela soulageait un peu ma douleur, de savoir qu'elle me regardait de loin, de temps en temps. Bien sûr, il se pouvait qu'elle se demande juste quel genre de monstre j'étais.
         - Bella va regarder Edward dans une minute. Ayez l'air normal, dit Alice un mardi de mars, et les autres firent attention à bouger et à changer leur poids de jambe de temps en temps comme les humains ; l'immobilité absolue était une marque de notre espèce.
         Je comptais le nombre de fois qu'elle regardait dans ma direction. Cela me faisait plaisir, même si cela n'aurait pas dû, que la fréquence de ses regards ne déclinât pas avec le temps. Je ne savais pas ce que cela signifiait, mais cela me rendait heureux.

         Alice soupira. Si seulement…
     â€¨     - Reste en dehors de ça, Alice, soufflai-je. Ça n'arrivera pas.
     â€¨     Elle fit la moue. Alice était impatiente de former son amitié prévue avec Bella. D'une certaine façon, la fille qu'elle ne connaissait pas lui manquait.
         J'admets que tu es meilleur que je ne l'aurais pensé. Ton futur est redevenu tout embrouillé, insensé. J'espère que tu es heureux.
         - Ça a du sens pour moi.
         Elle grogna délicatement.
         J'essayai de la mettre à l'écart, trop impatient pour parler avec elle. Je n'étais pas de très bonne humeur – plus tendu que je ne laissais aucun d'entre eux le voir. Seul Jasper pouvait voir à quel point j'étais retourné, sentant le stress émaner de moi grâce à sa capacité unique de sentir et influencer les sentiments autour de lui. Cependant, il ne comprenait pas les raisons derrières ces sensations, et – étant donné que j'étais constamment d'une humeur massacrante ces jours-ci – il n'en tenait plus compte.

         Aujourd'hui serait un jour difficile. Plus difficile que les précédents, comme l'avaient annoncé les prévisions d'Alice.
         Mike Newton, ce garçon odieux avec lequel je n'étais pas autorisé à rivaliser, allait demander à Bella de sortir avec lui. Un bal auquel les filles devaient inviter les garçons se profilait à l'horizon, et il espérait vivement que Bella l'y inviterait. Qu'elle ne l'eût pas déjà fait avait ébranlé son assurance. Maintenant, il se trouvait dans une situation inconfortable – j'appréciais son malaise plus que je ne l'aurais dû –, car Jessica Stanley venait de l'inviter au bal. Il ne voulait pas dire "oui", espérant toujours que Bella le choisisse (et le donne vainqueur sur ses rivaux), mais il ne voulait pas dire "non" et risquer de ne pas aller au bal au final. Jessica, blessée par son indécision et devinant la raison derrière celle-ci, en voulait mortellement à Bella.  De nouveau, je ressentis le besoin urgent de me placer entre les pensées noires de Jessica et Bella. Je comprenais bien mieux ce besoin à présent, mais ce n'en était que plus frustrant puisque je ne pouvais pas agir.
         Quand je pense que j'en étais arrivé là ! J'étais complètement obsédé par les insignifiants drames de lycée qu'autrefois je méprisais tant.
     â€¨     Mike se préparait mentalement en marchant jusqu'à la salle de biologie avec Bella. J'écoutai ses efforts en les attendant venir. Le garçon était faible. Il avait attendu ce bal dans le but de ne pas devoir exposer son amourette avant qu'elle n'ait montré une quelconque préférence pour lui. Il ne voulait pas se rendre vulnérable au rejet, et attendait qu'elle fasse le premier pas.

         Lâche.
     â€¨     Il s'assit de nouveau sur notre table, à l'aise par habitude, et j'imaginai le son que ferait son corps en s'écrasant sur le mur opposé avec assez de force pour briser la plupart de ses os.
         - Alors, dit-il à Bella, les yeux fixés sur le sol. Jessica m'a invité au bal.
         - C'est super,
    répondit-elle aussitôt avec enthousiasme.
         Il me fut difficile de ne pas sourire lorsque son ton s'imprima lentement dans l'esprit de Mike. Il avait tablé sur sa consternation.
         - Tu vas bien t'amuser avec Jessica.
         Il chercha précipitamment une réponse adaptée.
         - Eh bien… hésita-t-il, manquant de se dégonfler avant de se reprendre. Je lui ai dit que je devais y réfléchir.

         - Pourquoi ferais-tu une chose pareille ?
    demanda-t-elle.
         Son ton était désapprobateur, mais il contenait également une minuscule touche de soulagement. Qu'est-ce que cela voulait dire ? Une fureur intense et à laquelle je n'étais pas préparé me fit serrer les poings.
     â€¨     Mike n'entendit pas le soulagement. Sa figure était rouge sang – dans mon humeur soudainement féroce, cela retentissait comme une invitation – et il regarda par terre tandis qu'il parlait de nouveau.
     â€¨     - Je me demandais si... si tu avais prévu de m'inviter.
          Bella hésita. Pendant cette seconde d'hésitation, je vis le futur plus clairement qu'Alice ne l'avait jamais vu.

         Bella pouvait dire oui à la question sous-jacente de Mike maintenant, elle pouvait dire non, mais de quelque façon que ce soit, viendrait un jour prochain où elle dirait oui à quelqu'un. Elle était charmante et envoûtante, et les mâles humains n'étaient pas inconscients de ce fait. Qu'elle se décide pour quelqu'un parmi cette foule terne, ou qu'elle attende d'être libérée de Forks, un jour viendrait où elle dirait oui.
         Je vis sa vie comme je l'avais vue précédemment – études, carrière… amour, mariage. Je la vis au bras de son père de nouveau, habillée de gaze blanche, le visage rosi de bonheur alors qu'elle avancerait au son de la marche de Wagner.
       La douleur que je ressentis alors fut pire que tout ce que j’avais jamais ressenti. Un humain aurait agonisé en ressentant cette douleur – un humain n'y aurait pas survécu.
         Et pas seulement de la douleur, mais aussi une rage totale.
         Ma fureur avait besoin d'un exutoire physique. Bien que ce garçon ne soit peut-être pas celui auquel Bella dirait oui, je désirais férocement écraser son crâne dans ma main, en remplacement de celui qu'elle choisirait.
      Je ne compris pas cette émotion – c'était un tel enchevêtrement de douleur et de rage, de désir et de désespoir. Je ne l'avais jamais ressenti jusqu'alors ; je ne pus mettre un nom dessus.
         - Mike, je pense que tu devrais lui dire oui, dit Bella d'une voix douce.
         Les espoirs de Mike s'effondrèrent. Je l'aurais apprécié dans d'autres circonstances, mais j'étais perdu dans le choc qui suivait la douleur – et le remords de ce qu'avaient provoqué la douleur et la rage en moi.
     â€¨     Alice avait raison. Je n'étais pas assez fort.
         À ce moment précis, elle devait voir le futur tournoyer et se transformer, pour redevenir mutilé. Cela lui ferait-il plaisir ?
     â€¨     - Tu as déjà invité quelqu'un ? demanda Mike d'un air maussade.
         Il me jeta un coup d'œil, suspicieux pour la première fois depuis des semaines.
         Je réalisai que j'avais trahi mon intérêt ; ma tête était inclinée dans la direction de Bella. L'envie sauvage dans les pensées de Mike – une envie pour la place de quiconque la fille lui préférerait – mit soudainement un nom sur mon émotion indescriptible.
         J'étais jaloux.

         - Non, dit la fille avec une pointe d'humour dans sa voix. Je ne vais pas au bal.
         À travers tous les remords et la colère, je ressentis du soulagement à ces mots. Soudain, j'avais commencé à considérer mes rivaux.
         - Pourquoi ? demanda Mike, presque impoliment.
         Cela m'offensait qu'il utilise ce ton avec elle. Je retins un grognement.

         - Je vais à Seattle ce jour-là, répondit-elle.
         La curiosité ne fut pas aussi brutale qu'elle l'aurait été avant – maintenant que je prévoyais clairement de découvrir les réponses à tout. Je découvrirais le pourquoi et le comment de cette nouvelle révélation bien assez tôt.
         Le ton de Mike devint désagréablement enjôleur.
         - Est-ce que ça ne peut pas attendre un autre week-end ?
         - Désolée, non. (Le ton de Bella était plus brusque à présent.) Tu ne devrais donc pas faire attendre Jess plus longtemps – c'est impoli.
     â€¨     Son inquiétude pour les sentiments de Jessica apaisa les flammes de ma jalousie. Ce voyage à Seattle était clairement une excuse pour dire non – refusait-elle purement par loyauté envers son amie ? Elle était largement assez désintéressée pour ça. Aurait-elle espéré pouvoir dire oui ? Ou mes deux conclusions étaient-elles fausses ? Était-elle intéressée par quelqu'un d'autre ?
         - Oui, tu as raison, marmotta Mike, si démoralisé que je ressentis presque de la pitié pour lui.
         Presque.
         Il baissa les yeux, me coupant la vue de son visage par ses pensées.

         Je n'allais pas tolérer cela. Je me tournai pour lire moi-même son visage, pour la première fois en plus d'un mois. C'était un soulagement terrible de pouvoir m'accorder ceci, comme une grande bouffée d'air pour des poumons humains à moitié noyés.

         Ses yeux étaient fermés, et ses mains pressées contre son visage. Ses épaules étaient penchées vers l'avant en un mouvement de défense. Elle secouait sa tête tout doucement, comme si elle voulait éloigner une pensée de son esprit.

         Frustrant. Fascinant.
         La voix de M. Banner la sortit de sa rêverie, et ses yeux s'ouvrirent lentement. Elle me regarda immédiatement, peut-être sentant mon regard. Elle plongea son regard dans le mien avec la même expression perplexe que celle qui m'avait hanté pendant si longtemps.
     â€¨     Je ne ressentis ni remords, ni culpabilité, ni rage à cet instant. Je savais qu'ils reviendraient, et bientôt, mais pendant ce moment je ressentis une sensation de bien-être étrange et tendue. Comme si j'avais triomphé plutôt que perdu.
         Elle ne détourna pas son regard, bien que je la fixasse avec une intensité peu opportune, essayant vainement de lire ses pensées dans ses yeux de chocolat fondu. Ils étaient pleins de questions, plutôt que de réponses.
     â€¨     Je pus voir le reflet de mes propres yeux, et je vis qu'ils étaient noirs de soif. Cela faisait presque deux semaines que je n'avais pas chassé ; ma volonté avait choisi le mauvais jour pour s'effondrer. Mais la noirceur ne sembla pas l'effrayer. Elle ne détournait toujours pas les yeux, et un rose doux et dévastateur commença à teinter ses joues.
     â€¨     Que pensait-elle en ce moment ?
     â€¨     Je faillis poser cette question à voix haute, mais à ce moment-là, M. Banner appela mon nom. Je pris rapidement la bonne réponse dans sa tête en regardant brièvement dans sa direction.
     â€¨     Je pris une courte inspiration.
         - Le cycle de Krebs.
         La soif me brûla la gorge – raidissant mes muscles et remplissant ma bouche de venin – et je fermai les yeux, essayant de contrôler le désir de son sang qui faisait rage à l'intérieur de moi.

         Le monstre était plus fort qu'avant. Il se réjouissait. Il embrassait ce futur de deux possibilités qui lui donnait une chance sur deux d'obtenir ce qu'il désirait si ardemment. La troisième possibilité, le troisième futur chancelant que j'avais essayé de construire par ma simple volonté s'était effondré – détruit de surcroît par une simple jalousie –, alors qu'il était si proche de son but.
     â€¨     Le remords et la culpabilité me brûlaient avec la soif, et, si j'avais eu la capacité de produire des larmes, elles auraient rempli mes yeux à présent.
         Qu'avais-je fait ?
         Sachant que la bataille était perdue d'avance, il me semblait qu'il n'y avait aucune raison pour que je résiste à ce que je voulais ; je me tournai pour regarder une nouvelle fois la fille.
     â€¨     Elle s’était cachée derrière ses cheveux, mais je pouvais voir à travers une séparation dans sa chevelure, que ses joues étaient d'un rouge cramoisi foncé à présent.
         Le monstre aimait cela.
         Elle ne rencontra plus mon regard, mais elle enroula nerveusement une mèche de ses cheveux foncés autour de ses doigts. Ses doigts délicats, son poignet fin – ils étaient si fragiles, on aurait pu croire que mon souffle à lui seul pourrait les briser net.
     â€¨     Non, non, non. Je ne pouvais pas faire cela. Elle était trop fragile, trop bonne, trop précieuse pour mériter ce destin. Je ne pouvais pas autoriser ma vie à entrer en collision avec la sienne, à la détruire.

         Mais je ne pouvais pas non plus m'éloigner d'elle. Alice avait raison à propos de cela.

         Le monstre en moi siffla de frustration alors que je vacillais, m'engageant dans une voie puis dans l'autre.
     â€¨   Ma brève heure avec elle passa beaucoup trop rapidement. La sonnerie retentit, et elle commença à ramasser ses affaires sans me regarder. Cela me déçut, mais je ne pouvais pas m'attendre au contraire. La façon dont je l'avais traitée depuis l'accident était inexcusable.
         - Bella ? dis-je, incapable de m'en empêcher.
         Ma volonté était déjà réduite en miettes.

         Elle hésita avant de me regarder ; quand elle se retourna, son expression était prudente et méfiante. Je me remémorai qu'elle avait toutes les raisons d'être méfiante. Qu'elle devait l'être.
     â€¨   Elle attendit que je continue, mais je ne fis que la fixer, lisant son visage. Je prenais de courtes inspirations à intervalles réguliers, luttant contre la soif.
         - Qu'est-ce qu'il y a ? dit-elle finalement. Tu recommences à me parler ?
         Il y avait une trace de ressentiment dans sa voix, qui était, comme sa colère, attachante. Cela me donnait envie de sourire.

         Je n'étais pas sûr de quelle façon répondre à sa question. Recommençais-je à lui parler, dans le sens qu'elle entendait ? Non. Pas si je pouvais m'en empêcher. J'essaierais de m'en empêcher.
         - Non, pas vraiment, lui dis-je.
         Elle ferma les yeux, ce qui me frustra. Cela coupait ma seule voie d'accès à ses pensées. Elle prit une longue inspiration sans ouvrir les yeux. Sa mâchoire était serrée. Les yeux toujours fermés, elle parla. Ce n'était clairement pas une habitude humaine pour converser. Pourquoi faisait-elle cela ?
         - Que veux-tu dans ce cas, Edward ?
     â€¨     Le son de mon nom sur ses lèvres fit de drôles de choses dans mon corps. Si j'avais eu un cœur, il se serait affolé.
     â€¨     Mais comment lui répondre ? Par la vérité, décidai-je. J'essaierais d'être aussi sincère que possible avec elle à partir de maintenant. Je ne voulais pas mériter sa défiance, même si avoir sa confiance était impossible.
     â€¨     - Je suis désolé, lui dis-je. (C'était plus vrai qu'elle le ne saurait jamais. Malheureusement, je ne pouvais m'excuser que pour les choses les moins importantes.) Je sais que je suis très malpoli envers toi. Mais c'est mieux ainsi, vraiment.
     â€¨     Ce serait mieux pour elle si je pouvais continuer à être malpoli. Pouvais-je le faire ? Ses yeux s'ouvrirent, toujours aussi prudents.
         - Je ne comprends pas ce que tu veux dire.
     â€¨     J'essayai de faire transparaître dans ma voix autant d'avertissements que je pouvais me le permettre.

         - C'est mieux que nous ne soyons pas amis.
         Elle avait au moins senti cela. Elle était une fille intelligente.
         - Fais-moi confiance.
         Elle plissa les yeux, et je me rappelai que j'avais prononcé ces mots auparavant – juste avant de trahir ma promesse. Je fis la grimace en l'entendant claquer des dents – apparemment, elle s'en souvenait, elle aussi.
         - Vraiment dommage que tu ne t'en sois pas rendu compte plus tôt, dit-elle avec colère. Tu aurais pu t'éviter tous ces regrets.
     â€¨     Je la fixai, sous le choc. Que savait-elle de mes regrets ?
         - Des regrets. Des regrets pour quoi ? demandai-je.
         - Pour ne pas avoir laissé ce stupide van m'écraser ! lâcha-t-elle.

         Je restai paralysé sur place, stupéfait.

    Chapitre 5. Invitations (part.2)

         Comment pouvait-elle penser une chose pareille ? Lui avoir sauvé la vie était la seule chose acceptable que j'avais faite depuis que je l'avais rencontrée. La seule chose dont je n'avais pas honte. La seule et unique chose pour laquelle j'étais content d'exister. Je me battais pour qu'elle vive depuis le premier moment où j'avais senti son odeur. Comment pouvait-elle penser une telle chose de moi ? Comment pouvait-elle remettre en question mon unique bonne action dans tout ce gâchis ?
         - Tu penses que je regrette de t'avoir sauvé la vie ?
         - Je le sais,
    rétorqua-t-elle.
         Son estimation de mes intentions me faisait bouillir de rage.
         - Tu ne sais rien du tout.
         Comme les mécanismes de son esprit étaient tordus ! Elle ne devait pas penser comme le reste des humains. Cela devait expliquer son silence mental. Elle était complètement différente.
         Elle détourna brusquement sa tête, serrant à nouveau les dents. Ses joues étaient rouges, de colère cette fois. Elle jeta ses livres en tas, les prit d'un mouvement sec dans ses bras, et sortit d'un pas décidé sans rencontrer mon regard.
         Même irrité comme je l'étais, il était impossible de ne pas trouver sa colère un peu amusante.
         Elle marchait avec raideur, sans regarder où elle allait, et son pied se prit dans l'encadrement de la porte. Elle trébucha et toutes ses affaires s'éparpillèrent sur le sol. Au lieu de se pencher pour les ramasser, elle resta debout, droite et rigide, sans même regarder par terre, comme si elle n'était pas sûre que les livres vaillent la peine d'être ramassés.
         Je réussis à ne pas rire.
         Il n'y avait personne pour me voir ; je fus à ses côtés en un instant, et eus rassemblé ses livres avant qu'elle ne regarde par terre.
         Elle se pencha à moitié, me vit, et se figea. Je lui tendis ses livres, en prenant garde à ce que ma peau glacée ne touche pas la sienne.
         - Merci, dit-elle d'une voix glaciale et sévère.
         Son ton ramena mon irritation.
         - Je t'en prie, lui répondis-je tout aussi froidement.
         Elle se releva et s'éloigna d'un pas lourd vers son cours suivant.
         Je la suivis du regard jusqu'à ne plus pouvoir voir son visage empreint de colère.
         Le cours d'espagnol passa en un éclair. Mme Goff n'interrogea pas mon air absent – elle savait que mon espagnol était meilleur que le sien, et elle me laissa tranquille – me permettant de songer.
         Donc, je ne pouvais pas ignorer la fille. Cela au moins était évident. Mais cela voulait-il dire que je n'avais d'autre choix que de la détruire ? Cela ne pouvait pas être le seul futur possible. Il devait y avoir un autre choix. Je cherchai à trouver un moyen...
         Je ne prêtai pas vraiment attention à Emmett avant la fin de l'heure. Il était curieux – Emmett n'était pas particulièrement intuitif quand il s'agissait des humeurs des autres, mais il avait perçu le changement évident en moi. Il se demandait ce qui s'était passé pour que j'eusse retiré le masque permanent d'humeur massacrante de mon visage. Il essaya d'identifier le changement, et décida finalement que j'avais l'air plein d'espoir.
         Plein d'espoir ? Était-ce ce de quoi j'avais l'air, vu du dehors ?
         Je réfléchis à l'idée d'espoir en marchant avec lui vers la Volvo, me demandant exactement ce que je pouvais espérer.
         Mais je ne réfléchis pas longtemps. Sensible comme je l'étais aux pensées autour de la fille, le son du nom de Bella dans les pensées de... de mes rivaux, je suppose que je devais l'admettre, attira mon attention. Éric et Tyler, ayant entendu parler – avec beaucoup de satisfaction – de l'échec de Mike, se préparaient à jouer leurs coups.
         Éric était déjà en place, appuyé contre sa camionnette, où elle ne pourrait pas l'éviter. Tyler était sorti en retard de son cours, le professeur rendant un devoir, et il était désespéré de pouvoir encore la rattraper avant qu'elle ne s'échappe.
         Je devais absolument voir cela.
         - Attends les autres ici, d'accord ? murmurai-je à Emmett.
         Il me scruta, soupçonneux, avant de hausser les épaules et d'acquiescer.
         Il a perdu la raison, pensa-t-il, amusé par mon étrange demande.
         Je vis Bella sortir du gymnase, et attendis à un endroit où elle ne me verrait pas la regarder passer.  Alors qu'elle s'approchait de l'embuscade d'Éric, j'avançai à grands pas, mesurant exactement mes pas pour passer à côté d'elle au bon moment.
         - Salut, Éric, l'entendis-je appeler d'une voix amicale.
         Brusquement, sans que je m'y attende, je me sentis très anxieux. Et si cet adolescent dégingandé à la peau malsaine lui plaisait d'une façon ou d'une autre ?
         Éric avala bruyamment sa salive, sa pomme d'Adam dansant de haut en bas.
         - Salut, Bella.
         Elle ne semblait pas consciente de sa nervosité.
         - Quoi de neuf ? demanda-t-elle, ouvrant la porte de sa camionnette sans voir son expression terrifiée.
         - Euh, je me demandais juste... si tu voulais venir au bal de printemps avec moi ?

         Sa voix se cassa.
         Elle le regarda enfin. Était-elle prise au dépourvu, ou contente ? Éric n'osait pas rencontrer son regard, je ne pouvais donc pas voir son visage dans ses pensées.
         - Je croyais que c'étaient les filles qui invitaient les garçons, dit-elle, ayant l'air de se démonter.
         - Eh bien, oui, acquiesça-t-il, l'air misérable.
         Ce garçon me faisait pitié plus qu’il ne m'irritait comme le faisait Mike Newton, mais je ne réussis pas à éprouver de la sympathie pour son angoisse avant que Bella ne lui eût répondu d'une voix douce.
         - Merci de m'inviter, mais je serai à Seattle ce jour-là.
         Il avait déjà entendu cela; c'était quand même une déception.
         - Oh, bredouilla-t-il, osant à peine lever ses yeux au niveau de son nez. Peut-être la prochaine fois.
         - Bien sûr, acquiesça-t-elle.

         Elle se mordit ensuite la lèvre, comme si elle regrettait de lui laisser de l'espoir. J'aimai cela.
         Éric s'effondra sur lui-même et s'éloigna à grands pas, dans la mauvaise direction pour rejoindre sa voiture, sa seule pensée étant de s'échapper.
         Je passai à côté d'elle à ce moment-là, et entendis son soupir de soulagement. Je ris.
         Elle se retourna à ce son, mais je regardai droit devant moi, essayant d'empêcher mes lèvres de trahir mon amusement.
         Tyler était derrière moi, courant presque dans sa hâte de la rattraper avant qu'elle ne puisse s'en aller. Il était plus hardi et confiant que les deux premiers ; il n'avait attendu pour s'approcher de Bella que par respect pour Mike qui clamait son antériorité.
         Je voulais qu'il réussisse à la rattraper pour deux raisons. Si – comme je commençais à le suspecter – toute cette attention contrariait Bella, je voulais savourer sa réaction. Mais, si ce n'était pas cela – si l'invitation de Tyler était celle qu'elle attendait – alors je voulais le savoir aussi.
         Je mesurais Tyler Crowley comme un rival, tout en sachant que c'était mal de le faire. Il avait l'air banal et ennuyeux pour moi, mais que savais-je des préférences de Bella ? Peut-être aimait-elle les garçons banals...
         Je frémis à cette pensée. Je ne serais jamais un garçon banal. Comme c'était bête de ma part de vouloir me poser comme rival pour son affection. Comment pourrait-elle jamais se soucier de quelqu'un qui était, sur tous les plans, un monstre ?
         Elle était trop bonne pour un monstre.
         J'aurais dû la laisser s'échapper, mais ma curiosité inexcusable me garda de faire la bonne chose.  Encore une fois. Mais, et si Tyler manquait sa chance maintenant, seulement pour la contacter plus tard, quand je n'aurais aucune chance de savoir ce qui en résulterait ? Je déboîtai ma Volvo dans le passage étroit, bloquant sa sortie.
         Emmett et les autres étaient en route, mais il leur avait décrit mon étrange attitude, et ils marchaient lentement, essayant de déchiffrer ce que je faisais.
         Je regardai la fille dans mon rétroviseur. Elle fixait d'un regard noir l'arrière de ma voiture sans rencontrer mon regard, ayant l'air de souhaiter conduire un tank plutôt qu'une vieille Chevy toute rouillée.
         Tyler se précipita vers sa voiture et prit sa place dans la file derrière elle, reconnaissant pour mon attitude inexplicable. Il lui fit un signe, essayant d'attirer son attention, mais elle ne le remarqua pas. Il attendit un moment, puis laissa sa voiture, allant flâner près de la vitre passager de la voiture de Bella. Il tapa contre la vitre.
         Elle sursauta, puis le fixa, confuse. Après une seconde, elle baissa la vitre à la main, apparemment avec difficulté.
         - Je suis désolée, Tyler, dit-elle, irritée. Je suis coincée derrière Cullen.
         Elle prononça mon nom de famille d'une voix dure – elle était toujours en colère contre moi.
         - Oh, je sais, dit Tyler, pas du tout dissuadé par l'évidente mauvaise humeur de Bella. Je voulais juste te demander quelque chose pendant qu'on est coincés ici.
         Son sourire était culotté.
         Je fus satisfait de la façon dont elle blêmit en comprenant ce qu'il allait faire.
         - Voudrais-tu me demander d'aller au bal de printemps avec toi ? demanda-t-il, aucune pensée de défaite dans sa tête.
         - Je ne serai pas en ville, Tyler, lui dit-elle, sa voix toujours pleinement irritée.
         - Oui, Mike m'a dit ça.
         - Dans ce cas pourquoi…
    commença-t-elle.
        Il haussa les épaules.
         - J'espérais que c'était juste une excuse facile.
         Ses yeux brillèrent un moment, puis se refroidirent.
         - Désolée, Tyler, dit-elle, n'ayant pas du tout l'air désolé. Je ne serai réellement pas là.
         Il accepta cette excuse, son assurance intacte.
         - C'est pas grave. On a toujours le bal de promo.
         Il se pavana jusqu'à sa voiture.
         J'avais eu raison d'attendre pour voir ça.
         L'expression horrifiée sur son visage n'avait pas de prix. Elle me disait ce que je ne devais pas avoir besoin de savoir si désespérément – qu'elle ne ressentait rien pour ces mâles humains qui espéraient lui faire la cour.
         Et puis, son expression était probablement la chose la plus drôle que j'ai jamais vue.
         Ma famille arriva à ce moment-là, confus par le fait que j'étais, pour changer, en train de me tordre de rire plutôt que d'assassiner du regard tout ce qui bougeait.
         Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ? voulut savoir Emmett.
         Je secouai juste la tête tout en étant pris d'une nouvelle vague de rire quand Bella fit monter le régime de sa bruyante camionnette avec colère. Elle avait l'air de penser à nouveau à son tank.
         - Allons-y ! siffla impatiemment Rosalie. Arrête de faire l'idiot. Si tu peux.
         Ses paroles ne m'agacèrent pas – je m'amusais trop. Mais je fis ce qu'elle demandait.
         Personne ne me parla sur la route du retour. Je continuai à rire tout bas de temps en temps, en repensant à la tête de Bella.
         Au moment de tourner dans le chemin qui menait à la maison – accélérant maintenant qu'il n'y avait plus aucun témoin – Alice ruina ma bonne humeur.
         - Bon, je peux parler à Bella maintenant ? demanda-t-elle soudainement, sans considérer ses paroles avant de les prononcer, ne me donnant ainsi aucun avertissement.
         - Non, répliquai-je sèchement.
         - Pas juste ! Qu'est-ce que j'attends ?
         - Je n'ai rien décidé, Alice.
         - Mais bien sûr que si, Edward.

         Dans sa tête, les deux destins de Bella étaient de nouveau clairs.
         - À quoi bon apprendre à la connaître ? murmurai-je, soudainement morose. Si je vais la tuer de toute façon ?
         Alice hésita une seconde.
         - Tu n'as pas tort, admit-elle.
         Je pris le dernier virage en épingle à cheveux à cent cinquante kilomètre-heure, puis freinai pour m'arrêter à deux centimètres du mur noir du garage.
         - Savoure ta course, dit fièrement Rosalie alors que je m'extrayais de la voiture.
         Mais je n'allais pas courir cette nuit. J'allais chasser.
         Les autres s'étaient préparés à aller chasser demain, mais je ne pouvais pas me permettre d'être assoiffé maintenant. J'en fis trop, buvant plus que de raison, m'empiffrant à nouveau – un petit troupeau de cerf et un ours que je fus chanceux de trouver aussi tôt dans l'année. J'étais si plein que c'en était inconfortable. Pourquoi n'était-ce pas assez ? Pourquoi son odeur devait-elle être plus forte que tout le reste ?
         Je devais chasser pour me préparer au jour suivant, mais, alors que j'étais trop plein pour chasser à nouveau et que le soleil était encore loin de percer, je sus que le jour suivant était trop loin.
         Mes nerfs s'affolèrent lorsque je me rendis compte que j'étais parti rejoindre la fille.
         Je me disputai avec moi-même tout le long du trajet de retour à Forks, mais ce fut mon côté le moins noble qui l'emporta, et je suivis mon plan indéfendable. Le monstre était là, mais bien nourri. Je savais que je resterais à une distance raisonnable d'elle. Je voulais juste savoir où elle était. Je voulais juste voir son visage.
         Il était minuit passé, et la maison de Bella était sombre et calme. Sa camionnette était garée à côté de la voiture de fonction de son père sur la place de parking. Il n'y avait pas de pensée éveillée dans les environs. Je regardai la maison pendant un moment depuis la pénombre de la forêt qui longeait la façade est. L'entrée principale devait probablement être fermée – cela ne poserait aucun problème, excepté qu'il valait mieux que je ne laisse pas de trace de mon passage. Je décidai d'essayer la fenêtre en premier. Presque personne ne se donnait la peine d'y installer des sécurités.
         Je traversai la route déserte et escaladai la façade en une demi-seconde. Pendu d'une main à l'avant-toit de la fenêtre, je regardai à travers la vitre, et mon souffle se coupa.
         C'était sa chambre. Je pouvais la voir dans le petit lit une place, ses couvertures sur le sol et ses draps ondulants autours de ses jambes. Alors que je regardais, elle s'agita et mit un bras sur sa tête. Elle ne ronflait pas, en tout cas pas cette nuit. Avait-elle senti le danger près d'elle ?
         La voyant se retourner à nouveau, je me dégoûtais. En cet instant, je ne valais pas mieux qu'un pervers voyeur. Je n'étais rien d'autre. J'étais pire, bien pire.
         Je détendis mes phalanges, sur le point de me laisser tomber, mais avant cela je m'autorisai un long regard sur son visage.
         Il n'était pas calme. Le petit creux était à nouveau entre ses sourcils et les coins de ses lèvres étaient tournés vers le bas. Ses lèvres tremblèrent, puis se séparèrent.
         - Ok, Maman, murmura-t-elle.
         Bella parlait dans son sommeil.
         Ma curiosité bondit, dépassant de loin ma répugnance pour ce que j'étais en train de faire. Cette petite lucarne vers ses pensées inconscientes et sans défense était incroyablement tentante.
         Je testai la fenêtre ; elle n'était pas verrouillée, mais elle grinçait, sûrement qu'elle n'avait pas été ouverte depuis longtemps. Je la fis glisser lentement, terrorisé à chaque petit grincement de la charpente de métal. La prochaine fois, j'amènerais de l'huile...
          La prochaine fois ? Je secouai la tête, dégoûté à nouveau.
         Je me glissai lentement à l'intérieur.
         Sa chambre était petite – désorganisée mais propre. Il y avait des livres empilés sur le sol à côté de son lit, leur reliure me tournant le dos, et des CD s'étalaient près de son modeste lecteur – le disque du dessus n'était qu'un boîter vide. Des piles de papiers entouraient un ordinateur qui aurait mérité sa place dans un musée réservé aux technologies obsolètes. Des chaussures parsemaient le parquet.
         Je désirais ardemment aller lire les titres de ses livres et de ses disques, mais je m'étais promis de rester à bonne distance, alors à la place, j'allai m'installer dans le rocking-chair dans un coin de la pièce.
         L'avais-je vraiment un jour trouvée banale ? Je pensai à ce premier jour, et à mon dégoût pour tous ces garçons immédiatement intrigués par elle. Mais à présent que je me souvenais de la manière dont son visage avait été représenté dans leur esprit, je ne pouvais comprendre pourquoi je ne l'avais pas immédiatement trouvé belle. Ça semblait si évident.
         À présent que je la regardais – avec ses cheveux sombres ondulant sauvagement autour de son visage pâle, vêtue de son T-shirt élimé et plein de trous et de son vieux pantalon de jogging, ses membres détendus, ses lèvres pleines légèrement entrouvertes – elle me coupait le souffle. Du moins l'aurait-elle fait, pensai-je avec humour, si j'avais respiré.
         Elle ne parla plus. Peut-être que son rêve était terminé.
         J'admirai son visage tout en essayant de penser à un moyen de rendre l'avenir supportable.
         La blesser n'était pas supportable. Cela voulait-il dire que mon seul choix était d'essayer de partir à nouveau ?
         Les autres ne m'en blâmeraient pas à présent. Mon absence ne mettrait personne en danger. Personne n'aurait de soupçons, personne ne ferait le lien avec l'accident.
         J''hésitai comme j'avais hésité cet après-midi, et rien ne semblait possible.
         Je ne pouvais pas espérer rivaliser avec les jeunes humains, que ces humains-là l'attirent où pas. J'étais un monstre. Comment pourrait-elle me voir autrement ? Si jamais elle venait à savoir la vérité à mon sujet, cela l'effraierait et l'écœurerait. Comme les victimes présumées dans les films d'horreur, elle s'enfuirait en hurlant.
         Je me souvins de ce premier jour en biologie... oui, elle s'enfuirait ; et elle aurait bien raison.
         Il était complètement débile d'imaginer que si je l'avais invitée à ce bal ridicule, elle aurait annulé ses plans et accepté ma proposition.
         Je n'étais pas celui à qui elle allait dire oui. C'était quelqu'un d'autre, quelqu'un d'humain et de chaud. Et je ne pourrais même pas me permettre – ce jour-là, lorsqu'elle aurait dit oui – de le traquer et de le tuer, parce qu'elle le mériterait, qui qu'il soit. Elle méritait le bonheur et l'amour plus que quiconque.
         Je lui devais d'agir pour le mieux à présent. À présent que je ne pouvais plus prétendre être sur le point de l'aimer.
         Après tout, cela importait peu, si je partais, parce que Bella ne pourrait jamais me voir comme je désirais qu'elle me vît. Elle ne me verrait jamais comme quelqu'un dont elle pourrait tomber amoureuse.
         Jamais.
         Est-ce qu'un cœur mort et gelé pouvait encore se briser ? Le mien en semblait capable.
         - Edward, dit Bella.
         Je me figeai, regardant ses yeux clos.
         M'avait-elle vu, était-elle éveillée ? Elle semblait endormie, mais sa voix avait été si claire...
         Elle soupira calmement, et bougeant à nouveau, se roulant sur le côté.
         - Edward... répéta-t-elle doucement.
         Elle rêvait de moi.
         Est-ce qu'un cœur mort et gelé pouvait battre à nouveau ? Le mien en semblait capable.
         - Reste, soupira-t-elle. Ne pars pas. Je t'en prie...ne pars pas.
         Elle rêvait de moi, et ce n'était même pas un cauchemar. Elle voulait que je reste avec elle, là dans son rêve.
         Je débattis pour trouver des mots pour nommer les sensations qui se déversèrent en moi, mais aucun mot n'était assez fort pour les contenir. Pendant un long moment, je m'y noyai.
         Quand je refis surface, je n'étais pas le même homme qu'avant.
         Ma vie était un minuit éternel et immuable. Pour moi, c'était inévitable, il serait toujours minuit. Alors comment était-il possible que le soleil se lève, là maintenant, au milieu de ce minuit ?
          A l'instant où j'étais devenu vampire, échangeant mon âme et ma mortalité pour l'immortalité la douleur brûlante de la transformation, j'avais été littéralement gelé. Mon corps s'était transformé en quelque chose qui s'apparentait plus à de la pierre qu'à de la chair, dure et immobile. Ma conscience, aussi, s'était gelée, ma personnalité, mes goûts et mes dégoûts, mes désirs et mes répugnances ; tout s'était figé.
         C'était la même chose pour chacun de nous. Nous étions tous figés. Des pierres vivantes.
         Quand un changement survenait en nous, c'est une chose rare et permanente. Je l'ai vu chez Carlisle, puis plus tard chez Rosalie. L'amour les avait changés d'une façon permanente, éternelle. Plus de quatre-vingts ans s'étaient écoulés depuis que Carlisle avait trouvé Esmé,e et il continuait à la regarder avec les yeux incrédules du premier amour. Il en serait ainsi pour l'éternité.
         De même que pour moi. J'allais aimer cette humaine, si fragile et délicate, pour le restant de mon existence sans limite.
         J'admirais son visage, sentant cet amour pour elle s'ancrer dans chaque portion de mon corps de pierre.
         Elle dormait calmement à présent, un petit sourire aux lèvres.
         Tout en la regardant, je commençai à comploter.
         Je l'aimais, alors j'allais essayer d'être assez fort pour la quitter. Je savais que je n'étais pas assez fort pour le moment. J'allais travailler ce point. Mais peut-être étais-je assez fort pour faire changer le futur de cap.
         Alice avait vu deux avenirs pour Bella, et à présent je comprenais les deux.
         L'aimer ne m'empêcherait pas de la tuer, si je me laissais faire des erreurs.
         Je ne pouvais plus sentir le monstre à présent, je ne le trouvais plus, nulle part en moi. Peut-être que l'amour l'avait réduit au silence. À présent, si je la tuais, ce ne serait pas intentionnel, seulement un effroyable accident.
         J'allais devoir être extrêmement prudent. Je ne devrais jamais, jamais baisser ma garde. J'allais devoir contrôler chacune de mes inspirations, chacun de mes mouvements. J'allais devoir respecter une distance de sécurité permanente.
         Je n'allais pas faire d'erreur.
         Je compris enfin le second futur. J'avais été dérouté par cette vision – que pouvait-il bien se passer pour que Bella se retrouve prisonnière de cette demi-vie immortelle ? Mais à présent – dévasté de désir pour cette fille – je pouvais comprendre comment je pourrais, dans un élan d'impardonnable égoïsme, implorer mon père de me faire cette faveur. L'implorer de lui prendre et sa vie et son âme pour que je puisse la garder près de moi pour toujours.
         Elle méritait mieux.
         Mais je vis un autre avenir, un fil extrêmement fin et fragile sur lequel je pourrais peut-être marcher, si je savais garder l'équilibre.
         Pouvais-je faire cela ? Être avec elle et la garder humaine ?
         Délibérément, je pris une profonde inspiration, puis une autre, laissant son arôme me déchirer comme un feu sauvage. Sa chambre débordait de son parfum, sa fragrance restait accrochée à chaque objet. Ma tête me tournait mais je combattis le vertige. Je devais m'y habituer, si je voulais essayer d'avoir une quelconque relation avec elle. Je pris une autre bouffée d'air brûlant.
         Je la regardai dormir jusqu'à ce que le soleil se lève derrière les nuages à l'est, complotant contre moi.


         Je rentrai à la maison juste après le départ des autres pour le lycée. Je me changeai rapidement, ignorant le regard interrogateur d'Esmée. Elle avait vu comme mon visage rayonnait, et cela l'avait autant soulagée qu'inquiétée. Ma longue mélancolie lui avait fait de la peine, et elle était heureuse de voir que ma douleur semblait s'en être allée.
         Je courus jusqu'au lycée, arrivant quelques secondes après mes semblables. Ils ne se retournèrent pas, alors qu'Alice au moins savait que je me tenais dans le bois qui longeait la chaussée. J'attendis que personne ne regarde, puis sortis du bois comme si de rien n'était pour arriver au milieu des nombreuses voitures.
         J'entendis la camionnette de Bella gronder près du virage, et m'arrêtai derrière une Suburban, d'où je pouvais voir sans être vu.
         Elle roula en direction du parking, fixant ma Volvo un long moment avant de se garer à l'une des places les plus éloignées de ma voiture, en fronçant les sourcils.
         Il était étrange de se rappeler qu'elle était probablement toujours fâchée contre moi ; avec de bonnes raisons.
         J'avais envie de me moquer de moi, ou de me gifler. Tout mon complot ainsi que mes plans étaient entièrement caduques si de son côté elle n'éprouvait rien pour moi, n'est-ce pas ? Son rêve avait sûrement dû porter sur quelque chose de complètement banal. Je n'étais qu'un crétin arrogant.
         De toute façon, il valait mieux pour elle qu'elle ne ressente rien pour moi. Cela ne m'empêcherait pas de la harceler, mais ça l'avertirait en tout cas que je la harcelais. Je lui devais bien ça.
         J'avançai dans sa direction silencieusement, me demandant quel était le meilleur moyen de l'approcher.
         Elle me facilita la tâche. Les clés de sa voiture glissèrent de ses doigts alors qu'elle sortait de sa camionnette, et tombèrent dans une flaque d'eau.
         Elle se pencha, mais j'arrivai le premier, les attrapant avant qu'elle n'ait eu à plonger ses doigts délicats dans l'eau froide.
         Je m'adossai à sa camionnette pendant qu'elle se redressait avant de se raidir.
         - Pour quelle raison as-tu fait ça ? brailla-t-elle.
         Oui, elle était toujours fâchée.
         - Fait quoi ? demandai-je en lui tendant ses clés.
         Elle tendit sa main, et je laissai tomber les clés dans sa paume. Je pris une profonde inspiration, engloutissant son odeur.
         - Surgi à l'improviste, précisa-t-elle
         - Bella, je ne suis quand même pas responsable si tu es particulièrement inattentive.
         Mes paroles étaient humoristiques, c'était presque une blague. Y'avait-il quelque chose qu'elle ne remarquait pas ?
         Avait-elle remarqué, par exemple, comme ma voix avait enveloppé son nom, comme une caresse ?
         Elle me regarda, n'appréciant pas mon humour. Son rythme cardiaque s'emballa – de colère ? De peur ? Après un moment, elle regarda le sol.
         - Pourquoi ce bouchon, hier soir ? demanda-t-elle, sans me regarder. Je croyais que tu étais censé te comporter comme si je n'existais pas, pas t'arranger pour m'embêter jusqu'à ce que mort s'ensuive.
         Très fâchée. J'allais faire un effort pour arranger les choses avec elle. Je me souvins avoir résolu d'être digne de confiance...
         - Je rendais service à Tyler, histoire de lui donner sa chance.
         Puis je ris. Je ne pus m'en empêcher, repensant à la tête qu'elle avait faite.
         - Espèce de... haleta-t-elle, puis elle s'interrompit, apparemment trop furieuse pour finir.
         La voilà : cette expression, exactement la même. Je retins un nouveau rire. Elle était déjà assez hors d'elle comme ça.
         - Et je ne prétends pas que tu n'existes pas, finis-je.
         C'était ainsi que je devais m'y prendre : rester sur le ton de la conversation, la taquiner. Elle ne comprendrait pas si je lui montrais mes véritables sentiments. Ça l'effraierait. Je devais maîtriser mes sentiments, garder les choses au clair.
         - C'est donc bien ma mort que tu souhaites, puisque le fourgon de Tyler n'y a pas suffi !
         Un éclair de colère me traversa. Pouvait-elle réellement penser une chose pareille ? Il était irrationnel de ma part d'être si offensé, elle ne savait rien de la transformation qui s'était opérée en moi durant la nuit. Mais j'étais tout de même en colère.
         - Bella, tu es complètement absurde, assénai-je.
         Elle rougit et me tourna le dos. Elle commença à s'éloigner.
         Remords. Je n'avais pas le droit de lui en vouloir.
         - Attends ! suppliai-je.
         Elle ne s'arrêta pas, alors je la rattrapai.
         - Désolé pour ces paroles désagréables. Non qu'elles soient fausses (parce qu'il était bel et bien absurde de penser que je puisse vouloir sa mort) mais je n'étais pas obligé de les dire.
         - Et si tu me fichais la paix, hein ?
         Crois moi, voulais-je lui répondre, j'ai essayé.
         Et, à propos, je suis désespérément amoureux de toi.
         Reste clair.

         - Je voulais juste te poser une question, c'est toi qui m'as fait perdre le fil, dis-je en riant.
         Je venais d'avoir une idée lumineuse.
         - Souffrirais-tu d'un dédoublement de la personnalité ? demanda-t-elle.
         Cela y ressemblait fort, en effet. J'étais plutôt lunatique, à cause de toutes ces nouvelles émotions qui me traversaient.
         - Voilà que tu recommences, lui fis-je remarquer.
         - Très bien, soupira-t-elle. Vas-y, pose-la, ta question.
         - Je me demandais si, samedi de la semaine prochaine... (Je vis le choc traverser son visage, et retins un autre rire), tu sais, le jour du bal...
         Elle m'interrompit, me regardant enfin dans les yeux.
         - Essaierais-tu d'être drôle, par hasard ?
         Oui !
         - Et si tu me laissais terminer ?
         Elle attendit en silence, ses dents mordant doucement sa lèvre inférieure.
         Cette vue attira mon attention pendant une seconde. Cela provoqua d'étranges réactions au plus profond de mon enveloppe charnelle jusqu'alors oubliée. Je tentai de les mettre de côté pour pouvoir me concentrer sur mon rôle.
         -J'ai appris que tu allais à Seattle, ce jour là, et j'ai pensé que tu avais peut-être besoin d'un chauffeur, lui proposai-je.
         Je réalisai que, mieux que de l'interroger sur ses projets, je lui demandais de m'inclure dedans.
         Elle me regarda, choquée.
         - Quoi ?
         - As-tu envie qu'on t'accompagne là-bas ?

         Seul dans une voiture avec elle... Ma gorge me brûla à cette seule pensée. Je pris une longue inspiration. Prends-en l'habitude...
         - Qui donc ? me demanda-t-elle, ses yeux montrant à nouveau cette expression abasourdie.
         - Moi, évidemment, dis-je lentement.
         - Pourquoi ?
         Était-il vraiment aussi étonnant que je veuille passer du temps avec elle ? Elle avait vraiment dû interpréter mon ancienne attitude de la pire manière qui soit.
         - Disons, fis-je aussi naturellement que possible, que j'avais l'intention de me rendre à Seattle dans les semaines à venir et, pour être honnête, je ne suis pas persuadé que ta camionnette tiendra le coup.
         Il semblait plus prudent de continuer à la taquiner plutôt que de me permettre d'être sérieux.
         - Ma camionnette marche très bien, merci beaucoup, dit-elle de la même voix surprise.
         Elle recommença à marcher. Je ne la lâchai pas d'une semelle. 
         Elle n'avait pas vraiment dit non, alors j'insistai.
         Dirait-elle non? Que ferais-je si elle refusait?
         - Mais un seul réservoir te suffira-t-il ?
         - Je ne vois pas en quoi ça te concerne.

         Ce n'était toujours pas un non. Et son cœur recommençait à s'emballer, sa respiration à s'accélérer.
         - Le gaspillage des ressources naturelles devrait être l'affaire de tous.
         - Franchement, Edward ! Ton comportement m'échappe. Je croyais que tu ne désirais pas être mon ami.

         Un frisson de ravissement me prit quand elle prononça mon nom.
         Comment pouvais-je répondre clairement à cela tout en restant honnête ? Bon, il était plus important que je sois honnête. Au moins en ce qui concernait ce sujet.
         - J'ai dit que ce serait mieux que nous ne le soyons pas, pas que je n'en avais pas envie.
         - Ben tiens ! Voilà qui éclaire ma lanterne ! railla-t-elle.
         Elle s'arrêta, sous l'auvent de la cantine, et rencontra mon regard à nouveau. Son cœur s'affola. Avait-elle peur ?
         Je pris un grand soin à choisir mes mots. Non, je ne pouvais la quitter, mais peut-être serait-elle assez intelligente pour me quitter, elle, avant qu'il ne soit trop tard.
         - Il serait plus... prudent pour toi de ne pas être mon amie.
         Puis, en plongeant dans les profondeurs de chocolat fondu de ses yeux, je perdis ma désinvolture. Les mots que je prononçai en suite brûlèrent d'une trop grande ferveur.
         - Mais j'en ai assez d'essayer de t'éviter, Bella.
         Elle arrêta de respirer et, vu le temps qu'elle

    mit avant de recommencer, cela m'inquiéta. Combien l'avais-je effrayée ? Eh bien, j'allais avoir la réponse.
         - Viendras-tu à Seattle avec moi ? demandais-je sans cérémonie.
         Elle acquiesça, son cœur battant la chamade.
         Oui. Elle m'avait dit oui. À moi !
         Puis ma conscience refit surface. Combien cela allai-t-il lui coûter?
         - Tu devrais vraiment garder tes distances, la prévins-je.
         M'avait-elle entendu ? Echapperait-elle au futur qui la menaçait ? Pouvais-je faire quoi que ce soit pour la protéger de moi-même ?
         Reste clair, m'ordonnai-je.
         - On se voit en cours.
         Je dus me concentrer pour m'empêcher de courir alors que je m'enfuyais.

     

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  • Chapitre 4. Visions

           Je retournai en cours. C'était la bonne chose à faire, qui me permettrait de passer inaperçu.
         À la fin de la journée, la plupart des autres élèves étaient revenus, eux aussi. Les seuls absents restaient Tyler et Bella – et quelques autres qui avaient probablement profité de l'accident pour sécher les cours.
     â€¨     Il n'aurait pas dû être si dur de faire ce qui était le mieux. Mais, tout l'après-midi, je serrai les dents contre l'envie qui me hantait de sécher les cours, moi aussi – pour aller retrouver la fille.
         Comme un traqueur obsessionnel. Un vampire rôdeur et obsédé.
         Les cours aujourd'hui étaient – ce qui me semblait impossible – encore plus ennuyeux que la semaine précédente. Comme si j'étais dans le coma. Comme si les briques, les arbres, le ciel, les visages autour de moi, avaient perdu leurs couleurs... Je fixai les lézardes au mur.
         Il y avait une autre chose que j'aurais dû faire… et que je n'avais pas faite. Bien sûr, c'était aussi une mauvaise chose. Tout dépendait de la perspective selon laquelle on la voyait.
     â€¨     Selon le point de vue d'un Cullen – pas seulement d'un vampire, mais d'un Cullen, quelqu'un qui appartenait à une famille, ce qui était tellement rare dans notre monde – la bonne chose à faire aurait été dans ces lignes-là :
         - Je suis surpris de te voir en classe, Edward. J'ai entendu dire que tu étais impliqué dans l'horrible accident de voiture de ce matin.
         - C'est le cas, M. Banner, mais j'ai été chanceux.
    (Un sourire amical). Je n'ai pas du tout été blessé… J'aurai aimé pouvoir en dire autant de Tyler et Bella.
         - Comment vont-ils ?
         - Je pense que Tyler va bien... Quelques égratignures superficielles dues au verre du pare-brise. Par contre, je ne suis pas sûr pour Bella.
    (Un froncement de sourcils soucieux.) Il se peut qu'elle ait subi une commotion cérébrale. J'ai entendu qu'elle était assez incohérente pendant un moment – elle avait même des visions. Je sais que les docteurs étaient inquiets…
     â€¨     C'est comme ça que cela aurait dû se passer. Je le devais à ma famille.
         - Je suis surpris de te voir en classe, Edward. J'ai entendu dire que tu étais impliqué dans l'horrible accident de voiture de ce matin.

         - Je n'ai pas été blessé.

         Pas de sourire. M. Banner changea de pied d'appui, mal à l'aise.
         - As-tu une quelconque idée de l'état de Tyler et Bella? J'ai entendu qu'ils avaient eu des blessures...
     â€¨     Je haussai des épaules.
         - Je n'en sais rien.
         M. Banner s'éclaircit la gorge.
         - Euh, bien... dit-il, mon regard froid le forçant à abandonner son interrogatoire.
         Il se dirigea rapidement vers le devant de la classe et commença son cours.
         Ce n'était pas la bonne chose à faire. Sauf si on le voyait d'un point de vue plus obscur.
         Cela semblait juste si… peu galant de calomnier la fille dans son dos, surtout compte tenu du fait qu'elle se prouvait plus digne de confiance que je ne l'aurais cru. Elle n'avait pas dit un mot pour me trahir, bien qu'elle eût de bonnes raisons de le faire. Comment pourrais-je la trahir alors qu'elle n'avait rien fait d'autre à faire que de garder mon secret ?
         J'eus une conversation pratiquement identique avec Mme Goff – en espagnol plutôt qu'en anglais cette fois – et Emmett me lança un long regard.
         J'espère que tu as une bonne explication pour ce qui s'est passé aujourd'hui. Rose t'en veut à mort.
         Je levai les yeux au ciel sans le regarder.
         En fait, j'avais trouvé une explication tout à fait valable. Supposons que je n'aie pas empêché la camionnette d'écraser la fille… J'eus un mouvement de recul à cette pensée. Mais si elle avait été percutée, si, gravement blessée, elle s'était mise à saigner, si son fluide rouge avait coulé, gâché, sur le sol, si l'odeur de son sang frais avait flotté dans l'air…
         Je frémis à nouveau, mais pas seulement d'horreur. Une part en moi frémissait de désir. Non, je n'aurai pas été capable de la regarder saigner sans nous exposer d'une façon bien plus flagrante et choquante.
     â€¨     C'était une excuse tout à fait plausible... mais je ne l'utiliserais pas. C'était trop honteux.
         Et je n'y avais pensé que longtemps après les faits, de toute façon.
         Méfie-toi de Jasper, continua Emmett, inconscient de ma rêverie. Il n'est pas autant en colère... mais il est plus décidé.
         Je vis ce qu'il voulait dire, et pendant un moment la salle sembla tourner autour de moi. Ma rage consumait tout au point qu'un voile rouge recouvrit ma vue. J'eus l'impression d'étouffer.
     â€¨     Bon sang, Edward ! Ressaisis-toi ! me cria Emmett dans sa tête. Sa main appuya sur mon épaule, me retenant à ma place avant que je puisse sauter sur mes pieds. Il utilisait rarement la totalité de sa force – il n'en avait que rarement besoin, étant donné qu'il était tellement plus fort qu'aucun vampire que nous ayons jamais rencontré – mais il l'utilisa en ce moment même. Il retenait mon bras, plutôt que de le tirer vers le bas. S'il avait tiré, la chaise sous moi se serait effondrée.
         Doucement ! ordonna-t-il.
         J'essayai de me calmer, mais c'était difficile. La rage bouillonnait dans ma tête.
         Jasper ne fera rien tant que nous n'aurons pas parlé. Je pensais juste que tu devais connaître la direction de ses pensées.
         Je me concentrai sur le fait de me calmer, et la main d'Emmett se relâcha.
         Essaie de ne pas te donner encore plus en spectacle. Tu as déjà assez d'ennuis comme ça.
         Je respirai profondément et Emmett me relâcha complètement.
         Je fis rapidement le tour de la salle des yeux, mais notre confrontation avait été si brève et silencieuse que seules quelques personnes assises derrière Emmett l'avaient remarquée. Aucune d'entre elles ne sut qu'en penser, et elles laissèrent tomber. Les Cullen étaient bizarres – ce n'était pas nouveau.
     â€¨    Mince, tu es dans un état... ajouta Emmett, la sympathie teintant ses mots.
         - Mords-moi, murmurai-je doucement, et je l'entendis rire tout bas.

         Emmett n'était pas rancunier, et j'aurais probablement dû être plus reconnaissant pour sa nature insouciante. Mais je vis qu'il comprenait la réaction de Jasper, qu'il réfléchissait si ce n'était pas la meilleure possibilité.
     â€¨     Je bouillais de rage, ne la contrôlant plus vraiment. Oui, Emmett était plus fort que moi, mais il ne m’avait jamais battu à la lutte. Il clamait que c'était parce que je trichais, mais lire dans les pensées faisait tout autant partie de moi que sa force immense faisait partie de lui. Nous étions à égalité dans un combat.
         Un combat ? Était-ce ce vers quoi nous allions ? Allais-je devoir me battre contre ma famille pour une humaine que je connaissais à peine ?
     â€¨     Je pensai à cela pendant un moment, pensai à la sensation provoquée par le fait de la tenir, fragile, dans mes bras, en juxtaposition avec Jasper, Rose et Emmett – extraordinairement forts et rapides, des machines à tuer…
     â€¨   Oui, je me battrai pour elle. Contre ma famille. Je frémis.
         Mais ce n'était pas loyal, de la laisser sans défense alors que c'était moi qui l'avais mise en danger.
         Je ne pouvais pas gagner seul, cependant, pas contre eux trois, et je me demandai qui seraient mes alliés.

         Carlisle, certainement. Il ne se battrait contre personne, mais il serait complètement opposé aux desseins de Rose et Jasper. Cela suffirait peut-être. Je verrais…
     â€¨     Esmé, j'en doutais. Elle ne se mettrait pas contre moi non plus, et elle détesterait ne pas être d'accord avec Carlisle, mais elle ferait tout pour garder sa famille intacte. Sa priorité ne serait pas la droiture, mais moi. Si Carlisle était l'âme de notre famille, Esmé en était le cœur. Il nous donnait un leader qui valait la peine d'être suivi ; elle nous le faisait suivre par amour. Nous nous aimions tous les uns les autres – même en étant furieux contre Jasper et Rose, même en prévoyant de les combattre pour sauver la fille, je savais que je les aimais.
     â€¨     Alice… Je n'en avais aucune idée. Cela dépendrait probablement de ce qu'elle verrait venir. J'imaginais qu'elle se mettrait du côté des gagnants.
     â€¨     Donc, je ne devais compter que sur moi-même. Je n'étais pas assez fort pour gagner contre eux tout seul, mais je ne les laisserais pas faire de mal à la fille à cause de moi. Cela pouvait vouloir dire fuir…
     â€¨     Ma rage s'atténua un peu avec le soudain humour noir. J'imaginais comment la fille réagirait si je la kidnappais. Bien sûr, je me trompais à chaque fois que je m'imaginais ses réactions, mais que pourrait-elle ressentir, sinon la terreur ?
         Mais je n'étais pas sûr de la façon de procéder – pour la kidnapper. Je ne pourrais pas supporter d'être près d'elle pendant très longtemps. Peut-être que je ne ferais que la rapporter à sa mère. Même cela serait terriblement dangereux. Pour elle.
     â€¨     Et aussi pour moi, réalisai-je soudainement. Si je la tuais par accident… Je n'étais pas exactement certain de la douleur que cela me causerait, mais cette douleur présenterait de multiples facettes et serait intense.
         Le temps passa vite pendant que je ruminais les complications qui m'attendaient : la dispute qui m'attendait à la maison, le conflit avec ma famille, les extrémités auxquelles je serais peut-être forcé de recourir…
     â€¨     En tout cas, je ne pouvais plus prétendre que la vie en dehors de cette école était monotone. La fille avait changé au moins ça.
     â€¨     Emmett et moi marchâmes silencieusement vers la voiture quand la sonnerie retentit. Il s'inquiétait pour moi, et s'inquiétait pour Rosalie. Il savait de quel côté il serait obligé de se ranger en cas de dispute, et cela l'embêtait.
     â€¨     Les autres nous attendaient dans la voiture, en silence. Nous étions un groupe très silencieux. Il n'y avait que moi qui pouvais entendre les cris.
         Idiot ! Débile ! Crétin ! Abruti ! Imbécile irresponsable et égoïste ! Rosalie maintenait un flot constant d'insultes au volume le plus élevé de sa voix mentale. Cela rendait la lecture des autres pensées difficile, mais je l'ignorai comme je pus.
         Emmett avait raison à propos de Jasper. Il était certain de ce qu'il allait faire.
         Alice était troublée, inquiète pour Jasper, feuilletant des images du futur. Quelle que soit la façon dont Jasper prévoyait d'atteindre la fille, Alice me voyait toujours, le bloquant. Intéressant…. ni Rosalie ni Emmett n'étaient avec lui dans ces visions. Jasper avait donc prévu de travailler seul. Cela égaliserait les chances.
         Jasper était sans aucun doute le meilleur combattant d'entre nous, le plus expérimenté. Mon seul avantage résiderait dans ma capacité à lire dans ses pensées les mouvements qu'il prévoyait de faire avant qu'il ne les fasse.
     â€¨     Je n'avais jamais combattu Emmett et Jasper sinon en plaisantant, juste pour chahuter. Je me sentais mal rien que de penser à faire vraiment du mal à Jasper…
          Non, pas ça. Juste le bloquer. C'était tout.
          Je me concentrai sur Alice, mémorisant les différentes possibilités d'attaque que Jasper envisageait.
     â€¨    Pendant que je faisais cela, ses visions changeaient, s'éloignant de plus en plus de la maison des Swan. Je l'arrêtais toujours plus tôt…
     â€¨     Arrête ça, Edward ! Ça ne peut pas se passer comme ça. Je ne le permettrai pas.
     â€¨     Je ne lui répondis pas, et continuai juste de regarder.
         Elle commença à chercher plus loin, dans le domaine brumeux et peu sûr des possibilités plus distantes. Tout était vague et dans l'ombre.
         Pendant tout le trajet vers la maison, un silence tendu régna. Je me garai dans le grand garage à l'écart de la maison ; la Mercedes de Carlisle était là, à côté de la grosse Jeep d'Emmett, la M3 de Rose et ma Vanquish. J'étais content que Carlisle soit déjà à la maison, ce silence finirait par exploser et je préférais qu'il soit présent au moment où cela se produirait.
     â€¨     Nous nous dirigeâmes directement vers la salle à manger.
         La salle n'était, bien sûr, jamais utilisée dans son but premier. Mais elle contenait une grande table ovale en acajou entourée de chaises – nous étions scrupuleux en ce qui concernait les accessoires qui participaient à notre façade. Carlisle aimait à l'utiliser comme salle de conférence. Dans un groupe comprenant tant de personnalités fortes et disparates, il était parfois nécessaire de discuter les choses calmement en s'asseyant.
         J'eus le sentiment que le fait de s'asseoir n'aiderait pas vraiment aujourd'hui.
Carlisle était assis à sa place habituelle, du côté est de la salle. Esmé était à côté de lui, ils se tenaient la main par-dessus la table.

         Les yeux d'Esmé me sondaient, leur profondeur dorée pleine d'inquiétude.

         Reste. C'était son unique pensée.
         J'aurai souhaité pouvoir sourire à la femme qui était véritablement une mère pour moi, mais je n'avais pas les moyens de la rassurer à ce moment précis.
         Je m'assis de l'autre côté de Carlisle. Esmée tendit sa main libre autour de lui pour la poser sur mon épaule. Elle n'avait aucune idée de ce qui allait débuter maintenant ; ses seules pensées étaient de l'inquiétude pour moi.

         Carlisle avait mieux compris ce qui se tramait. Ses lèvres étaient pincées et son front plissé. L'expression faisait trop vieux pour son visage si jeune.

         Comme chacun s'asseyait, je pus voir les groupes se former.
         Rosalie s'assit directement en face de Carlisle, à l'autre bout de la longue table. Elle me lançait des regards furieux, ne me lâchant pas des yeux.
         Emmett s'assit à côté d'elle, son visage abordant une grimace et ses pensées désabusées.
         Jasper hésita, et alla s'adosser au mur derrière Rosalie. Il était décidé ; peu importait le résultat de la discussion. Je serrai les dents.
     â€¨     Alice fut la dernière à entrer, et ses yeux étaient fixés vers le lointain – le futur, toujours trop indistinct pour en être sûre pour le moment. Sans paraître le remarquer, elle s'assit à côté d'Esmée. Elle se frotta le front comme si elle avait un mal de tête. Jasper, nerveux, considéra un moment la possibilité la rejoindre, mais garda sa place.
         Je pris une grande inspiration. J'avais engendré tout cela, c'était à moi de parler le premier.
     â€¨     - Je suis désolé, dis-je, regardant d'abord Rose, puis Jasper et enfin Emmett. Je ne voulais pas prendre le risque de vous impliquer. C'était irréfléchi, et je prends toutes mes responsabilités pour cette action précipitée.
     â€¨     Rosalie me lança un regard absolument sinistre.
         - Que veux-tu dire par « prendre mes responsabilités » ? Vas-tu réparer ce que tu as fait ?
         - Pas de la façon à laquelle tu penses,
    dis-je, me concentrant pour garder une voix égale. Je serais d'accord pour m'en aller maintenant, si cela arrangeait les choses. Si j'ai la certitude que la fille sera en sécurité, qu'aucun de vous ne la touchera, amendai-je dans ma tête.

         - Non, murmura Esmé. Non, Edward.
         Je tapotai sa main.

         - Il ne s'agit que de quelques années.
         - Esmée à raison, pourtant,
    dit Emmett. Tu ne peux aller nulle part maintenant. Ça serait le contraire d'utile. Nous avons besoin de savoir ce que les gens pensent, aujourd'hui plus que jamais.
         - Alice verra le principal,
    lui répondis-je.
         Carlisle secoua la tête.
         - Je pense qu'Emmett a raison, Edward. La fille parlera plus facilement si tu disparais. C'est tout le monde qui part, ou bien personne.

         - Elle ne dira rien,
    insistai-je rapidement.
         Rose était sur le point d'exploser, et je voulais mettre ce point au clair avant.
     â€¨   - Tu ne connais pas ses pensées, me rappela Carlisle.
         - Je sais au moins cela. Alice, soutiens-moi.
         Alice me regarda avec lassitude.

         - Je ne peux pas savoir ce qui se passera si l'on ignore cela.

         Elle jeta un coup d'œil à Rose et Jasper.
         Non, elle ne pouvait pas voir ce futur, pas tant que Rosalie et Jasper seraient opposés à ignorer l'incident.
         Les paumes de Rosalie s'abattirent violemment sur la table.
         - Nous ne pouvons pas accorder à l'humaine une chance de dire quoi que ce soit. Carlisle, tu dois au moins voir cela. Même si nous décidions de tous disparaître, ce n'est pas sain de laisser des histoires derrière nous. Nous vivons si différemment du reste de notre monde – tu sais qu'il y en a qui utiliseraient la moindre excuse pour nous pointer du doigt. Nous devons absolument faire plus attention que quiconque !
         - Nous avons déjà laissé des rumeurs derrière nous précédemment,
    lui rappelai-je.
         - Des rumeurs et des superstitions, Edward. Pas des témoins oculaires et des preuves !
         - Des preuves !
    me moquai-je.
         Mais Jasper acquiesçait, le regard dur.
         - Rose… commença Carlisle.
         - Laisse-moi finir, Carlisle. On n'a pas besoin d'inventer tout un scénario. La fille s'est cogné la tête aujourd'hui. Imaginons que la blessure se révèle plus sérieuse qu'elle n'y paraissait. (Rosalie haussa les épaules.) Tous les humains s'endorment avec le risque de ne jamais se réveiller. Les autres s'attendront à ce que nous fassions le ménage derrière nous. Techniquement, c'est le travail d'Edward, mais apparemment c'est au-dessus de ses forces. Vous savez que je sais me contrôler. Je ne laisserai aucune preuve derrière moi.
     â€¨     - Oui, Rosalie, nous savons tous quel assassin compétent tu fais,
    grognai-je en montrant mes dents.
         Elle siffla entre ses dents, furieuse.

         - Edward, s'il te plaît, dit Carlisle. (Puis, se tournant vers Rosalie) Rosalie, j'ai fermé les yeux à Rochester parce que je sentais que tu méritais une forme de justice. Les hommes que tu as tués t'avaient fait un tort monstrueux. Nous ne sommes pas dans la même situation ici. La fille Swan est innocente.
         - Ça n'a rien de personnel, Carlisle,
    prononça Rosalie entre ses dents. Il s'agit de nous protéger tous.
         Il y eut un bref moment de silence pendant lequel Carlisle réfléchit à sa réponse. Quand il hocha la tête, le visage de Rosalie s'éclaira. Elle aurait dû réfléchir, pourtant. Même sans ma capacité de lire dans ses pensées, j'aurai pu anticiper ses paroles. Carlisle ne faisait jamais de compromis.
     â€¨     - Je sais que tes intentions sont honorables, Rosalie, mais… j'aimerais vraiment que notre famille vaille la peine d'être protégée. Le… l'accident occasionnel ou perte de contrôle est une part regrettable de ce que nous sommes. (C'était tout lui de s'inclure dans le pluriel, bien qu'il n'ait jamais eu de perte de contrôle, lui.) Assassiner de sang froid une enfant innocente en est une autre. Je pense que le risque qu'elle présente, qu'elle parle de ses soupçons ou pas, n'est rien à côté d'un plus grand risque. Si nous faisons des exceptions pour nous protéger, nous risquons quelque chose de bien plus important. Nous risquons de perdre de vue l'essence de ce que nous sommes.
         Je contrôlai fermement mon expression. Ça n'irait pas du tout si je souriais. Ou si j'applaudissais, ce que j'aurai vraiment aimé pouvoir faire.
     â€¨     Rosalie lui lança un regard noir.

         - C'est être responsable.
         - C'est être insensible
    , la corrigea Carlisle gentiment. Chaque vie est précieuse.
         Rosalie soupira lourdement et fit la moue. Emmett tapota son épaule.
         - Ça se passera bien, Rose, l'encouragea-t-il à voix basse.
         - La question, continua Carlisle, est de savoir si nous devons déménager.
         - Non,
    gémit Rosalie. Nous venons de finir de nous installer. Je n'ai pas envie de recommencer ma terminale encore une fois !

         - Tu pourrais garder ton âge présent, bien sûr,
    dit Carlisle.
         - Et devoir déménager une nouvelle fois dans si peu de temps ? riposta-t-elle.
         Carlisle haussa les épaules.
         - J'aime être ici ! Il y a si peu de soleil, on peut prétendre être presque normaux.
         - Bon, nous ne sommes pas obligés de nous décider maintenant. Nous pouvons attendre et voir si cela devient nécessaire. Edward a l'air d'être sûr du silence de la fille Swan.

         Rosalie grogna.
         Mais je n'étais plus inquiet de Rose. Je voyais qu'elle accepterait la décision de Carlisle, peu importe à quel point je l'exaspérais. Leur conversation portait sur des détails moins importants.
     â€¨   Jasper n'avait pas bougé.
         Je compris pourquoi. Avant d'avoir rencontré Alice, il vivait dans une zone de combats, théâtre d'une guerre permanente. Il savait à quoi l'on se risquait si l'on défiait les lois – il avait vu les suites horribles de ses propres yeux.
         Qu'il n'ait pas essayé de calmer Rosalie avec ses capacités en disait long sur son état d'esprit, non qu'il essayât de l'irriter à présent. Il se maintenait à l'écart de cette conversation – au-dessus.
     â€¨     - Jasper, dis-je.

         Il rencontra mon regard, son visage sans expression.

         - Elle ne paiera pas pour mon erreur. Je ne l'autoriserai pas.
         - Elle en bénéficie, dans ce cas. Elle aurait dû mourir aujourd'hui, Edward. Je ne vois cela que comme un juste retour aux choses.

     â€¨     Je me répétai, accentuant chaque mot.
         - Je n'autoriserai pas cela.
         Ses sourcils se soulevèrent. Il ne s'attendait pas à cela – il n'avait pas imaginé que je me dresserais contre lui pour l'arrêter.
         Il secoua une fois la tête.

         - Je ne laisserai pas Alice vivre dans le danger, si petit soit-il. Tu ne ressens pour personne ce que ressens pour elle, Edward, et tu n'as pas vécu ce que j'ai vécu, que tu aies vu mes souvenirs ou pas. Tu ne comprends pas.
         - Je ne remets en cause aucune de ces choses, Jasper. Mais je te le dis maintenant, je ne t'autoriserai pas à faire du mal à Isabella Swan.

         Nous nous fixâmes réciproquement, pas en nous foudroyant du regard, mais en toisant la position de l'autre. Je le sentais tâter les sensations qui m'entouraient, mesurant ma détermination.

         - Jazz, dit Alice, nous interrompant.

         Il tint mon regard encore un moment, puis la regarda.
         - Ne te donne pas la peine de me dire que tu peux te débrouiller toute seule, Alice. Je le sais déjà. Mais je dois quand même…
         - Ce n'est pas ce que j'allais dire,
    l'interrompit Alice. J'allais te demander une faveur.
         Je vis ce qui était dans ses pensées, et ma bouche s'ouvrit dans une expression de surprise. Je la fixai, choqué, seulement vaguement conscient que tout le monde à part Alice et Jasper me regardait à présent avec une expression prudente.
         - Je sais que tu m'aimes. Merci. Mais j'apprécierais vraiment que tu essayes de ne pas tuer Bella.  Premièrement, Edward est sérieux et je ne veux pas que vous vous battiez. Deuxièmement, elle est mon amie. Tout du moins, elle va le devenir.
         C'était clair comme de l'eau de roche dans sa tête : Alice, souriante, avec son bras glacé entourant les épaules chaudes et fragiles de la fille. Et Bella souriait, elle aussi, son bras autour de la taille d'Alice. La vision était très solide ; seul le temps n'était pas fixé.

         - Mais… Alice… haleta Jasper.
         Je n'arrivai pas à tourner ma tête pour voir son expression. Je n'arrivai pas à m'arracher à l'image dans les pensées d'Alice pour me concentrer sur les siennes.
         - Je vais l'aimer un jour, Jazz. Je serais très en colère contre toi si tu ne la laissais pas vivre.
     â€¨     J'étais encore enchaîné aux pensées d'Alice. Je voyais miroiter le futur tandis que la résolution de Jasper s'effritait devant sa demande inattendue.
     â€¨     - Ah, soupira-t-elle – son indécision avait éclairé un nouveau futur. Vous voyez ? Bella ne dira rien. Il n'y a aucun souci à se faire.
     â€¨     La façon dont elle disait le nom de la fille… comme si elles étaient déjà de proches confidentes…
     â€¨     - Alice, m'étranglai-je, Qu'est-ce que c'est… ça…?
         - Je t'ai bien dit qu'il y avait un changement à venir. Je ne sais pas, Edward.
         Mais elle serra la mâchoire, et je vis qu'il y avait autre chose. Elle était en train d'essayer de ne pas y penser ; elle se concentrait très fort sur Jasper tout d'un coup, bien qu'il soit trop stupéfait pour avoir progressé dans ses décisions pour le moment.
         Elle faisait cela, des fois, quand elle essayait de me cacher quelque chose.
         - Qu'est-ce qu'il y a, Alice ? Qu'est-ce que tu me caches ?
         J'entendis Emmett grommeler. Ça le frustrait toujours quand Alice et moi tenions ce genre de conversation.
     â€¨    Elle secoua la tête, essayant de ne pas me laisser entrer.
         - C'est à propos de la fille ? insistai-je. C'est à propos de Bella ?
         Elle serrait les dents tellement elle était concentrée, mais quand je prononçai le nom de Bella, cela lui échappa. Cela ne dura qu'une minuscule portion de seconde, mais c'était assez.
     â€¨     - NON ! hurlai-je.
         J'entendis ma chaise tomber par terre, et réalisai que j'étais debout.
         - Edward !
         Carlisle s'était levé, lui aussi, sa main sur mon épaule. Je n'avais que vaguement conscience de lui.
    
         - C'est en train de se solidifier, chuchota Alice. Chaque minute, tu es plus décidé. Il n'y a vraiment plus que deux voies pour elle. C'est soit l'une soit l'autre, Edward.
         Je voyais ce qu'elle voyait… mais je ne pouvais pas l'accepter.

         - Non, dis-je de nouveau; il n'y avait pas de volume dans mon démenti.
         Mes jambes semblaient creuses, et je dus m'appuyer contre la table.

         - Quelqu'un aurait-il la gentillesse de nous inclure dans la conversation ? se plaignit Emmett.

    
    - Je dois partir, chuchotai-je à Alice, l'ignorant.
         - Edward, nous en avons déjà parlé, dit Emmett avec force. C'est la meilleure façon de faire parler la fille. En plus, si tu pars, nous ne saurons pas vraiment si elle parle ou pas. Tu dois rester pour t'en occuper.
     â€¨     - Je ne te vois aller nulle part, Edward,
    me dit Alice. Je ne sais pas si tu es encore capable d'aller où que ce soit. Penses-y, ajouta-t-elle silencieusement. Pense à partir.
         Je vis ce qu'elle voulait dire. Oui, l'idée de ne plus jamais revoir la fille était… douloureuse. Mais elle était aussi nécessaire. Je ne pouvais approuver aucun des futurs auxquels je l'avais apparemment condamnée.
     â€¨     Je ne suis pas entièrement sûre de Jasper, Edward, continua Alice. Si tu pars, s’il considère toujours qu'elle est un danger pour nous tous…
     â€¨     - Je ne vois rien de tout cela, la contredis-je, toujours à moitié conscient du public qui nous écoutait.
         Jasper vacillait. Il ne ferait rien qui puisse faire du mal à Alice.
         Pas pour le moment. Mais plus tard…  Tu risquerais sa vie, tu la laisserais sans défense ?
         - Pourquoi est-ce que tu me fais ça ? grognai-je.
         Ma tête tomba dans mes mains. Je n'étais pas le protecteur de Bella. Je ne pouvais pas l'être. Les deux futurs possibles d'Alice n'en étaient-ils pas la preuve ?
     â€¨    Je l'aime, moi aussi. Ou plutôt, je l'aimerai. Ce n'est pas la même chose, mais j'ai envie de l'avoir près de moi pour cette raison.
     â€¨     - … l'aime aussi ? chuchotai-je, incrédule.
         Elle soupira. Tu es vraiment aveugle, Edward. Tu ne vois pas vers quoi tu vas ? Tu ne vois pas où tu es ? C'est inévitable, plus que le soleil se levant à l'est. Regarde ce que je vois…
     â€¨   Je secouai la tête, horrifié.
         - Non.
         J'essayai de repousser les visions qu'elle m'envoyait.
         - Je ne suis pas obligé de suivre cette voie. Je vais partir. Je changerai ce futur.
         -Tu peux essayer,
    dit-elle d'une voix sceptique.
         - Bon, allez ! beugla Emmett.

         - Mais écoute, un peu, siffla Rose à son intention. Alice le voit tomber amoureux d'une humaine ! C'est de l'Edward tout craché !
         Elle eut comme un haut-le-cœur. Je l'entendis à peine.
         - Quoi ? dit Emmett, en sursautant.
         Puis son rire grondant se répercuta dans toute la pièce.
         - C'est ça qu'il se passe ? (Il rit une nouvelle fois.) Bonne chance, Edward.
     â€¨   Je sentis sa main sur mon épaule, et la secouai machinalement. Je ne pouvais pas me concentrer sur lui.
         - Tomber… amoureux d'une humaine ? répéta Esmé d'un ton stupéfait. De la fille qu'il a sauvée ce matin ? Tomber amoureux d'elle ?
     â€¨     - Que vois-tu, Alice ? Exactement,
    insista Jasper.
         Elle se tourna vers lui ; je continuai, paralysé, de regarder son visage de profil.
         - Tout dépend s’il est assez fort ou pas. Soit il la tuera lui-même, (elle se tourna de nouveau vers moi, me foudroyant du regard,) ce qui m'irriterait vraiment, Edward, sans compter ce que cela te ferait à toi, (elle se retourna de nouveau vers Jasper), ou bien elle sera l'une d'entre nous un jour.
     â€¨     Quelqu'un sursauta ; je ne me retournai pas pour voir qui c'était.

         - Cela n'arrivera pas ! criai-je de nouveau. Ni l'un ni l'autre !
     â€¨     Alice ne sembla pas m'entendre.
         - Tout dépend, répéta-t-elle. Il se peut qu'il soit juste assez fort pour ne pas la tuer, mais ce sera vraiment juste. Cela nécessitera un contrôle de soi impressionnant, songea-t-elle. Plus important encore que celui de Carlisle. Il se peut qu'il soit juste assez fort… La seule chose qu'il ne soit pas capable de faire, c'est de s'empêcher de s'approcher d'elle. C'est une cause perdue.
         Je n'arrivais plus à recouvrer la parole. Personne d'autre non plus, à ce qu'il semblait. La salle était complètement silencieuse.
         Je fixai Alice, et tous les autres me fixaient. Je voyais ma propre expression, horrifiée, sous cinq points de vue différents.

         Après un long moment, Carlisle soupira.
         - Eh bien, cela… complique les choses.
         - Plutôt, oui !
    acquiesça Emmett.
         Sa voix était encore proche du rire. Faites confiance à Emmett pour trouver matière à rire dans la destruction de ma vie.
     â€¨     - Je suppose que les plans n'ont pas changé, cependant, dit Carlisle pensivement. Nous resterons et ferons attention. Évidemment, personne ne cherchera à… faire de mal à la fille.
     â€¨     Je me raidis.
          - Non, dit Jasper calmement. Je peux me plier à cela. Si Alice ne voit que deux possibilités…
     â€¨     - Non !

         Ma voix n'était pas un hurlement, ni un grognement menaçant ou un cri de désespoir, mais une sorte de combinaison des trois.
         - Non !

         Je devais partir, pour m'éloigner du bruit de leurs pensées – la suffisance de Rosalie, l'humour d'Emmett, la patience sans limite de Carlisle…
     â€¨    Pire : l'assurance d'Alice. La confiance de Jasper dans cette assurance.

          Pire que tout : la… joie d'Esmée.
     â€¨    Je sortis furieusement mais dignement de la salle. Esmé me toucha le bras en passant, mais je ne répondis pas à son geste.
     â€¨    Je courais avant d'être sorti de la maison. Je passai la rivière en un bond fluide, et courus vers la forêt. La pluie était de retour, tombant si drue que je fus trempé en quelques instants. J'aimais la grande barrière de pluie – elle bâtissait un mur entre moi et le reste du monde. Elle m'enfermait, me permettait d'être seul.

         Je courus vers l'est, par-dessus et au-delà des montagnes sans ralentir ma course, jusqu'à ce que je voie les lumières de Seattle de l'autre côté du bruit. Je m'arrêtai avant de toucher les frontières de la civilisation humaine.
         Enfermé dans un manteau de pluie, complètement seul, je m'obligeai enfin à regarder en face ce que j'avais fait – de quelle façon j'avais mutilé le futur.
         Premièrement, la vision d'Alice et de la fille se tenant les épaules l'une de l'autre – la confiance et l'amitié étaient criantes sur cette image. Les grands yeux chocolat de Bella n'étaient pas perplexes, mais tout aussi secrets – à ce moment-là, il me semblait que c'étaient des secrets heureux. Elle ne tressaillait pas au toucher froid du bras d'Alice.
         Qu'est-ce que cela signifiait ? Combien en savait-elle ? Dans ce futur où elle vivait encore, que pensait-elle de moi ?
     â€¨     Ensuite l'autre image, tellement semblable, mais maintenant remplie d'horreur. Alice et Bella, se donnant toujours l'accolade dans une amitié confiante. Sauf que maintenant il n'y avait aucune différence entre ces bras – ils étaient blancs, lisses comme du marbre, durs comme de l'acier. Les grands yeux de Bella n'avaient plus la couleur du chocolat. Ses iris étaient d'un cramoisi vif et choquant. Je n'arrivai pas à décrypter les secrets dans ces yeux-là – acceptation ou désolation ? Impossible à dire. Son visage était froid et immortel.
     â€¨     Je frissonnai. Je ne pus réprimer les questions, similaires, mais différentes : qu'est-ce que cela voulait dire – comment en était-on arrivé là ? Et que pensait-elle de moi à présent ?
     â€¨     Je pouvais répondre à la dernière. Si je l'avais forcée dans cette vie qui n'en était pas une, vide, par faiblesse et égoïsme, elle ne pouvait que me détester.
         Mais il restait une image horrifiante – pire qu'aucune image que ma tête ait jamais contenue.
     â€¨     Mes propres yeux, d'un cramoisi profond à cause du sang humain, les yeux d'un assassin. Le corps brisé de Bella dans mes bras, blanc cendré, vidé, sans vie. C'était si concret, si clair.
     â€¨     Je ne pouvais pas supporter cette vue. J'essayai de la bannir de mon esprit, essayai de voir quelque chose d'autre, n'importe quoi d'autre. Essayai de revoir l'expression de son visage si vivant qui avait obstrué ma vue pendant la dernière période de mon existence. Inutilement.
     â€¨     La vision lugubre d'Alice me remplissait la tête, et je me tordais mentalement de douleur à l'agonie qu'elle causait. Pendant ce temps, le monstre en moi ne contenait pas sa joie, jubilant de la probabilité de son succès. Ça me rendait malade.

         Cela ne devait pas être permis. Il devait y avoir une façon de contourner le futur. Je ne laisserais pas les visions d'Alice me diriger. Je pouvais choisir une autre voie. Il y avait toujours un choix.
     â€¨     Il devait y en avoir un.


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  • Chapitre 3. Phénomène (part.1)

    Je n'avais vraiment pas soif, mais je décidai tout de même de chasser à nouveau cette nuit-là. De la prévention qui, je le savais pertinemment, serait inefficace.

    Carlisle m'accompagna ; nous n'avions pas été seuls tous les deux depuis que j'étais rentré de Denali. Tandis que nous courions dans la forêt, je l'entendis repenser à ce départ précipité, une semaine auparavant.

    Dans son souvenir, je vis à mes traits, tordus de désespoir. Je ressentis sa surprise et sa soudaine inquiétude.

    - Edward ?

    - Je dois partir, Carlisle. Je dois partir tout de suite.

    - Qu'est-ce qui s'est passé ?

    - Rien. Pour le moment. Mais ça ne durera pas si je reste.

    Il avait attrapé mon bras. Je sentis combien je l'avais blessé en me dégageant.

    - Je ne comprends pas.

    - As-tu déjà… Est-ce qu'un jour tu as…

    Je me vis prendre une profonde inspiration, vis la lueur sauvage dans mes yeux à travers le filtre de sa préoccupation inquiète.

    - As-tu déjà croisé une personne qui, pour toi, sentait meilleur que les autres ? Vraiment meilleur ?

    - Oh.

    Quand j'avais su qu'il comprenait, mon visage s'était décomposé de honte. Il avait à nouveau tendu le bras pour me toucher, m'ignorant quand j'avais à nouveau reculé, et avait posé sa main sur mon épaule.

    - Fais ce qu'il faut pour résister, fils. Tu me manqueras. Tiens, prends ma voiture. Elle est plus rapide.

    Il se demandait à présent s'il avait bien agi en m'éloignant. S'il ne m'avait pas blessé par son manque de confiance.

    - Non, lui murmurai-je tout en courant. C'était ce dont j'avais besoin. J'aurais si facilement pu trahir cette confiance, si tu m'avais dit de rester.

    - Je suis désolé que tu souffres, Edward. Mais tu dois faire tout ton possible pour garder cette fille Swan en vie. Même si ça signifie que tu dois nous quitter encore une fois.

    - Je sais, je sais.

    - Pourquoi es-tu revenu ? Tu sais que je suis très heureux que tu sois là, mais si c'est trop dur…

    - Je n'aimais pas me sentir lâche, admis-je.

    Nous avions ralenti ; nous trottinions presque à travers les ténèbres à présent.

    - C'est mieux que de la mettre en danger. Elle sera partie dans un an ou deux.

    - Tu as raison, je sais.

    Néanmoins, ces mots ne firent qu'accentuer mon envie de rester. La fille serait partie dans un an ou deux…

    Carlisle s'arrêta de courir et je m'arrêtai avec lui ; il se tourna pour examiner mon expression.

    Mais tu ne vas pas t'enfuir, c'est ça ?

    Je baissai la tête.

    Est-ce de l'orgueil, Edward ? Il n'y a aucune honte à…

    - Non, ce n'est pas la fierté qui me retient ici. Plus maintenant.

    Nulle part où aller ?

    J'eus un petit rire.

    - Non. Cela ne m'arrêterait pas, si je pouvais me résoudre à partir.

    - Nous viendrons avec toi, bien sûr, si c'est ce qu'il te faut. Tu n'as qu'à demander. Tu as accepté de déménager plusieurs fois pour les autres sans te plaindre. Ils ne t'en voudront pas.

    Je haussai un sourcil.

    - Enfin si, Rosalie peut-être, mais elle te le doit bien, rit-il. De toute façon, il est préférable que nous partions maintenant sans avoir causé de dégâts, plutôt qu'après qu'une vie ait été perdue.

    Tout son humour avait disparu. Je tressaillis à ces paroles.

    - Oui, acquiesçai-je d'une voix rauque.

    Mais tu ne vas pas partir.

    - Je devrais, soupirai-je.

    - Qu'est-ce qui te retient ici, Edward ? Je n'arrive pas à voir…

    - Je ne sais pas si je peux l'expliquer.

    Même pour moi, cela n'avait aucun sens.

    Il jaugea mon expression pendant un long moment.

    Non, je ne vois pas. Mais je respecterai ton intimité, si tu préfères.

    - Merci. C'est généreux de ta part, quand on voit à quel point je viole l'intimité de tout le monde.

    À une exception près. Et je faisais tout ce que je pouvais pour la contourner.

    - Nous avons tous nos petites manies.

    Il rit à nouveau.

    - On y va ?

    Il venait de humer l'odeur d'un petit troupeau de cerfs. Il m'était difficile de montrer beaucoup d'enthousiasme pour ce qui n'était, même dans les meilleures circonstances, qu'un arôme fade. Pas de quoi me mettre l'eau à la bouche. À présent, avec le souvenir du sang frais de la fille dans mon esprit, celle odeur me soulevait le cœur. Je soupirai.

    - Allons-y, acquiesçai-je, bien que je sache qu'avaler plus de sang ne me serait d'aucune utilité.

    Nous nous tapîmes silencieusement et laissâmes l'odeur peu alléchante nous attirer vers les paisibles cervidés.

     

     

    Il faisait plus froid quand nous rentrâmes. La neige fondue avait gelé ; c'était comme si une fine couche de verre avait tout recouvert – chaque aiguille de pin, chaque fougère, chaque brin d'herbe était couvert de givre.

    Pendant que Carlisle partait s'habiller pour sa relève matinale à l'hôpital, je restai près de la rivière, attendant que le soleil se lève. Je me sentais presque gonflé par la quantité de sang que j'avais ingurgitée, mais je savais que cette absence de soif momentanée ne serait rien quand je m'assiérais à nouveau près de la fille.

    Froid et immobile comme la pierre sur laquelle j'étais assis, je contemplai l'eau sombre qui coulait entre deux blocs de glace, mais mon regard était concentré bien au-delà de sa surface.

    Carlisle avait raison. Je devais quitter Forks. Ils pourraient inventer une histoire pour expliquer mon absence. Échange scolaire en Europe. Visite à des parents éloignés. Fugue d'adolescent. L'histoire en elle-même n'avait aucune importance. Personne ne poserait trop de questions.

    Ce n'était l'affaire que d'un an ou deux, et puis la fille disparaîtrait. Elle mènerait sa vie – elle aurait une vie à mener. Elle irait à l'université quelque part, vieillirait, commencerait une carrière, se marierait peut-être. Je pouvais me le représenter ; je pouvais voir la fille vêtue de blanc avancer à pas mesurés, au bras de son père.

    C'était étrange, la douleur que me causait cette image. Je ne pouvais pas le comprendre. Étais-je jaloux, parce qu'elle avait un futur que je n'aurais jamais ? Cela n'avait pas de sens. Tous les humains autour de moi avaient le même potentiel devant eux – une vie – et je m'arrêtais rarement pour les envier.

    Je devais lui laisser son futur. Arrêter de risquer sa vie. C'était ce qu'il y avait de mieux à faire. Carlisle faisait toujours les bons choix. Je devais l'écouter à présent.

    Le soleil émergea de derrière les nuages, et cette lumière douce fit scintiller tout le sol gelé.

    Un jour de plus, décidai-je. Je la verrais encore une fois. Je pouvais supporter cela. Peut-être mentionnerais-je mon départ imminent, commencerais-je à installer l'histoire…

    Cela allait être difficile ; je le sentais dans la réticence qui me faisait déjà imaginer des excuses pour rester,  pour repousser la limite à deux, trois, quatre jours…Mais je ferais ce qu'il fallait. Je savais que je pouvais faire confiance à l'avis de Carlisle. Et je savais également que j'étais trop en conflit avec moi-même pour prendre la bonne décision seul.

    Beaucoup trop en conflit avec moi-même. Combien de cette réticence venait de ma curiosité, et combien venait de mon appétit insatisfait ?

    Je rentrai à l'intérieur afin de changer de vêtements pour le lycée.

    Alice m'attendait, assise en haut de l'escalier, sur la dernière marche menant au troisième étage.

    Tu vas encore partir, m'accusa-t-elle.

    Je soupirai et hochai la tête.

    Je ne vois pas où tu vas aller cette fois-ci.

    - Je ne le sais pas encore très bien moi-même, murmurai-je.

    Je veux que tu restes.

    Je secouai la tête.

    Peut-être que Jazz et moi pourrions t'accompagner ?

    - Ils auront encore plus besoin de toi, si je ne suis plus là pour surveiller. Et pense à Esmée. Tu lui ferais perdre la moitié de sa famille d'un coup ?

    Tu vas la rendre si triste.

    - Je sais. C'est pour ça que tu dois rester.

    Ce n'est pas pareil que si tu restais ici, et tu le sais.

    - Oui. Mais je dois faire ce qu'il faut.

    Il y a plusieurs façons de faire ce qu'il faut, et plusieurs façons de commettre des erreurs, aussi.

    Pendant un bref moment elle fut entraînée par une de ses étranges visions ; je vis avec elle des images indistinctes vaciller et tourbillonner. Je me vis au milieu d'ombres étranges que je n'arrivais pas à distinguer – des formes brumeuses, imprécises. Et, soudain, je vis ma peau scintiller dans la lumière éclatante du soleil qui filtrait à travers les arbres d'une petite clairière. Je connaissais cet endroit. Il y avait une silhouette dans cette clairière avec moi, mais elle aussi était indistincte, pas assez présente dans la vision pour que je puisse la reconnaître. Les images se désagrégèrent et disparurent, en même temps qu'un million de choix possibles changeaient une fois encore le futur.

    - Je n'ai pas bien vu celle-là, lui dis-je quand la vision devint complètement noire.

    Moi non plus. Ton futur change tellement que je n'ai pas le temps d'en maintenir une seule. Mais je pense que…

    Elle s'interrompit, et parcourut pour moi les souvenirs d'une vaste collection d'autres visions récentes. Elles étaient toutes identiques – floues et vagues.

    - Je pense que quelque chose est en train de changer, cependant, me dit-elle à voix haute. Ta vie semble être â un carrefour décisif.

    Je ricanai, sinistre.

    - Tu te rends compte qu'à t'entendre on dirait une diseuse de bonne aventure ?

    Elle me tira sa petite langue.

    - Mais aujourd'hui, ça va aller, non ? demandai-je, soudain inquiet.

    - Je ne te vois tuer personne aujourd'hui, m'assura-t-elle.

    - Merci, Alice.

    - Va t'habiller. Je ne dirai rien, je te laisserai les mettre au courant quand tu seras prêt.

    Elle se leva et s'élança au bas des escaliers, les épaules légèrement voûtées. Tu me manqueras. Vraiment.

    Oui, elle me manquerait aussi.

    Le trajet vers le lycée fut tranquille. Jasper savait qu'Alice était perturbée par quelque chose, mais il savait également que si elle avait voulu en parler, elle l'aurait déjà fait. Emmett et Rosalie n'avaient rien remarqué, dans un autre de leurs moments, plongés dans le regard l'un de l'autre – c'était presque écœurant à voir de l'extérieur. Nous savions tous à quel point ils étaient amoureux l'un de l'autre. Ou peut-être cela ne me dérangeait-il que parce que j'étais le seul célibataire. Certains jours, il était plus difficile que d'autres de vivre parmi trois couples parfaitement unis. Aujourd'hui était l'un d'eux.

    Peut-être seraient-ils plus heureux sans moi à errer aux alentours, aussi bougon et soupe au lait que le vieillard que j'aurais dû être à présent.

    Bien sûr, la première chose que je fis en arrivant au lycée fut de la chercher du regard. Uniquement dans le but de me préparer.

    Bien.

    Il était embarrassant de voir comment, soudain, mon monde avait l'air vide quand elle n'était pas là – toute mon existence tournait désormais autour d'elle, au lieu de moi-même comme c'était le cas par le passé.

    C'était facile à comprendre, cependant : après quatre-vingts ans de monotonie, le moindre changement devenait un évènement digne du plus grand intérêt.

    Elle n'était pas encore arrivée, mais j'entendais les pétarades de sa camionnette au loin. Je m'adossai à ma Volvo pour l'attendre. Alice resta avec moi, tandis que les autres se dirigèrent vers leurs salles de cours. Mon obsession les ennuyait ; il leur était incompréhensible qu'une humaine me captive aussi longtemps, quel que soit l'attrait de l'odeur de son sang.

    La fille conduisait lentement en tournant le coin de la rue, les yeux rivés sur le sol et les mains crispées sur le volant. Elle avait l'air inquiète à propos de quelque chose. Il me fallut une seconde avant de réaliser ce qu'était ce quelque chose, que tous les humains arboraient la même expression préoccupée. La route était gelée, et ils conduisaient tous plus prudemment que de coutume. Je vis qu'elle prenait ce risque très au sérieux.

    Cela semblait correspondre avec ce que j'avais appris d'elle. Je l'ajoutai à ma petite liste : elle était quelqu'un de sérieux, de responsable.

    Elle ne se gara pas loin de moi, sans toutefois me remarquer accoudé à ma portière, les yeux fixés sur elle. Je me demandai ce qu'elle ferait une fois qu'elle s'en rendrait compte. Rougir et s'éloigner ? C'était ma première hypothèse. Mais peut-être me retournerait-elle mon regard. Peut-être viendrait-elle me parler.

    Je pris une profonde inspiration, emplissant mes poumons au cas où, avec un peu de chance…

    Elle sortit prudemment de sa voiture, tâtant le sol glissant du pied avant de s'y appuyer de tout son poids. Elle ne leva pas les yeux, à ma plus grande frustration. Peut-être devais-je aller lui parler…

    Non, ce serait mal.

    Au lieu d'aller vers les bâtiments, elle se dirigea vers l'arrière de sa voiture, s'accrochant au rebord du plateau arrière d'une drôle de manière, ne faisant pas confiance à sa position précaire. Cela me fit sourire, et je sentis le regard insistant d'Alice sur mon visage. Je n'écoutai pas ce à quoi cela la fit penser – que je m'amusais plus qu'il n'était nécessaire à voir la fille vérifier ses chaînes. Elle avait l'air sur le point de tomber, à voir la façon dont ses pieds commençaient à glisser. Personne d'autre n'avait de problèmes ; s'était-elle garée à l'endroit le plus verglacé ?

    Elle s'immobilisa, fixant le sol avec une expression étrange. Elle semblait… attendrie. Comme si quelque chose à propos de sa roue… l'émouvait ?

    Une fois encore, la curiosité me brûla comme une soif dévorante. C'était comme si je devais absolument savoir à quoi elle pensait – comme si plus rien d'autre n'avait d'importance.

    J'irais lui parler. Elle semblait avoir besoin d'un coup de main, au moins jusqu'à ce qu'elle ne soit plus sur l'asphalte glissante. Mais bien sûr, je ne pouvais pas lui offrir cette aide. J'hésitai, tiraillé en deux. Elle semblait avoir tant d'aversion pour la neige qu'elle n'accueillerait pas ma main glacée avec beaucoup d'enthousiasme. J'aurais dû mettre des gants…

    - NON ! hurla Alice.

    Je fouillai instantanément dans ses pensées, croyant tout d'abord que j'avais fait un mauvais choix et qu'elle m'avait vu commettre un acte inexcusable. Mais cela n'avait rien à voir avec moi.

    Tyler Crowley avait choisi de tourner l'angle du parking à une vitesse bien peu judicieuse. Ce choix l'enverrait déraper sur une plaque de verglas…

    La vision ne vint qu'une demi-seconde avant la réalité. Le fourgon de Tyler apparut au coin de la rue alors que je découvrais la conclusion de l'acte qui avait fait pousser ce cri d'horreur à Alice.

    Non, cette vision n'avait rien à voir avec moi, et pourtant elle avait tout à voir avec moi, car le fourgon – les pneus glissant à ce moment même sur la plaque gelée, formant le pire angle possible – allait déraper et traverser le parking pour écraser la fille qui était involontairement devenue le point central de mon univers.

    Même sans la prémonition d'Alice, il aurait été simple de deviner la trajectoire du véhicule, qui échappait au contrôle de Tyler.

    La fille, qui se tenait précisément au mauvais endroit, à l'arrière de sa camionnette, releva la tête, désorientée par le crissement des pneus. Elle croisa mon regard horrifié puis se retourna pour voir sa mort qui approchait.

    Pas elle ! Ces mots retentirent dans ma tête comme s'ils appartenaient à quelqu'un d'autre.

    Toujours absorbé dans les pensées d'Alice, je vis la vision changer soudain, mais je n'eus pas le temps de voir quelle serait l'issue de cette nouvelle possibilité.

    Je me ruai dans le parking, m'interposant entre le fourgon qui glissait toujours et la fille pétrifiée. Je bougeai si vite que tout autour de moi n'était que formes floues, excepté l'objet de ma concentration. Elle ne me vit pas – aucun œil humain n'aurait pu suivre mon vol –, les yeux toujours fixés sur l'imposant véhicule qui était sur le point de pulvériser son corps contre la carrosserie métallique de sa camionnette.

    Je la saisis par la taille, avec trop de précipitation pour montrer autant de douceur qu'il l'aurait fallu. Durant le centième de seconde entre le moment où je tirai d'un coup sec sa silhouette frêle loin de la trajectoire mortelle et le moment où je m'écrasai sur le sol avec elle dans mes bras, je fus parfaitement conscient de la fragilité de son corps, si vulnérable.

    Quand j'entendis sa tête heurter le sol gelé avec un bruit sourd, j'eus l'impression de me transformer moi aussi en glace.

    Mais je n'eus même pas une seconde entière pour m'assurer de sa santé. J'entendis le van grincer et couiner derrière nous tandis qu'il rebondissait contre la charpente solide de la camionnette de la fille. Il changea de direction, décrivant un arc de cercle, et revint vers elle – comme si elle était un aimant qui l'attirait vers nous.

    Un mot, que je n'avais encore jamais prononcé en présence d'une dame, sortit d'entre mes dents serrées.

    J'en avais déjà trop fait. Pendant que j'avais presque volé dans les airs pour l'écarter de la fourgonnette, j'avais été pleinement conscient de l'erreur que je commettais. Savoir que c'en était une ne m'avait pas arrêté, mais je n'avais pas ignoré le risque que je prenais – que je ne prenais pas que pour moi, mais pour ma famille toute entière.

    L'exposition.

    Et cela n'allait sûrement pas m'aider, mais il était hors de question que j'autorise ce fourgon à réussir dans cette seconde tentative de lui prendre sa vie.

    Je la laissai tomber et tendis les mains, attrapant le fourgon avant qu'il ne puisse toucher la fille. Sa force me projeta violemment contre la voiture garée à côté de celle de Bella, et je pus sentir son châssis se déformer derrière mes épaules. Le van tangua et vacilla contre l'obstacle inflexible de mes bras, puis il se mit à osciller, se balançant d'une manière instable sur les deux roues avant.

    Si je bougeais les mains, sa roue arrière retomberait sur ses jambes.

    Mais pour l'amour du ciel, ces catastrophes ne cesseraient-elles donc jamais ? Y avait-il autre chose qui pourrait encore empirer la situation ? Il était exclu que je reste ainsi, à tenir le fourgon en l'air, en attendant un quelconque secours. Je ne pouvais pas non plus le jeter ; il me fallait penser au conducteur, dont les pensées étaient devenues incohérentes sous l'effet de la panique.

    Avec un grondement intérieur, je repoussai le véhicule pour qu'il se balance loin de nous au moins un instant. Alors qu'il s'apprêtait à retomber sur moi, je l'attrapai par le pare-choc de la main droite tandis que je serrais à nouveau mon bras gauche autour de la taille de la fille et la tirais en arrière, la maintenant fermement contre moi. Son corps bougea mollement tandis que je la projetais en arrière pour que ses jambes évitent le fourgon – était-elle toujours consciente ? Quels dommages lui avais-je infligés dans ma tentative de sauvetage impromptue ?

    Je laissai le van retomber, maintenant qu'il ne pouvait plus la blesser. Il s'écrasa contre le sol, ses vitres volant en éclats à l'unisson.

    Je savais que j'étais en pleine crise. Combien avait-elle vu ? D'autres témoins m'avaient-ils vu me matérialiser à son côté et jongler avec le van tandis que je tentais de l'empêcher de l'écraser ? Ces questions auraient dû être ma plus grande préoccupation.

    Mais j'étais trop inquiet pour me préoccuper réellement de cette exposition autant que je l'aurais dû. Trop affolé à l'idée d'avoir pu la blesser dans mon effort pour la protéger. Trop effrayé de l'avoir si près de moi, sachant ce que je sentirais si je m'autorisais à inhaler. Trop conscient de la chaleur de son corps soyeux, pressé contre le mien – même séparés par le double obstacle de nos manteaux, je pouvais la sentir…

    La première peur était la plus forte. Tandis que les hurlements des témoins commençaient à retentir autour de nous, je me penchai pour examiner son visage, pour voir si elle était consciente – espérant férocement qu'elle ne saignât pas.

    Ses yeux étaient grand ouverts, sous le choc.

    - Bella, lui demandai-je avec empressement. Ça va ?

    - Très bien, dit-elle automatiquement, d'une voix un peu abrutie.

    Le soulagement, si exquis que c'en était presque douloureux, me traversa au son de sa voix. J'inspirai une petite bouffée d'air entre mes dents, et ne m'occupai pas de la brûlure dans ma gorge. Je fus presque heureux qu'elle apparaisse.

    Elle lutta pour s'asseoir, mais je n'étais pas prêt à la relâcher. Cela me semblait, étrangement… plus prudent. Tout du moins, il était mieux que je la retienne contre moi.

    - Attention, la prévins-je. Je crois que tu t'es cogné la tête assez fort.

    Je n'avais détecté aucune odeur de sang – encore heureux – mais cela ne signifiait pas qu'elle n'avait aucune blessure interne. J'eus soudain hâte de l'emmener à Carlisle pour lui faire subir un examen radiologique complet.

    - Ouille, s'exclama-t-elle d'un ton choqué, comique, tandis qu'elle réalisait que j'avais raison à propos de sa tête.

    - C'est bien ce que je me disais.

    Le soulagement rendait la situation comique, me donnait presque le vertige.

    - Comment diable…

    Sa voix s'évanouit, et elle battit des paupières.

    - Comment as-tu réussi à t'approcher aussi vite ?

    Le soulagement devint aigre, et ma bonne humeur disparut. Elle avait remarqué trop de choses. Maintenant qu'il était clair qu'elle était dans un état correct, mon inquiétude pour ma famille reprit le dessus.

    - J'étais juste à côté de toi, Bella.

    Je savais par expérience que si je mentais avec assurance, cela rendrait tout questionneur moins sûr de la vérité.

    Elle se débattit pour bouger à nouveau, et cette fois-ci je la laissai faire. J'avais besoin de respirer pour pouvoir jouer men rôle correctement. J'avais besoin d'espace entre moi et son corps au sang chaud pour qu'il ne s'associe pas avec son parfum pour me submerger. Je m'éloignai d'elle autant que possible dans l'espace restreint qui séparait les deux véhicules accidentés.

    Elle leva les yeux vers moi pour me dévisager, et je lui rendis son regard. Détourner les yeux était une erreur que seul un mauvais menteur commettrait, et j'étais loin d'être un mauvais menteur. Mon expression était douce, rassurante… Cela sembla la troubler. Parfait.

    L'endroit de l'accident était encerclé à présent. Pour la plupart, des élèves, des enfants, qui scrutaient et soulevaient les débris pour voir si un corps mutilé s'y cachait. Ce n'était qu'un brouhaha de cris et un flot de pensées choquées. Je les parcourus une fois pour m'assurer qu'il n'y avait pas de soupçons pour l'instant, puis les étouffai pour me concentrer uniquement sur la fille.

    Elle était distraite par le chahut. Elle jeta un coup d'œil aux alentours, l'air toujours sidérée, et essaya de se remettre sur ses pieds.

    Je posai délicatement ma main sur son épaule pour l'obliger à rester assise.

    - Attends encore un peu.

    Elle semblait aller bien, mais devait-elle pour autant bouger le cou ? À nouveau, je souhaitai que Carlisle soit là. Mes années d'études théoriques de la médecine n'étaient rien en comparaison de ses siècles d'expérience pratique.

    - J'ai froid ! protesta-t-elle.

    Elle avait failli se faire rentrer dedans par un fourgon deux fois d'affilée et paralyser ensuite, mais c'était le froid qui la gênait. Un rire bref passa mes lèvres avant que je me rappelle que la situation n'était pas drôle.

    Bella cligna des yeux et se focalisa sur mon visage.

    - Tu étais là-bas.

    Cela me remit immédiatement les pieds sur terre. Elle jeta un coup d'œil vers le sud, bien qu'il n'y eût plus rien à voir à présent, mis à part la tôle froissée sur le flanc du fourgon.

    - Près de ta voiture.

    - Non.

    - Je t'ai vu ! insista-t-elle ; son ton obstiné lui donnait l'air d'un enfant.

    Elle pointa le menton.

    - Bella, j'étais tout près de toi et je t'ai tirée de là, c'est tout.

    Je plongeai mon regard dans le sien, essayant de lui faire accepter ma version des faits – la seule version plausible. Elle garda la mâchoire serrée.

    - Non.

    J'essayai de rester calme, de ne pas paniquer. Si j'arrivais à l'empêcher de parler pour quelques instants, le temps de détruire l'évidence… et d'infirmer son histoire en divulguant sa blessure à la tête. Il serait facile de réduire cette fille discrète et peu bavarde au silence, normalement. Si seulement elle voulait bien me faire confiance, rien que quelques minutes…

    - S'il te plaît, Bella, lui dis-je d'une voix trop intense, car je voulais soudain qu'elle me fasse vraiment confiance.

    Je le voulais, et c'était mal, car je ne le voulais pas qu'en ce qui concernait l'accident. Un désir idiot. Pourquoi me ferait-elle confiance, à moi ?

    - Pourquoi ? demanda-t-elle, toujours sur la défensive.

    - Fais-moi confiance, plaidai-je.

    - Jure que tu m'expliqueras plus tard.

    Je m'en voulus à moi-même d'avoir à lui mentir à nouveau, alors que je souhaitais tant obtenir sa confiance. C'est pourquoi ma réponse ne fut pas très aimable.

    - D'accord, aboyai-je.

    - Tu as intérêt à tenir parole, répondit-elle sur le même ton.

    Quand les secours s'amassèrent autour de nous – des adultes qui venaient d'arriver, et les autorités qui avaient été appelées ; je pouvais entendre la sirène au loin –, je tentai d'ignorer la fille et de remettre mes priorités dans le bon ordre. Je fouillai tous les esprits du parking, tant les témoins que les badauds arrivés plus tard, mais ne découvris rien de dangereux. Beaucoup étaient surpris de me voir là avec Bella, mais tous conclurent – puisqu'il n'y avait aucune autre explication possible – qu'ils ne m'avaient tout simplement pas remarqué près d'elle avant l'accident.

    Elle était la seule à ne pas accepter cette histoire, mais elle serait considérée comme le témoin le moins fiable. Elle avait été terrifiée, traumatisée, sans parler de la blessure qu'elle avait reçue à la tête. Probablement en état de choc. Il serait normal que son récit soit un peu décousu, non ? Personne ne croirait son histoire plus que celle des autres, si nombreux…

    Je tressaillis en entendant les pensées de Rosalie, Jasper et Emmett qui venaient d'arriver sur les lieux. J'aurais des comptes à leur rendre ce soir.

    Je voulus remettre en forme le capot de la voiture marron contre laquelle je l'avais projetée, mais la fille était tout près. Il me faudrait attendre qu'elle soit distraite.

    Il me fut frustrant d'attendre – avec tant de regards braqués sur moi – alors que les humains se débattaient avec le fourgon, essayant de nous dégager. J'aurais pu les aider, n'eut-ce été que pour accélérer les choses, mais j'avais déjà assez d'ennuis et la fille ne me lâchait pas des yeux. Enfin, ils réussirent à pousser la carcasse du véhicule assez loin pour permettre aux secouristes de nous approcher avec leurs brancards.

    Un visage grisonnant, familier, m'examina du regard.

    - Salut, Edward, lança Brett Warner.

    Il était infirmier, et je le connaissais bien ; il travaillait à l'hôpital avec Carlisle. C'était une chance – la seule chance que j'eusse aujourd'hui – qu'il soit le premier à venir nous voir. Dans ses pensées, je le vis remarquer que j'avais l'air alerte et calme.

    - Tu vas bien, mon garçon ?

    - Parfaitement bien, Brett. Rien ne m'a touché. Mais j'ai peur que Bella aie eu une commotion. Elle s'est cogné la tête quand je l'ai écartée…

    Brett reporta son attention sur la fille, qui me jeta un regard féroce, trahi. Oh, c'était vrai. Elle était un martyr discret, elle préférait souffrir en silence. Toutefois, elle ne contredit pas mon histoire immédiatement, et cela me soulagea quelque peu.

    L'ambulancier qui arriva ensuite essaya d'insister pour que je m'installe sur un brancard, mais il ne me fut pas trop difficile de le dissuader. Je promis que je me laisserais examiner par mon père, et il abandonna. Avec la plupart des humains, il suffisait de parler avec une assurance froide. La plupart des humains, pas la fille, bien sûr. Rentrait-elle dans au moins une norme de son espèce ?

    Tandis qu'ils lui mettaient une minerve – son visage devint écarlate d'embarras –, je profitai de l'inattention générale pour discrètement réarranger du talon la forme de la voiture marron. Seuls mes frères et sœurs remarquèrent ce que je faisais, et j'entendis la promesse mentale d'Emmett de corriger mes éventuelles erreurs.

    Reconnaissant pour son aide – et encore plus reconnaissant de voir que lui, au moins, m'avait déjà pardonné mon choix dangereux –, je fus plus détendu en grimpant sur le siège avant de l'ambulance à côté de Brett.

    Le chef de la police arriva avant qu'ils aient embarqué le brancard de Bella dans l'ambulance. Bien que les pensées du père de Bella ne fussent pas des mots clairs, la panique et la préoccupation qui émanaient de l'esprit de cet homme couvraient toutes les pensées alentour. Une anxiété sans mot mêlée à de la culpabilité, toutes deux immenses, le traversèrent quand il vit sa seule fille sur une civière.

    Le traversèrent pour s'emparer de moi, encore plus fortes. Quand Alice m'avait prévenu que tuer la fille de Charlie Swan le tuerait aussi, elle n'avait pas exagéré.

     

    Chapitre 3. Phénomène (part.2)

    Je baissai la tête de culpabilité en entendant sa voix paniquée.

    - Bella ! cria-t-il.

    - Tout va aussi bien que possible, Char… papa, soupira-t-elle. Je suis indemne.

    L'assurance de sa fille ne calma pas son effroi pour autant. Il se tourna vers le secouriste le plus proche pour lui demander plus d'informations.

    Ce ne fut que lorsque je l'entendis parler, formant des phrases parfaitement cohérentes en dépit de sa panique, que je compris que son anxiété et sa préoccupation n'étaient pas dénuées de mots. C'était juste que… je ne pouvais pas les entendre clairement.

    Hum. Charlie Swan n'était pas aussi silencieux que sa fille, mais je voyais à présent d'où elle le tenait. Intéressant.

    Je n'avais jamais passé beaucoup de temps près de chef de police de la ville. Je l'avais toujours pris pour quelqu'un d'un peu lent d'esprit ; mais maintenant je réalisais que c'était moi qui étais lent. Ses pensées étaient en partie dissimulées, pas absentes. Je ne pouvais en saisir que la teneur, le ton…

    Je tentai d'écouter plus fort, pour voir si je pouvais trouver, dans ce nouveau puzzle moins difficile à élucider, la clé des secrets de la fille. Mais Bella fut embarquée, et l'ambulance démarra.

    Il me fut difficile de m'arracher à cette solution possible au mystère qui en était venu à m'obséder. Mais il fallait que je réfléchisse maintenant – que j'examine ce qui s'était passé ce matin sous tous les angles. Il fallait que j'écoute, pour vérifier que je ne nous avais pas mis en danger au point de devoir partir immédiatement. Il fallait que je me concentre.

    Il n'y avait rien dans les pensées des ambulanciers dont je dusse m'inquiéter. À ce qu'ils pensaient, la fille n'avait rien de sérieux. Et jusqu'ici, Bella s'en tenait à ma version de l'accident.

    Ma priorité, quand nous arrivâmes à l'hôpital, fut d'aller voir Carlisle. Je me précipitai vers les portes automatiques, mais j'étais incapable d'arrêter totalement de surveiller Bella ; je gardai un œil sur elle à travers les pensées des deux infirmiers.

    Il me fut facile de trouver l'esprit familier de mon père. Il était dans son petit bureau, seul – mon second coup de veine en ce jour de malchance.

    - Carlisle.

    Il avait entendu mon approche, et s'alarma dès qu'il vit mon visage. Il sauta sur ses pieds, le visage tournant à un blanc cadavérique. Il se pencha par-dessus son bureau de noyer soigneusement rangé.

    Edward… Tu n'as pas…

    - Non, ce n'est pas ça.      

    Il prit une profonde inspiration. Évidemment. Je suis désolé d'avoir eu cette pensée. Tes yeux, bien sûr, j'aurais dû savoir… Il regarda mes iris toujours dorés avec soulagement.

    - Elle est blessée, Carlisle, ce n'est probablement pas grave, mais…

    - Que s'est-il passé ?

    - Un stupide accident de voiture. Elle était au mauvais endroit au mauvais moment. Mais je ne pouvais rester là à… la laisser se faire écraser…

    Répète, s'il te plaît, je n'ai rien compris. En quoi étais-tu impliqué ?

    - Un fourgon a dérapé sur une plaque de verglas, murmurai-je.

    Je fixai intensément le mur derrière lui en parlant. Au lieu d'une armada de diplômes encadrés, il n'y avait qu'un simple tableau – un de ses préférés, un Hassam inconnu.

    - Elle était sur sa trajectoire. Alice l'a vu venir, mais je n'ai eu que le temps de traverser le parking en courant pour la tirer en arrière. Personne ne l'a remarqué… sauf elle. J'ai aussi dû arrêter le fourgon, mais là encore, personne ne m'a vu… à part elle. Je… Je suis désolé, Carlisle. Je ne voulais pas nous mettre en danger.

    Il contourna le bureau et mit sa main sur mon épaule.

    Tu as fait ce qu'il fallait. Et ça n'a pas dû être facile pour toi. Je suis fier de toi, Edward.

    Je réussis à le regarder dans les yeux.

    - Elle sait qu'il y a un… problème chez moi.

    - Ça n'a pas d'importance. Si nous devons partir, nous partirons. Qu'a-t-elle dit ?

    Je secouai la tête, un peu frustré.

    - Rien pour le moment.

    Pour le moment ?

    - Elle s'en tient à ma version des évènements, mais elle attend une explication.

    Il fronça les sourcils en y réfléchissant.

    - Elle s'est cogné la tête – enfin, c'est moi qui la lui ai cognée, poursuivis-je rapidement. Je l'ai plaquée au sol assez fort. Elle a l'air d'aller bien, mais… je pense qu'il ne sera pas très difficile de discréditer son récit.

    J'eus l'impression d'être parfaitement abject en prononçant ces mots. Carlisle entendit le dégoût dans ma voix. Peut-être cela ne sera-t-il pas nécessaire. Attendons de voir ce qui se passera, d'accord ? Je crois avoir une patiente à ausculter.

    - Oui, s'il te plaît, dis-je. J'ai vraiment peur de lui avoir fait mal.

    Son expression s'égaya. Il se passa la main dans les cheveux – à peine plus clairs que ses yeux – et rit. Ça a été un jour plutôt intéressant pour toi, non ? Dans son esprit, je vis l'ironie de la situation, qui lui semblait drôle. Les rôles s'étaient inversés. Durant cette seconde folle où je m'étais rué à son secours, le tueur s'était transformé en protecteur.

    Je ris avec lui, en me souvenant que Bella n'aurait jamais besoin d'être protégée d'autre chose plus que de moi-même. Mon rire fut cependant un peu amer car, malgré l'incident du fourgon, c'était toujours entièrement vrai.

     

     

    J'attendis seul dans le bureau de Carlisle, une des plus longues heures que j'eusse jamais vécues, écoutant l'hôpital qui grouillait de pensées.

    Tyler Crowley, le conducteur du fourgon, avait l'air plus mal en point que Bella, et l'attention se concentra sur lui tandis qu'elle attendait son tour de passer une radio. Carlisle resta en retrait, faisant confiance au diagnostic de l'assistant qui affirmait qu'elle n'était pas sérieusement blessée. Cela me rendit anxieux, mais je savais qu'il avait raison. Un regard au visage de mon père lui rappellerait immédiatement le mien, et le fait qu'il y avait quelque chose d'étrange à propos de ma famille ; cela pourrait suffire pour la faire parler.

    Car en effet, elle avait un interlocuteur disposé à la conversation. Tyler était consumé par la culpabilité d'avoir failli la tuer, et ses excuses semblaient intarissables. Je vis l'expression de Bella à travers ses yeux, et il était clair qu'elle souhaitait qu'il se taise. Comment faisait-il pour ne pas s'en rendre compte ?

    J'eus un instant de tension quand Tyler lui demanda comment elle s'en était sortie. J'attendis, le souffle court, tandis qu'elle hésitait.

    - Euh..., l'entendit-il dire.

    Puis elle s'arrêta si longtemps que Tyler se demanda si sa question ne l'avait pas troublée. Enfin, elle continua.

    - Edward m'a tirée de là.

    Je soupirai. Et soudain ma respiration s'accéléra. Je ne l'avais encore jamais entendue prononcer mon prénom auparavant. J'aimais la façon dont il sonnait – même si je ne l'entendais que par l'intermédiaire des pensées de Tyler. Je voulus l'entendre moi-même…

    - Edward Cullen, précisa-t-elle, quand Tyler lui dit qu'il ne voyait pas de qui elle parlait.

    Je me retrouvai devant la porte, la main sur la poignée. Mon désir de la voir devenait de plus en plus fort. Je dus me rappeler qu'il me fallait me montrer très prudent.

    - Il était près de moi.

    - Cullen ? Ah. C'est bizarre. Je ne l'ai pas vu. J'aurais juré… Enfin, tout s'est passé si vite. Il va bien ?

    - Il me semble. Il traîne dans les parages. Ils ne l'ont pas couché sur un brancard, lui.

    Je vis son regard pensif, et ses yeux qui se plissèrent, suspicieux. Mais Tyler ne remarqua pas ces petits changements d'expression.

    Elle est pas mal, pensait-t-il, presque surpris. Même toute décoiffée. Pas mon genre, d'habitude, mais… Je devrais l'inviter à sortir. Je me rattraperai demain…

    Je me précipitai dans le hall, en direction des urgences, sans penser une demi-seconde à ce que je faisais. Par chance, l'infirmière entra dans la salle avant moi ; c'était au tour de Bella de passer la radio. Je m'adossai au mur, dans un recoin sombre, essayant de reprendre le contrôle de moi-même pendant qu'on l'éloignait.

    Que Tyler trouve Bella jolie n'avait aucune importance. N'importe qui pouvait le constater. Il n'y avait aucune raison pour que je me sente… Comment me sentais-je, d'ailleurs ? Contrarié ? Furieux était peut-être plus proche de la vérité. Cela n'avait aucun sens.

    Je restai ainsi tant que j'en fus capable, mais l'impatience prit le dessus et je retournai vers la salle des radios. Elle était déjà retournée aux urgences, mais je réussis à entrapercevoir sa radio dans le dos de l'infirmière. Je me sentis plus calme une fois cela fait. Sa tête n'avait rien. Je ne lui avais pas fait de mal, pas vraiment.

    Carlisle me surprit là. Tu as l'air d'aller mieux, commenta-t-il. Je restai à regarder droit devant moi. Nous n'étions pas seuls, le hall était plein de monde.

    Ah, oui. Il accrocha sa radio au négatoscope, mais je n'avais pas besoin d'un second coup d'œil. Je vois. Elle va parfaitement bien. Bien joué, Edward.

    L'approbation de mon père me fit un effet curieux. J'en aurais été heureux si je n'avais pas su qu'il désapprouverait ce que je m'apprêtais à faire. Du moins, qu'il n'approuverait pas s'il connaissait mes motivations réelles…

    - Je crois que je vais aller lui parler avant qu'elle ne te voie, murmurai-je dans un souffle. En ayant l'air naturel, comme si rien ne s'était passé. Essayer d'arranger les choses.

    Ces raisons étaient parfaitement acceptables. Carlisle acquiesça d'un air absent, toujours absorbé par les radios.

    - Hmmm. Bonne idée.

    Je me penchai pour voir ce qui le captivait tant.

    Regarde toutes ces contusions ! Combien de fois sa mère l'a-t-elle laissée tomber ? Carlisle rit de sa plaisanterie.

    - Je commence à croire que cette fille a vraiment la poisse. Elle est toujours au mauvais endroit au mauvais moment.

    Forks est sans nul doute le mauvais endroit pour elle, avec toi dans les parages.

    Je tressaillis.

    Vas-y. Calme le jeu. Je te rejoindrai plus tard.

    Je m'éloignai rapidement, coupable. Peut-être étais-je trop bon menteur, si j'arrivais à duper Carlisle.

    Quand j'arrivai aux urgences, Tyler bredouillait toujours des excuses. La fille tentait d'échapper à ses remords en feignant le sommeil. Elle avait les yeux fermés, mais sa respiration était inégale, et de temps à autre elle agitait impatiemment les doigts.

    Je contemplai son visage pendant un bon moment. C'était la dernière fois que je la verrais. Ce fait provoqua une douleur aiguë dans ma poitrine. Était-ce parce que je laisserais ce puzzle inachevé ? Cette explication n'était pas suffisante.

    Enfin, je pris une profonde inspiration et entrai dans son champ de vision.

    Quand Tyler me vit, il commença à parler, mais je mis un doigt sur ma bouche.

    - Elle dort ?

    Bella ouvrit soudain de grands yeux, le regard braqué sur moi. Puis ils se plissèrent, de colère ou de suspicion. Je souris innocemment en me souvenant que j'avais un rôle à jouer, comme si rien d'inhabituel ne s'était passé ce matin – à part un choc à la tête et un peu trop d'imagination.

    - Hé, Edward, reprit Tyler, je suis désolé…

    Je levai une main pour stopper ses excuses.

    - Il n'y a pas mort d'homme, assurai-je, sardonique.

    Sans y penser, ma plaisanterie personnelle m'arracha un grand sourire.

    Il m'était incroyablement facile d'ignorer Tyler, qui était pourtant allongé à moins de deux mètres de moi, couvert de sang frais. Je n'avais jamais compris comment Carlisle arrivait à faire cela – ignorer le sang de ses patients quand il les soignait. La tentation constante n'était-elle pas trop distrayante, trop dangereuse…? Mais à présent… Je comprenais comment, en se focalisant sur quelque chose de beaucoup plus dur, la tentation n'était rien du tout.

    Même frais et à découvert, le sang de Tyler n'était comparé à celui de Bella. Je gardai mes distances avec elle, m'asseyant sur le bord du lit de son camarade.

    - Alors, quel est le verdict ? lui demandai-je.

    Elle eut une légère moue.

    - Je n'ai rien, mais ils refusent de me relâcher. Explique-moi un peu pourquoi tu n'es pas ficelé à une civière comme nous ?

    Son impatience me fit sourire à nouveau. J'entendais Carlisle approcher.

    - Simple question de relations, dis-je d'un ton léger. Ne t'inquiète pas, je me charge de ton évasion.

    J'observai attentivement son expression quand mon père entra dans la pièce. Elle écarquilla les yeux et resta bouche bée. Je grondai intérieurement. Oui, elle avait certainement remarqué la ressemblance entre nous.

    - Alors, mademoiselle Swan, comment vous sentez-vous ? s'enquit Carlisle.

    Il avait des manières particulièrement chaleureuses, qui mettaient rapidement à l'aise la plupart des patients. Je n'arrivais pas à voir clairement comment elles affectaient Bella.

    - Très bien, répondit-elle d'un ton plat.

    Carlisle accrocha ses radios au négatoscope.

    - Vos radios sont bonnes. Vous avez mal à la tête ? D'après Edward, vous avez subi un sacré choc.

    Elle soupira et ajouta encore « Je vais bien », mais cette fois-ci l'impatience était clairement perceptible dans sa voix. Elle me lança un regard mauvais.

    Carlisle s'approcha d'elle et se mit à lui tâter doucement le crâne jusqu'à ce qu'il trouve la bosse sous ses cheveux.

    Je fus pris au dépourvu par le flot d'émotions qui m'assaillirent. J'avais vu Carlisle travailler avec des humains un bon millier de fois. Des années auparavant, je l'avais même assisté – bien que seulement dans les situations où le sang n'était pas présent. Ce n'était donc pas quelque chose de nouveau pour moi, de le voir agir envers la fille comme s'il était lui aussi humain. J'avais de nombreuses fois envié son contrôle, mais cette émotion était quelque chose de totalement différent. J'enviais plus que son contrôle. J'eus mal en constatant la différence entre lui et moi – lui pouvait la toucher si doucement, sans peur, sachant qu'il ne lui ferait jamais de mal…

    Elle cligna des yeux, et je remuai dans mon siège. Je dus me concentrer un moment pour retrouver une posture détendue.

    - C'est douloureux ?

    Son menton avait eu un léger spasme.

    - Pas vraiment, dit-elle.

    Une autre facette de sa personnalité se mit en place : elle était courageuse. Elle n'aimait pas montrer sa faiblesse.

    Elle était probablement la créature la plus fragile que j'eusse jamais rencontrée, et elle ne voulait pas paraître faible. Un petit rire passa mes lèvres. Elle me décocha un autre regard meurtrier.

    - Bon, votre père vous attend à côté, déclara Carlisle. Vous pouvez rentrer. Mais n'hésitez pas à revenir si vous avez des étourdissements ou des troubles de la vision.

    Son père était là ? Je balayai les pensées dans la salle d'attente bondée, mais je ne réussis pas à trouver sa voix mentale avant qu'elle se remette à parler, l'air anxieux.

    - Je ne peux pas retourner au lycée ?

    - Vous feriez mieux de vous reposer, aujourd'hui, lui conseilla Carlisle.

    Ses yeux papillonnèrent à nouveau vers moi.

    - Et lui, il y retourne ?

    Agir normalement, arranger la situation… ignorer l'effet qu'avait son regard sur moi…

    - Il faut bien que quelqu'un annonce la bonne nouvelle de notre survie, dis-je.

    - En fait, précisa Carlisle, la plupart des élèves semblent avoir envahi les urgences.

    J'avais anticipé sa réaction cette fois – son aversion envers l'attention. Elle ne me déçut pas.

    - Oh, bon sang, gémit-elle en enfouissant sa tête dans ses mains.

    J'appréciai le fait d'avoir enfin deviné juste. Je commençais à la comprendre…

    - Vous préférez rester ici ? lui demanda Carlisle.

    - Non, non ! dit-elle rapidement, balançant ses jambes par-dessus le bord du lit.

    Elle perdit l'équilibre, et s'écroula dans les bras de Carlisle. Il la retint et la remit sur ses pieds. À nouveau, l'envie me submergea.

    - Ça va, dit-elle avant qu'il ne fasse de commentaire, les joues rosies.

    Évidemment, cela ne dérangea pas Carlisle. Il s'assura qu'elle tenait bien debout, et la relâcha.

    - Prenez un peu d'aspirine si vous avez mal, lui conseilla-t-il.

    - Ça n'est pas si affreux que ça.

    Carlisle sourit et signa sa feuille de sortie.

    - Il semble que vous ayez eu beaucoup de chance.

    Elle tourna légèrement la tête pour me toiser, le regard dur.

    - À mettre sur le compte d'Edward La Chance.

    - Ah oui… c'est vrai, acquiesça rapidement Carlisle, ayant entendu dans le ton de sa voix la même chose que moi.

    Elle n'avait pas abandonné tous ses soupçons. Pas encore.

    À toi de jouer, pensa Carlisle. Fais ce que tu penses être le mieux.

    - Merci beaucoup, murmurai-je si bas et si rapidement qu'aucun des deux humains ne m'entendit.

    Carlisle sourit légèrement à mon sarcasme en se tournant vers Tyler.

    - J'ai bien peur que vous ne deviez rester avec nous un peu plus longtemps, déclara-t-il en commençant à inspecter les entailles laissées par les éclats du pare-brise.

    Mais bon, c'était moi qui avais provoqué tous ces ennuis, il était juste que ce soit à moi de tout réparer.

    Bella s'approcha délibérément de moi, ne s'arrêtant que lorsqu'elle fut suffisamment proche de moi pour que c'en soit inconfortable. Je me souvins combien j'avais souhaité, avant tout ce grabuge, qu'elle m'approche… C'était comme une parodie de ce vœu.

    - Je peux te parler une minute ? siffla-t-elle.

    Son haleine tiède caressa mon visage et je dus reculer d'un pas. Son attrait n'avait pas diminué d'un pouce. Chaque fois qu'elle s'approchait de moi, elle réveillait mes instincts les plus répréhensibles, les plus forts. Le venin emplit ma bouche et mon corps se prépara à l'attaquer – à l'attirer violemment vers moi et à presser sa gorge contre mes dents.

    Mon esprit était plus fort que mon corps, mais tout juste.

    - Ton père t'attend, lui rappelai-je, la mâchoire étroitement serrée.

    Elle jeta un œil vers Carlisle et Tyler. Ce dernier ne nous prêtait aucune attention, mais Carlisle était à l'écoute de chacune des mes inspirations.

    Attention, Edward.

    - J'aimerais avoir une petite discussion en privé, si tu veux bien, insista-t-elle à voix plus haute.

    Je voulus lui dire que justement, je ne voulais pas du tout, mais je savais que je devrais y passer à un moment ou à un autre. Autant le faire tout de suite.

    J'étais en proie à bon nombre d'émotions conflictuelles en sortant de la salle, entendant ses enjambées maladroites derrière moi, alors qu'elle essayait de me suivre. J'avais un personnage à endosser à partir de maintenant. Je savais lequel – j'avais le pire rôle envisageable : je serais le méchant. Je mentirais, la ridiculiserais, serais cruel avec elle.

    Cela allait à l'encontre de mes meilleures impulsions – les plus humaines, celles auxquelles je m'étais accroché durant toutes ces années. Je n'avais jamais voulu mériter sa confiance plus qu'en ce moment, où j'allais devoir réduire à néant cette possibilité.

    Savoir que ce souvenir serait le dernier qu'elle aurait de moi rendait les choses encore pires. C'était ma scène d'adieux. Je me tournai vers elle.

    - Alors ? demandai-je froidement.

    Elle se recula légèrement en voyant mon hostilité. Ses grands yeux étaient déroutés, dans la même expression que celle qui m'avait hanté…

    - Tu me dois une explication, dit-elle d'une petite voix ; son visage ivoire avait blêmi.

    Il me fut difficile de conserver une voix cassante.

    - Je t'ai sauvé la vie, je ne te dois rien du tout.

    Elle tressaillit – voir mes mots la blesser me brûla comme de l'acide.

    - Tu as juré, chuchota-t-elle.

    - Bella, tu as pris un coup sur la tête, tu délires.

    Son menton se redressa tout d'un coup.

    - Ma tête va très bien !

    Elle était en colère à présent, et cela me rendit les choses plus faciles. Je croisai son regard furieux, me composant un visage plus inamical encore.

    - Que veux-tu de moi, Bella ?

    - La vérité. Comprendre pourquoi tu me forces à mentir.

    Ce qu'elle voulait était parfaitement justifié ; cela me frustra de devoir le lui refuser.

    - Mais qu'est-ce que tu vas imaginer ?

    Ma voix était presque un grognement ; et ses mots se déversèrent comme un torrent.

    - Je suis sûre que tu n'étais absolument pas à côté de moi. Tyler ne t'a pas vu, alors arrête de me raconter des bobards. Ce fourgon allait nous écraser tous les deux, et ça ne s'est pas produit. Tes mains ont laissé des marques dedans, et tu as aussi enfoncé l'autre voiture. Tu n'as pas une égratignure, le fourgon aurait dû m'écrabouiller les jambes mais tu l'as soulevé…

    Soudain, elle serra les dents tandis que des lames contenues se mettaient à faire briller ses yeux.

    Je la regardai, l'expression railleuse, alors que je ne ressentais qu'un effroi presque admiratif : elle avait tout vu.

    - Tu penses vraiment que j'ai réussi à soulever une voiture ? demandai-je, sarcastique.

    Elle répondit en hochant la tête avec raideur. Ma voix prit un ton encore plus moqueur.

    - Personne ne te croira, tu sais.

    Elle fit un effort pour maîtriser sa colère. Lorsqu'elle me répondit, elle détacha lentement et délibérément chaque mot.

    - Je n'ai pas l'intention de le crier sur les toits.

    Elle le pensait vraiment, je le voyais dans ses yeux. Même furieuse et trahie, elle garderait mon secret.

    Pourquoi ?

    Ce choc ruina mon expression soigneusement étudiée durant une demi-seconde, avant que je ne me reprenne.

    - Dans ce cas, quelle importance ? demandai-je en essayant de retrouver une voix sévère.

    - Pour moi, ça en a. Je n'aime pas mentir, alors tu as intérêt à me donner une bonne raison de le faire.

    Elle me demandait de lui faire confiance. Exactement comme moi, je voulais avoir la sienne. Mais c'était impossible, un pas à ne pas franchir. Je gardai une voix dure.

    - Pourquoi ne pas te contenter de me remercier et oublier tout ça ?

    - Merci, dit-elle en rageant silencieusement, attendant.

    - Tu n'as pas l'intention de renoncer, hein ?

    - Non.

    - Alors…

    Même si je l'avais voulu, je n'aurais pas pu lui dire la vérité. Et je ne le voulais pas. Je préférais qu'elle s'invente une histoire plutôt qu'elle sache ce que j'étais, car rien n'était pire que la vérité – j'étais un cauchemar vivant, sorti tout droit des pages d'un roman d'horreur.

    - …tu risques d'être déçue.

    Nous nous toisâmes. Sa colère était étrangement attachante. Comme un chaton furieux, doux et inoffensif, complètement inconscient de sa propre vulnérabilité.

    Elle se mit à rougir et grinça des dents.

    - Pourquoi t'es-tu donné la peine de me sauver, alors ?

    Sa question n'était pas une de celles auxquelles je m'attendais, et je ne m'étais pas préparé à y répondre. Je perdis pied, sortant du rôle que je jouais. Je sentis mon masque glisser sur mon visage, et lui dis – pour une fois, la seule – la vérité.

    - Je ne sais pas.

    Je mémorisai son visage une dernière fois – il était toujours empreint de colère, et le sang n'avait pas encore reflué de ses joues – puis me détournai et m'éloignai d'elle.


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