• Chapitre 2. A livre ouvert (part.1)

        Je m’adossai contre le talus légèrement enneigé, laissant la poudreuse sèche se tasser sous mon poids. Ma peau s’était refroidie jusqu’à atteindre la température de l’air ambiant, et les petits morceaux de glace semblaient être du velours sur ma peau.
        Le ciel au-dessus de moi était clair, scintillant d’étoiles, d’un bleu éblouissant à certains endroits, et jaunes à d’autres. Les étoiles créaient de majestueuses formes tourbillonnant dans l’univers sombre – une vue magnifique. Délicieusement belle. Ou plutôt, cela aurait dû l’être. Ça l’aurait été si j’avais pu la voir réellement.
        Ça n’allait pas en s’arrangeant. Six jours avaient passé, six jours que je me cachais ici, dans l’étendue sauvage et vide de Denali, mais je n’étais plus libre depuis le moment où j’avais senti son odeur pour la première fois.
        Quand je regardais le ciel scintillant, c’était comme s'il y avait une obstruction entre mes yeux et sa beauté. Cette obstruction était un visage, un visage humain ordinaire, mais je ne semblais pas pouvoir le bannir de mon esprit.
        J’entendis les pensées se rapprocher avant d’entendre les bruits de pas qui les accompagnaient. Le bruit du mouvement était seulement un vague murmure contre la poudreuse.
        Je n’étais pas surpris que Tanya m’ait suivi ici. Je savais qu’elle tournait et retournait cette conversation dans sa tête depuis quelques jours, repoussant l’échéance jusqu’à ce qu’elle soit sûre de ce qu’elle voulait dire.
        Elle apparut à environ cinquante mètres, bondissant au sommet d’un rocher noir, se balançant sur la pointe de ses pieds nus.
        La peau de Tanya était argentée sous les étoiles, et ses longues boucles blondes pâles luisaient, presque roses avec une teinte framboise. Ses yeux ambres brillaient tandis qu’elle m'espionnait, à moitié ensevelie sous la neige, et ses lèvres s'étirèrent lentement en un sourire.
        Exquise. Si j’avais été capable de vraiment la voir. Je soupirai.
        Elle s'accroupit sur le sommet du rocher, le bout de ses doigts touchant la pierre, son corps tendu comme un ressort.
        Boulet de canon, pensa-t-elle.
        Elle décolla en l’air, et sa silhouette devint noire, une ombre tordue tandis qu’elle descendait gracieusement en vrille entre les étoiles et moi. Elle se roula en boule juste  au moment de frapper le tas de neige à mon côté.
        Une tempête de neige s’envola autour de moi. Les étoiles virèrent au noir, et je fus enterré profondément sous les cristaux de glace légers comme des plumes.
        Je soupirai de nouveau, mais je ne bougeai pas pour me dégager. La noirceur sous la neige n’améliora pas ma vue, mais ne me blessa pas non plus. Je voyais toujours le visage.
        - Edward ?
        La neige voleta de nouveau quand Tanya me dégagea vivement. Elle enleva la neige de mon visage impassible, sans rencontrer mon regard.
        - Désolée, murmura-t-elle. C’était une blague.
        - Je sais. C’était drôle.

        Sa bouche se tordit en une moue.
        - Irina et Kate disent que je devrais te laisser seul. Elles pensent que je t'ennuie.    
        - Pas du tout
    , lui assurai-je. Au contraire, c’est moi qui suis impoli – abominablement impoli. Je suis vraiment désolé.
        Tu rentres, n’est ce pas ? pensa-t-elle.
        - Je n’ai pas encore... complètement... décidé.
        Mais tu ne restes pas ici. Ses pensées étaient mélancoliques à présent, tristes.
        - Non. Ça n’a pas l’air de... m’aider.
        Elle grimaça.
        - C’est de ma faute, n’est ce pas ?
        - Bien sûr que non,
    mentis-je.
        Ne fais pas le gentleman.
        Je souris.
        Je te mets mal à l’aise, m’accusa-t-elle.
        - Non.
        Elle leva un sourcil, son expression était si incrédule que je dus en rire. Un rire très court suivit d’un nouveau soupir.
        - Très bien, admis-je. Un petit peu.
        Elle soupira elle aussi, et mit son menton dans ses paumes. Ses pensées étaient tristes.
        - Tu es cent fois plus ravissante que ces étoiles, Tanya. Bien sûr, tu sais déjà tout ça. Ne laisse pas mon obstination saper ta confiance en toi. 
        Je gloussai à l’improbabilité de mes paroles.
        - Je ne suis pas habituée à être rejetée, ronchonna-t-elle, sa lèvre inférieure formant une moue séduisante.
        - Certainement pas, acquiesçai-je, essayant sans grand succès de refouler ses pensées tandis qu’elle fouillait rapidement dans ses souvenirs pour trouver des centaines de conquêtes.
        La plupart du temps, Tanya préférait les hommes humains – premièrement, ils étaient bien plus nombreux, et s’ajoutait l’avantage d’être doux et chaud. Et bien sûr, toujours désireux.
        - Succube, me moquai-je, espérant interrompre ces images vacillantes dans son esprit.
        Elle grimaça, dévoilant ses dents.
         - L’originelle.
        Contrairement à Carlisle, Tanya et ses sœurs avaient développé leur conscience doucement. A la fin, c’était leur penchant pour les hommes humains qui détournèrent les sœurs du massacre. Désormais les hommes qu’elles aimaient... vivaient.
        - Quand tu es arrivé ici, dit lentement Tanya, je pensais que...
        Je savais ce qu’elle avait pensé. Et j’aurais dû deviner qu’elle ressentirait cela. Mais je n’étais pas au mieux de ma forme pour entamer une réflexion analytique en ce moment.
        - Tu pensais que j’avais changé d’avis.
        - Oui,
    dit-elle, la mine renfrognée.
        - Je me sens très mal de jouer ainsi avec tes attentes Tanya. Je ne voulais pas – je ne pensais pas. C’est juste que je suis parti... précipitamment.
        - Je suppose que tu ne me diras pas pourquoi... ?

        Je m'assis et entourais mes bras autour de mes jambes, me blottissant en signe de défense.
        - Je ne veux pas en parler.
        Tanya, Irina et Kate étaient très douées pour cette vie à laquelle je m’étais dévoué. Meilleures, par certains aspects, que Carlisle lui-même. Malgré la proximité extrême qu’elles s’octroyaient avec ceux qui auraient dû être – et avaient été à un moment – leurs proies, elles ne faisaient aucune erreur. J’étais trop honteux pour admettre ma faiblesse devant Tanya.
        - Des problèmes avec les femmes ? devina-t-elle, ignorant ma réticence.
        Je ris d’un rire maussade.
        - Pas de la façon dont tu parles.
        Alors elle se tut. J’écoutais ses pensées tandis qu’elle étudiait différentes possibilités, essayant de décoder le sens de mes paroles.
        - Tu n’y es pas du tout, lui dis-je.
        - Un indice ?
        - S’il te plaît Tanya, laisse tomber.

        Elle se tut de nouveau, toujours spéculative. Je l’ignorai, essayant en vain d’apprécier les étoiles.
        Elle abandonna après un moment, et ses pensées partirent dans une nouvelle direction.
        Où iras-tu, si tu t’en vas ? Chez Carlisle ?
        - Je ne crois pas, murmurai-je.
        Où irais-je? Je ne pouvais pas penser à un seul endroit sur Terre qui présentât un quelconque intérêt pour moi. Il n’y avait rien que j’avais envie de voir ou de faire. Parce que, peu importe ou j’irais, je n’irais jamais vers un endroit – je m’échapperais simplement d’un autre.
        Je détestais cela. Quand étais-je devenu si lâche?
        Tanya enroula ses bras minces autour de mes épaules. Je me raidis, mais ne reculai pas à son contact. Cela n’était rien d’autre qu’un geste amical. Ou presque.
        - Je pense que tu vas rentrer, dit-elle, sa voix reprenant son léger accent russe. Peu importe ce qui... ou qui... qui te hante. Tu va y faire face. C’est bien ton genre.
        Ses pensées étaient aussi assurées que ses mots. J’essayai d’adopter la vision de moi qu’elle se représentait dans sa tête. Celui qui faisait face. Il était plaisant de penser cela de moi-même. Je n’avais jamais douté de mon courage, de ma capacité à faire face aux difficultés, avant cette horrible heure en classe de biologie, il n'y a pas si longtemps.
        J’embrassai sa joue, me retirant promptement lorsqu’elle tourna son visage vers le mien, ses lèvres déjà plissées. Elle sourit d’un air piteux devant ma rapidité.
        - Merci Tanya. J’avais besoin d’entendre tout ça.
        Ses pensées devinrent arrogantes. De rien, j’imagine. J’aimerais que tu sois plus raisonnable sur certains sujets, Edward.
        - Je suis désolé, Tanya. Tu sais que tu es trop bien pour moi. C’est juste... que je n’ai pas encore trouvé ce que je cherche.
        - Eh bien, si tu pars avant que je ne te revoie... au revoir, Edward.
        - Au revoir, Tanya.

        Alors que je disais ces mots, je pouvais le voir. Je pouvais me voir partir. Être assez fort pour retourner au seul endroit où je voulais être.
        - Merci encore.
        Elle fut sur ses pieds en un mouvement agile, puis elle s’échappa, se faufilant à travers la neige si rapidement que ses pieds n’avaient pas le temps de s’enfoncer dedans ; elle ne laissa aucune trace derrière elle. Elle ne regarda pas en arrière. Mon rejet l’avait plus affectée qu’elle ne le laissait croire, même dans ses pensées. Elle ne voudrait pas me voir avant que je ne parte.
        Ma bouche se tordit de chagrin. Je n’aimais pas avoir blessé Tanya, même si ses sentiments n’étaient pas profonds, purs, et en aucun cas, quelque chose que je puisse lui rendre. Cela me faisait me sentir moins qu’un gentleman.
        Je mis mon menton sur mes genoux, et commençai à regarder les étoiles de nouveau, même si je me sentais soudainement pressé de partir. Je savais qu’Alice me verrait revenir à la maison, qu’elle le dirait aux autres. Cela les rendrait heureux – surtout Carlisle et Esmé. Mais je fixai les étoiles pendant un moment, essayant de voir au-delà du visage dans mon esprit. Entre moi et les lumières brillantes dans le ciel, une paire d’yeux marron chocolat perplexes me fixait, semblant se demander ce que cette décision voulait dire pour elle. Bien sûr, je ne pouvais pas être certain que ce soit vraiment l’information que ses yeux cherchaient. Même dans mon imagination, je ne pouvais pas entendre ses pensées. Les yeux de Bella Swan continuaient de me questionner, et les étoiles continuaient de m’échapper. Avec un lourd soupir, j’abandonnai et me levai. Si je courais, je serais de retour chez Carlisle en moins d’une heure...
        Dans la hâte de revoir ma famille – et vraiment désireux d’être le Edward qui faisait face à tout – je courus à travers le champ de neige étoilé, ne laissant aucune empreinte.

        - Ça va aller, souffla Alice.
        Ses yeux n’étaient pas concentrés, et Jasper avait posé une main légère sous son coude, la guidant tandis que nous marchions groupés dans la petite cafétéria. Rosalie et Emmett ouvraient la voie, Emmett ressemblant ridiculement à un garde du corps en milieu hostile. Rose semblait méfiante aussi, mais  plus irritée que protectrice.
        - Bien sûr que oui, grommelai-je.
        Leur comportement était grotesque. Si je n’avais pas été sûr de pouvoir gérer cette situation, je serais resté à la maison.
        Notre matinée normale, presque joueuse avait soudain était bouleversée – il avait neigé dans la nuit, et Emmett et Jasper étaient assez enfantins pour profiter de ma distraction pour me bombarder de boules de neige ; quand ils en avaient eu assez de mon manque de réaction, ils s'étaient retournés l’un vers l’autre –, transformée en cette vigilance exagérée qui aurait pu être comique si elle n’avait pas été aussi irritante.
        - Elle n’est pas là, mais elle va entrer... Elle ne sera pas dans le courant d’air si nous nous asseyons à notre place habituelle.
        - Bien sûr qu’on va s'asseoir à notre place habituelle. Arrête ça, Alice. Tu commences à m'énerver. Tout va bien se passer.

        Elle cligna des yeux tandis que Jasper l’aidait à s'asseoir, et ses yeux se concentrèrent finalement sur mon visage. 
        - Hmm, dit elle, l’air surprise. Je pense que tu as raison.
        - Bien sûr que j’ai raison,
    murmurai-je.
        Je détestais être au centre de toutes les préoccupations. Je me sentis soudainement pris de sympathie pour Jasper, me souvenant de toutes les fois où nous rôdions autour de lui, surprotecteurs. Il rencontra mon regard.
        Énervant, n’est ce pas?
        Je lui fis une grimace.
        Était-ce vraiment la semaine dernière que cette longue pièce terne me semblait ennuyeuse à mourir ? Était ce vraiment comme une nuit de sommeil, un coma de me retrouver ici ?
        Aujourd’hui j’avais les nerfs à vif – des cordes sensibles, tendues au maximum, prêtes à lâcher sous la moindre pression. Mes sens étaient en alerte maximum, je scannais chaque son, chaque soupir, chaque mouvement de l’air qui touchait ma peau, chaque pensée. Spécialement les pensées. Il n’y avait qu’un seul sens que je verrouillais, refusant de l’utiliser. L’odorat, bien sûr. Je ne respirais pas.
        Je m'attendais à entendre plus de choses sur les Cullen dans les pensées qui je passais au crible. Toute la journée j’avais attendu, cherchant une nouvelle connaissance à qui Bella Swan aurait pu se confier, essayant de voir dans quelle direction les potins allaient. Mais il n’y avait rien. Personne n’avait remarqué les cinq vampires de la cafétéria, tout était comme avant, avant que la nouvelle fille n’arrive. Plusieurs humains pensaient toujours à la fille, pensant toujours les mêmes choses que la semaine dernière. Au lieu de trouver cela terriblement ennuyeux, j’étais fasciné à présent.
        N’avait-elle rien dit à personne sur moi ?
        Elle avait forcément remarqué mon regard assassin. Je l’avais vue réagir. Evidemment, je l’avais effrayé. J’étais persuadé qu’elle l’aurait mentionné à quelqu’un, peut-être même exagérant l’histoire pour la rendre meilleure. Me donnant quelques répliques menaçantes.
        Puis, elle m’avait entendu essayer de changer mon heure de biologie. Elle avait dû se demander, après avoir vu mon expression, si elle en était la cause. Une fille normale aurait demandé quelques informations, comparant son expérience avec les autres, cherchant une explication rationnelle à mon comportement pour ne pas se sentir seule. Les humains étaient désespérément en recherche de normalité, pour se sentir intégrés. Pour se mêler aux personnes les entourant, comme un troupeau de moutons conformistes. Ce besoin était particulièrement fort durant l’adolescence. Cette fille ne ferait pas exception à la règle.
        Mais personne n’avait remarqué que nous nous étions assis ici, à notre table habituelle. Bella devait être exceptionnellement timide, pour ne pas se confier à qui que ce soit. Peut-être avait-elle parlé à son père, peut-être avait-elle une relation très forte avec lui... même si cela semblait improbable, étant donné le peu de temps qu’elle avait passé avec lui durant sa vie. Elle devait être plus proche de sa mère. Et pourtant, je devrais aller rendre une petite visite au Chef Swan un de ces jours pour écouter ce qu’il
    pensait.      
        - Quelque chose de nouveau ? demanda Jasper.
        - Rien. Elle... n’a rien dû dire.
        Ils levèrent tous un sourcil devant cette nouvelle.
        - Peut-être que tu n’es pas aussi effrayant que tu le penses, dit Emmett, gloussant. Je te parie que je l’aurais plus effrayée que ça.
        Je levai les yeux au ciel.
        - Je me demande pourquoi... ?
        Il était perplexe devant ma révélation sur le silence inhabituelle de cette fille.
        - On en a déjà parlé. Je ne sais pas.
        - Elle arrive,
    murmura alors Alice.
        Je sentis me corps se raidir.
        - Essayez d’avoir l’air humains.
        - Humains, tu dis ?
    pointa Emmett.
        Il souleva son poing droit, écartant les doigts pour nous laisser voir une boule de neige qu’il avait gardé dans sa paume. Bien sûr, elle n’y avait pas fondu. Il la compacta en un petit bloc de glace bosselé. Il regardait Jasper, mais je vis la direction que prenaient ses pensées. Alice aussi, bien sûr. Quand il lança soudainement le morceau de glace sur elle, elle l’écarta d’un battement de doigt. La glace ricocha à l’autre bout de la cafétéria, trop rapide pour être captée par des yeux humains, et se brisa contre le mur, y laissant une fissure. Le mur se brisa légèrement aussi.
        Toutes les têtes dans ce coin de la pièce se tournèrent pour regarder le tas de glace sur le sol, puis elles pivotèrent pour trouver le coupable. Elles ne regardèrent pas plus loin que les quelques tables aux alentours. Personne ne nous regarda.
        - Très humain, Emmett, dit Rosalie, cinglante. Pourquoi ne frappes-tu pas le mur tant que tu y es ?
        - Ça aurait l’air plus impressionnant si tu le faisais, bébé.

        J’essayai de porter mon attention sur eux, de garder un sourire sur mon visage comme si je faisais partie de leur badinage. Je ne me permettrais pas de regarder vers la queue où je savais qu’elle se tenait. Mais je n’écoutais que ça.
        Je pouvais entre les pensées impatientes de Jessica à propos de la nouvelle fille qui semblait distraite elle aussi, immobile dans la queue. Je vis, dans les pensées de Jessica, que les joues de Bella Swan étaient une fois de plus vivement colorées par le sang.
        Je pris quelques bouffées d’air superficielles, prêt à arrêter de respirer au premier signe de son parfum qui toucherait l’air près de moi.
        Mike Newton était avec les deux filles. J’entendais ses deux voix, mentale et verbale, lorsqu’il demanda à Jessica ce qui n’allait pas avec la fille Swan. Je n’aimais pas la façon dont ses pensées enveloppaient Bella, le tourbillon de fantasmes déjà établis qui embrumaient son esprit pendant qu’il la regardait avancer et sortir de sa rêverie, comme si elle avait oublié qu'il était là. 
        - Rien, entendis-je Bella dire, d’une voix claire, mais faible.
        Elle semblait résonner comme un carillon à travers le babillage la cafétéria, mais je savais que c’était parce que je l’écoutais intensément.
        - Je prendrai juste un soda aujourd’hui, continua-t-elle tandis qu’elle avançait pour rattraper la queue.
        Je ne pus pas m'empêcher de jeter un regard dans sa direction. Elle fixait le sol, le sang se retirant lentement de son visage. Je détournai rapidement le regard, vers Emmett, qui se moquait de mon expression pleine de souffrance.
        T’as l’air malade, frangin.
        Je me repris, pour retrouver une expression décontractée et sereine.
        Jessica se demandait tout haut pourquoi la fille n’avait pas d’appétit.
        - Tu n’as pas faim ?
        - En fait, je me sens un peu mal.

        Sa voix était basse, mais toujours très claire. Pourquoi cela me dérangeait-il, cette préoccupation protectrice qui émana soudain des pensées de Mike Newton ? Pourquoi m’importait-il qui il y ait une pointe de possessivité en lui ? Ce n’étaient pas mes affaires si Mike Newton se sentait inutilement anxieux pour elle. Peut-être était-ce ainsi que tout le monde se sentait envers elle. N’avais-je pas instinctivement voulu la protéger, moi aussi ? Avant de vouloir la tuer, c’était...
        Mais est-ce que la fille était malade ?
        Difficile d’en juger – elle avait l’air si fragile avec sa peau translucide... C'est alors que je réalisai que je m’inquiétais aussi, tout comme cet imbécile de garçon, et je me forçai à ne pas penser à sa santé.
        Malgré tout, je n’aimais pas la surveiller à travers les pensées de Mike Newton. Je changeai vers celles de Jessica, regardant attentivement alors qu’ils se dirigeaient tous trois vers la table la plus proche. Heureusement, ils s’assirent avec les compagnons habituels de Jessica, sur une des premières tables de la pièce. Pas dans la courant d’air, comme Alice l’avait promis.
        Alice me donna un petit coup de coude. Elle va regarder, aie l’air humain.
        Je grinçai des dents derrière ma grimace.
        - Relax Edward, dit Emmett. Honnêtement. Tu tues un humain. C’est pas la fin du monde.
        - Tu en sais quelque chose,
    murmurai-je.
        Emmett rit.
        - Il faut que tu t’en remettes. Comme moi. L’éternité est trop longue pour se complaire dans la culpabilité.
        À ce moment-là, Alice lança une petite poignée de glace, qu’elle avait cachée dans sa main, droit dans le visage d’Emmett.
        Il cligna des yeux, surpris, et grimaça.
        - Tu l’auras cherché, dit il, s'avançant sur la table pour s’ébouriffer dans sa direction.
        La neige, fondant avec la chaleur de la pièce, s’envola de ses cheveux en une bouillie mi-liquide mi-glacée.
        - Hé ! se plaignit Rosalie, tandis qu'Alice et elle reculaient devant le déluge.
        Alice rit, et nous la suivîmes. Je voyais dans sa tête qu’elle avait orchestré ce moment parfait, et je savais que la fille – je devais arrêter de penser à elle comme ça, comme si elle était la seule fille au monde – que Bella nous regarderait riant et jouant, semblant heureux et humains, presque irréels et idéaux, comme dans une peinture de Norman Rockwell.
        Alice continua de rire, et prit son plateau comme bouclier. La fille – Bella devait toujours nous regarder.
        ... elle regarde encore les Cullen, pensa quelqu’un, captant mon attention.
        Je regardai automatiquement vers cet appel non intentionnel, réalisant quand mes yeux atteignirent la destination que je reconnaissais cette voix – je l’avais trop écoutée aujourd’hui.
        Mais mes yeux dépassèrent Jessica et se portèrent sur le regard pénétrant de la fille.
        Elle baissa les yeux rapidement, se cachant derrière ses cheveux.
        A quoi pensait-elle ? La frustration semblait de plus en plus forte au fur et à mesure que le temps passait, au lieu de se ramollir. J’essayai – incertain de ce que j’étais en train de faire car je n’avais jamais essayé avant – de sonder le silence qui l’entourait. Mon ouïe supplémentaire m’était toujours venue naturellement, sans avoir à me forcer ; je n’avais jamais dû m’exercer. Mais je me concentrais à présent, essayant de briser ce bouclier qui l’entourait.
        Rien, que du silence.
        Qu’est-ce qui ne va pas chez elle ? pensa Jessica, faisant écho à ma propre frustration.
        - Edward Cullen te mate, murmura-t-elle à l’oreille de la fille Swan, avec un petit gloussement.
        Il n’y avait pas une pointe de son irritation jalouse dans son ton. Jessica semblait très douée pour feindre l’amitié.
        Trop absorbé, j’écoutai moi aussi la réponse de la fille.
        - Il n’a pas l’air énervé, n’est ce pas ? murmura-t-elle en retour.
        Donc, elle avait bien remarqué ma réaction violente de la semaine dernière. Bien sûr qu’elle l’avait remarquée.
        La question perturba Jessica. Je vis mon propre visage dans ses pensées tandis qu’elle vérifiait mon expression, mais je ne rencontrai pas son regard. Je me concentrais toujours sur la fille, essayant d’entendre quelque chose. Ma concentration intense ne semblait pas du tout m’aider.
        - Non, lui dit Jess, et je sus qu’elle aurait aimé dire oui – comme si le fait que je regarde Bella lui restait en travers – même si sa voix ne laissait rien paraître. Il devrait l’être ?
        - Je ne pense pas qu’il m’aime beaucoup, chuchota la fille en retour, posant sa tête sur son bras comme si elle était soudain fatiguée.
        J’essayai de comprendre son mouvement, mais je pouvais seulement émettre des hypothèses. Peut-être était-elle fatiguée.
        - Les Cullen n’aiment personne, la rassura Jess. En fait, ils ne remarquent personne d’autre qu’eux-mêmes. Ou plutôt ils ne le faisaient jamais.
        Ses pensées étaient désormais une complainte.
        - Mais il te regarde toujours.
        - Arrête de le regarder,
    dit anxieusement la fille, soulevant sa tête de son bras pour être sûre que Jessica obéissait à cet ordre.
        Jessica gloussa, mais fit ce qu’on lui dit.
        La fille ne regarda pas en dehors de sa table durant tout le reste de l’heure. Je pensai – pensai bien sûr, je ne pouvais pas être certain – que c’était délibéré. Il semblait qu’elle voulait me regarder. Son corps se tournait légèrement dans ma direction, son menton commençait à se tourner, puis elle se ressaisissait, prenait une grande inspiration, et fixait la personne qui parlait, qui que ce soit.
        J’ignorai les autres pensées autour de la fille, pour la plupart, car momentanément, elles ne la concernaient pas. Mike Newton prévoyait une bataille de neige dans le parking après les cours, il ne semblait pas réaliser que la neige s’était déjà transformée en pluie. Le battement des doux flocons contre le toit s’était transformé en la plus commune des averses. Ne pouvait-il réellement pas entendre ce changement ? Cela me semblait bruyant.
        Quand l’heure du déjeuner fut terminée, je restai à ma place. Les humains sortaient, et je me surpris à essayer de distinguer le bruit de ses pas parmi ceux des autres élèves, comme s'il y avait quelque chose d’important et d’inhabituel chez eux. Comme c’était stupide.
        Ma famille ne fit aucun mouvement pour partir non plus. Ils attendaient de voir ce que j’allais faire.
        Irais-je en classe, m'asseoir à côté de la fille, là où je pourrais sentir la puissance absurde du parfum de son sang, et sentir la chaleur de son pouls contre ma peau ? Étais-je assez fort pour ça ? Ou en avais-je eu assez pour un seul jour ?
        - Je... pense que ça va aller, dit Alice, hésitante. Tu es décidé. Je pense que tu vas arriver au bout de cette heure.
        Mais Alice savait bien à quelle vitesse un esprit pouvait changer.
        - Pourquoi tenter le diable, Edward ? demanda Jasper.
        Même si il ne voulait pas se sentir suffisant du fait que je sois pour une fois celui qui était faible, je pouvais l’entendre l’être, juste un tout petit peu.
        - Rentre à la maison. Vas-y doucement.
        - C’est quoi le problème ?
    dit Emmett, pas d’accord. Soit il la tue, soit il ne la tue pas. Autant en finir maintenant, quoi qu’il se passe.
        - Je ne veux pas déménager aussi tôt, se plaignit Rosalie. Je ne veux pas tout recommencer. On a presque fini le lycée, Emmett. Enfin.
        J’étais tout aussi divisé sur cette décision. Je voulais, vraiment, avoir cette confrontation plutôt que de la fuir. Mais je ne voulais pas aller trop loin non plus. Cela avait été une erreur la semaine dernière que Jasper tienne si longtemps sans aller chasser ; étais-je en train de commettre une erreur aussi bête ?
        Je ne voulais pas déraciner ma famille. Aucun d’entre eux ne m’en serait reconnaissant.
        Mais je voulais aller en biologie. Je réalisai que je voulais revoir son visage.
        C’est cela qui me décida. La curiosité. J’étais en colère après moi pour ressentir cela. Ne m’étais-je pas promis que je ne laisserais pas le silence de l’esprit de cette fille me rendre excessivement intéressé par elle ? Et pourtant, j’étais la, excessivement intéressé. 
        Je voulais savoir ce qu’elle pensait. Son esprit était fermé, mais ses yeux étaient ouverts. Peut-être pourrais-je les lire à la place.
        - Non, Rose. Je pense vraiment que ça va bien se passer, dit Alice. Ça... s’affirme. Je suis sûre à 90% que rien de mauvais ne va arriver s'il va en classe.
        Elle me regarda avec curiosité, se demandant ce qui avait changé dans mes pensées pour que ses visions du futur soient à ce point sans risque.
        La curiosité suffirait-elle à garder Bella Swan en vie ?
        Toutefois, Emmett avait raison – pourquoi ne pas en finir, quoi qu’il arrive ? Je ferais face à la tentation durant cette confrontation.
        - Allez en classe, ordonnai-je, m'éloignant de la table.
        Je me retournai et m’éloignai d’eux à grands pas sans regarder derrière moi. Je pouvais entendre l’inquiétude d’Alice, le mécontentement de Jasper, l’approbation d’Emmett et l'irritation de Rosalie me poursuivre.
        Je pris une dernière bouffée d’air près de la porte de la classe, et je la retins dans mes poumons tandis que je marchais dans la petite pièce chaude.
        Je n'étais pas en retard. Mr. Banner préparait toujours l'expérience d’aujourd’hui. La fille était assise à ma – à notre – table, le visage baissé, fixant la chemise cartonnée sur laquelle elle gribouillait. J’examinai son croquis en m’approchant, intéressé même par cette création triviale de son esprit, mais ça n’avait pas de sens. Un simple barbouillage de cercles dans d’autres cercles. Peut-être ne se concentrait-elle pas sur les formes, mais pensait-elle à autre chose ?
        Je tirai ma chaise en arrière avec plus de force que nécessaire, la faisant racler sur le sol ; les humains se sentent mieux lorsqu’un bruit de la sorte annonce l’arrivée de quelqu’un.
        Je sus qu’elle avait entendu le son ; elle ne leva pas les yeux, mais sa main rata un cercle dans son dessin, le rendant irrégulier.
        Pourquoi ne leva-t-elle pas les yeux ? Elle était probablement effrayée. Je devais m’assurer de lui faire une autre impression cette fois-ci. Lui faire croire qu’elle s’était fait des idées.
        - Bonjour, dis-je d’une voix douce, celle que j’utilisais pour mettre les humains à l’aise, et affichant un sourire poli, sans toutefois montrer mes dents.

    Chapitre 2. A livre ouvert (part.2)

        Alors elle leva la tête, ses grand yeux marrons surpris – presque abasourdis – et pleins de questionnements silencieux. C’était la même expression qui avait obstrué mon esprit la semaine passée.
        Alors que je fixai ces yeux marrons étrangement profonds, je réalisais que la haine – cette haine que j’avais imaginée qu’elle méritait simplement parce qu’elle existait – s'était évaporée. Sans respirer, sans goûter son parfum, il m’était difficile de croire que quelqu’un d’aussi vulnérable puisse faire un jour l’objet de la haine de quelqu’un.
        Ses joues commencèrent à devenir roses, et elle ne dit rien.    
        Je gardais mes yeux sur elle, me concentrant seulement sur leur profondeur, essayant d’ignorer l’appétissante couleur que prenait sa peau. J’avais assez d’air pour parler encore un peu sans inhaler.
        - Je m'appelle Edward Cullen, dis-je, même si je savais qu’elle le savait déjà – c’était la façon le plus polie de commencer. Je n’ai pas eu la chance de me présenter la semaine dernière. Tu dois être Bella Swan.
        Elle sembla décontenancée – il y avait une petite ride entre ses yeux de nouveau. Il lui fallut une demi-seconde de trop pour formuler sa réponse.
        - Comment connais-tu mon nom ? demanda-t-elle, et sa voix trembla légèrement.
        J’avais vraiment dû la terrifier. Cela me fit me sentir coupable ; elle était totalement sans défense. Je ris doucement – c'était un son qui, je le savais, mettait les humains à l’aise. Une nouvelle fois, je fus très prudent concernant mes dents.
        - Oh, je pense que tout le monde connaît ton nom.
        Elle avait sûrement dû réaliser qu’elle était devenue le centre d’attention de cette ville ennuyeuse.
        - Tout la ville t’attendait.
        Elle fronça les sourcils comme si cette information ne lui plaisait pas. Je supposai que, timide comme elle l’était, l’attention était une mauvaise chose pour elle. Pour la plupart des humains c’était le contraire. Même s'ils ne voulaient pas être hors du troupeau, d’un autre côté, ils désiraient être sous les projecteurs pour afficher leur personnalité individuelle.
        - Non, dit-elle. Je veux dire, pourquoi m’as-tu appelée Bella ?
        - Tu préfères Isabella ?
    demandai-je, perplexe, ne voyant pas où cette question allait nous amener.
        Je ne comprenais pas. Elle avait pourtant clairement exposé sa préférence plusieurs fois le premier jour. Tous les humains étaient-ils aussi incompréhensibles sans leur esprit pour me guider ?
        - Non, j’aime Bella, répondit-elle, penchant légèrement sa tête sur le côté.
        Son expression – si je la lisais correctement – était déchirée entre l'embarras et la perplexité.
        - Mais je pense que Charlie – je veux dire mon père – m'appelle Isabella derrière mon dos. Il semblerait que tout le monde ici me connaisse par ce nom.
        Son teint s’assombrit d’un ton de rose.
        - Oh, dis-je piteux, me détournant rapidement de son visage.
        Je venais juste de réaliser ce que sa question voulait réellement dire : j’avais fait un faux pas – une erreur. Si je n’avais pas écouté les conversations de tout le monde le premier jour, alors je me serais adressé à elle en utilisant son nom complet, comme tout le monde. Elle avait remarqué la différence.
        Je ressentis un léger malaise. Elle avait détecté mon erreur très rapidement. Très astucieux, surtout pour quelqu’un qui était supposé être terrifié par ma proximité.
        Mais j’avais de plus gros problèmes que de savoir quelles suspicions elle gardait verrouillées dans sa tête.
        Je n’avais plus d’air. Si je voulais parler de nouveau, je devrais inhaler.
        Il serait difficile d’éviter de parler. Malheureusement pour elle, partager cette table avec moi faisant d’elle ma partenaire de laboratoire, et nous aurions à travailler ensemble aujourd’hui. Il lui semblerait bizarre – et incroyablement malpoli – que je l’ignore pendant la leçon. Cela la rendrait plus suspicieuse, plus effrayée...
        Je m’écartai d’elle autant que je le pouvais, sans bouger de mon siège, tournant ma tête vers l’allée. Je m’arc-boutai, verrouillant mes muscles, et pris une rapide bouffée d’air, à travers ma bouche seulement.
        Ahh !
        C’était vraiment douloureux. Même sans la sentir, j’avais son goût sur ma langue. Ma gorge fut de nouveau en feu, désirant chaque morceau aussi fort que la première fois où j’avais senti son odeur, la semaine passée.
        Je serrai les dents, tentant de me ressaisir.
        - Commencez, ordonna M. Banner.
        J’eus l’impression d'utiliser chance once du contrôle que j’avais acquis durant 70 ans de dur labeur pour me retourner vers la fille, qui fixait la table, et je souris.
        - Honneur aux dames ? offris-je.
        Elle regarda mon expression de son visage ébahi, les yeux grands ouverts. Y avait-il quelque chose de bizarre dans mon expression ? Était-elle de nouveau apeurée? Elle ne parla pas.
        - Ou je peux commencer si tu le souhaites, dis-je doucement.
        - Non, dit elle, son visage passant du blanc au rouge. Je vais commencer.
        Je fixai le matériel sur la table, le microscope abîmé, la boîte de lamelles, plutôt que de regarder le sang tourbillonner sous sa peau claire. Je pris une autre bouffée rapide, à travers mes dents, grimaçai à la douleur soudaine dans ma gorge.
        - Prophase, dit elle après un examen rapide.
        Elle commença à retirer la lamelle, alors qu’elle l’avait à peine examinée.
        - Ça te dérange si je jette un coup d’œil ?
        Instinctivement – stupidement, comme si j’étais de son espèce – je tendis la main pour l'empêcher de retirer la lamelle. Pendant une seconde, la chaleur de sa peau brûla la mienne. C’était comme une impulsion électrique – sûrement bien plus chaud que les habituels 37 degrés. La chaleur remonta à travers ma main jusque dans mon bras. Elle retira sa main de sous la mienne.
        - Je suis désolé, marmonnai-je entre mes dents serrés.
        Cherchant quelque chose à regarder, je saisis le microscope et regardai brièvement dans l’oculaire. Elle avait raison.
        - Prophase, acquiesçai-je.
        Elle était encore trop perturbée pour me regarder. Respirant aussi calmement que possible à travers ma mâchoire serrée, et essayant d’ignorer ma soif féroce, je me concentrai sur ma mission très simple, écrire les mots sur la ligne appropriée de la fiche de laboratoire, et remplacer la première lamelle par la suivante.
        À quoi pensait-elle maintenant ? Qu’avait-elle ressenti, lorsque j’avais touché sa main ? La mienne avait dû lui sembler glaciale – repoussante. Voilà pourquoi elle était si silencieuse.
        Je jetai un coup d’œil à la lamelle.
        - Anaphase, me dis-je à moi même, écrivant sur la seconde ligne.
        - Puis-je ? demanda-t-elle.
        Je la regardai, surpris de voir qu’elle attendait, une main à moitié posée sur le microscope. Elle n’avait pas l’air effrayée. Pensait-elle vraiment que je m'étais trompé ?
        Je ne pus pas m'empêcher de sourire devant son visage plein d'espoir lorsque je poussai le microscope dans sa direction.
        Elle regarda dans l’oculaire avec une ferveur qui s’évanouit rapidement. Les commissures de sa bouche redescendirent.
        - La troisième lamelle ? demanda-t-elle, sans ôter son regard du microscope, mais en tendant sa main.
        Je lâchai la lamelle suivant dans sa paume, sans laisser ma peau la toucher cette fois-ci. Être assis à côté d’elle était comme se trouver à côté d’une lampe à infrarouges. Je pouvais me sentir me réchauffer légèrement grâce à sa température.
        Elle ne regarda pas la lamelle bien longtemps.
        - Interphase, dit elle nonchalamment – essayant peut-être un peu trop d’avoir l’air nonchalante – en poussant le microscope vers moi.
        Elle ne toucha pas le papier, mais attendit que j’écrive la bonne réponse – elle avait raison une nouvelle fois.
        Nous finîmes ainsi, parlant un mot à la fois, et ne rencontrant jamais le regard de l’autre. Nous étions les seuls à avoir fini – les autres élèves avaient du mal. Mike Newton semblait rencontrer quelques problèmes de concentration – il essayait de nous regarder, Bella et moi.
        J’aimerais qu’il retourne d’où il vient, pensa Mike qui me surveillait, sulfureux. Hmmm, intéressant. Je n’avais pas réalisé que le garçon nourrissait une telle malveillance à mon égard. C’était une nouveauté, due à la récente arrivée de la fille, semblait-il. Encore plus intéressant, pensai-je – à ma surprise – puisque ce sentiment était mutuel.
        Je regardai la fille une nouvelle fois, perplexe devant les dégâts et bouleversements que, malgré son ordinaire et paisible apparence, elle infligeait à ma vie.
        Ce n’était pas que je ne pouvais pas comprendre ce que Mike ruminait. En fait, elle était plutôt jolie... d’une manière peu ordinaire. Au-delà de la simple beauté, son visage était intéressant. Pas exactement symétrique – son menton étroit était décentré par rapport à ses joues, extrêmement colorées – les contrastes sombres et clairs de sa peau et de ses cheveux; et puis il y avait ses yeux, bourdonnants de secrets silencieux...
        Des yeux qui soudains transpercèrent les miens.
        Je la regardai moi aussi, essayant de découvrir l’un de ses secrets.
        - Tu as mis des lentilles ? demanda-t-elle soudainement.
        Quelle question étrange.
        - Non, dis-je en souriant presque à l'idée saugrenue d’améliorer ma vue.
        - Oh, marmonna-t-elle. Je pensais qu’il y avait quelque chose de différent dans tes yeux.
        Je me sentis soudainement encore plus froid, et réalisai que je n’étais apparemment pas le seul à essayer de découvrir des secrets aujourd’hui.
        Je haussai mes épaules raides, et je jetai un regard furieux vers l’endroit où le professeur faisait ses rondes.
        Bien sûr qu'il y avait quelque chose de différent dans mes yeux par rapport à la dernière fois qu’elle y avait plongé son regard. Pour me préparer à l’épreuve d’aujourd’hui, à cette tentation, j’avais passé le week-end entier à chasser, étanchant ma soif autant que possible, me forçant même un peu. Je m’étais saturé de sang animal, bien que cela ne fasse pas vraiment de différence comparé à ce parfum outrageux qui flottait dans l’air autour d’elle. Quand je l’avais regardée la dernière fois, mes yeux étaient noirs de soif. Maintenant, mon corps nageait dans le sang, mes yeux étaient d’un doré chaleureux. Légèrement ambrés dû à l’étanchement excessif de ma soif.
        Encore un faux pas. Si j’avais vu là où elle voulait en venir avec sa question, j’aurais pu lui répondre oui, tout simplement.
        Je m’étais assis à côté d’humains durant deux ans dans cette école, et elle était la première à m’examiner d’assez près pour noter ce changement dans la couleur de mes yeux. Les autres, quand ils admiraient la beauté de ma famille, avaient tendance à baisser les yeux rapidement quand nous leur rendions leurs regards. Ils se protégeaient, bloquant les détails de notre apparence, tentant inconsciemment de ne pas comprendre. L’ignorance faisait le bonheur de l'esprit humain.
        Pourquoi était-ce cette fille qui voyait tant de choses ?
        M. Banner s’approcha de notre table. J’inhalai avec gratitude le jaillissement d’air frais qu’il amena avec lui avec qu’il ne se mélange au parfum de la fille.
        - Alors Edward, dit-il, en regardant nos réponses, tu n’as pas jugé bon de laisser une petite chance à Isabella avec le microscope ?
        - Bella,
    le corrigeai-je instinctivement. Et en fait, elle en a identifié trois sur cinq.
        Les pensées de Mr. Banner étaient sceptiques et il se tourna pour regarder la fille.
        - As-tu étudié ce chapitre auparavant ?
        Je la regardai, absorbé, tandis qu’elle souriait, l’air légèrement embrassée.
        - Pas avec des racines d’oignon.
        - De la blastula de féra ?
    sonda M. Banner.
        - Oui.
        Cela le surprit. L'expérience d’aujourd’hui était tirée d’un cours un peu plus avancé. Il secoua la tête, pensif devant la fille.
        - Tu étais dans un cours avancé à Phoenix ?
        - Oui.

        Elle était donc avancée, intelligente pour une humaine. Cela ne me surprit pas.
        - Bien, dit M. Banner, plissant les lèvres. J’imagine que c’est une bonne chose que vous soyez partenaires tous les deux.
        Il se retourna et partit en marmonnant.
        - Comme ça les autres élèves auront une chance d’apprendre quelque chose par eux-mêmes, grommela-t-il.
        Je doutais que la fille ait pu entendre ça. Elle recommença à dessiner ces petits cercles sur sa pochette.
        Deux faux pas jusque-là, en seulement une demi-heure. Une piètre performance de ma part. Bien que je ne sache pas du tout ce que la fille pensait de moi – combien elle me craignait, combien elle me suspectait ? – je savais que j’aurais besoin de produire plus d’efforts pour la laisser avec une nouvelle impression de moi. Quelque chose qui noierait ses souvenirs de notre dernière rencontre, quelque peu féroces.
        - C’est dommage pour la neige, n’est-ce pas ? dis-je, répétant une conversation que j’avais entendue auprès de dizaines d’étudiants.
        Un sujet de conversation standard et ennuyeux. La météo – toujours garanti.
        Elle me fixa en proie à un doute évident – une réaction anormale à mes mots très banals.
        - Pas vraiment, dit-elle, me surprenant une nouvelle fois.
        J’essayai d’emmener cette conversation sur un chemin plus sécurisé. Elle venait d’un endroit plus clair, plus chaud – sa peau semblait refléter cela malgré sa blancheur – et le froid devait la déranger. En tout cas, mon contact froid l’avait fait.
        - Tu n’aimes pas le froid, pronostiquai-je
        - Ni l’humidité, acquiesça-t-elle.
        - Cela doit être dur pour toi de vivre à Forks.
        Peut-être n’aurais-tu pas dû venir ici, voulus-je ajouter. Peut-être devrais-tu retourner de là d'où tu viens.
        Je n’étais pas sûr de le vouloir, cependant. Je me souviendrais toujours de l’odeur de son sang – y avait-il une quelconque garantie que je ne la suive pas ? De plus, si elle partait, son esprit resterait un mystère à jamais. Un puzzle incomplet pour toujours.
        - Tu n’imagines même pas, dit-elle, d’une voix basse, regardant au loin pendant un moment.
        Ses réponses n’étaient jamais celles que j’attendais. Elles me donnaient envie de lui poser d’autres questions.
        - Alors pourquoi es-tu venue ? demandai-je, réalisant instantanément que mon ton était trop accusateur.
        La question semblait mal élevée, je mettais un peu trop mon nez dans ses affaires.
        - C’est… compliqué.
        Elle cligna de ses grands yeux, s’en tenant là, et je manquai d’imploser de curiosité – la curiosité brûlait aussi fort que la soif dans ma gorge. En fait, je trouvais qu’il m’était légèrement plus facile de respirer; la souffrance semblait plus supportable avec le temps.
        - Je pense que j’arriverai à suivre, insistai-je.
        Peut-être la simple courtoisie la pousserait-elle à continuer à me répondre tant que je serais assez malpoli pour continuer à lui poser des questions.
        Elle baissa le regard vers ses mains, silencieuse. Cela me rendit impatient ; je voulais mettre ma main sous son menton et relever sa tête pour pouvoir voir ses yeux. Mais il serait stupide – dangereux – de toucher sa peau une nouvelle fois.
        Elle leva soudainement les yeux. C’était un soulagement d’être de nouveau capable de lire ses émotions en eux. Elle parla d’une traite, bousculant ses mots.
        - Ma mère s’est remariée.
        Ah, c’était assez humain, facile à comprendre. La tristesse passa dans ses yeux clairs, et ramena la petite ride sur son front.
        - Ça n’a pas l’air bien compliqué, dis-je.
        Ma voix était douce, sans que j’aie à me forcer. Sa tristesse me rendait bizarrement impuissant, et j'espérais qu’il y ait quelque chose que je puisse faire pour qu’elle se sente mieux. Une étrange impulsion.
        - Quand est-ce arrivé ?
        - En septembre.

        Elle expira lourdement – pas vraiment un soupir. Je retins ma respiration tandis que son souffle chaud caressait mon visage.
        - Et tu n’aimes pas le type ? devinai-je, pêchant de nouvelles informations.
        - Non, Phil est sympa, dit elle, corrigeant ma supposition.
        Il y avait un léger sourire au coin de ses lèvres.
        - Trop jeune peut-être, mais assez gentil.
        Cela ne collait pas au scénario que j’avais construit dans ma tête.
        - Pourquoi n’es-tu pas restée avec eux ? demandai-je, ma voix un peu trop curieuse.
        Cela me donnait l’air d’un fouineur. Ce que j’étais, il fallait l’admettre.    
        - Phil voyage beaucoup. Il est joueur de base-ball.
        Le petit sourire s’affirma ; ce choix de carrière l’amusait.
        Je souris moi aussi, sans le choisir. Je n’essayais pas de la mettre à l’aise. Son sourire m’avait seulement donné envie de lui sourire aussi – pour être dans le secret.
        - Est-ce qu’il est connu ?
        Je faisais défiler la liste des joueurs professionnels de base-ball dans ma tête, me demandant quel Phil était le sien...
        - Non. Il ne joue pas très bien. (Nouveau sourire.) Seulement en seconde ligue. Il change souvent de club.
        La liste dans ma tête changea instantanément, et je définis une liste de possibilités en moins d’une seconde. En même temps, j’imaginais le nouveau scénario.
        - Et ta mère t’a envoyée ici pour pouvoir voyager avec lui, dis-je.
        Faire des suppositions semblait la faire plus parler que de lui poser des questions. Cela marcha encore. Son menton s'avança et elle prit un air entêté.
        - Non, elle ne m’a pas envoyée ici, dit-elle, et sa voix prit un ton dur.
        Mes suppositions l’avaient dérangée, mais je ne voyais pas bien pourquoi.
        - Je suis venue.
        Je ne pouvais pas deviner ce que cela voulait dire, ni la source de ce dépit. J’étais complètement perdu. Donc, j’abandonnai. Cette fille n’avait simplement pas de sens. Elle n’était pas comme les autres humains. Peut-être que le silence de ses pensées et son parfum n’étaient pas les seules choses inhabituelles chez elle.
        - Je ne comprends pas, admis-je, détestant l’admettre.
        Elle soupira, et plongea son regard dans mes yeux plus longtemps que ce que les humains normaux étaient capables de faire.
        - Elle est restée avec moi au début, mais il lui manquait, expliqua-t-elle doucement, son ton devenant plus désespéré à chaque mot. Ça la rendait malheureuse... donc, j’ai décidé qu’il était temps que je passe un peu de temps avec Charlie.
        La petite ride entre ses yeux se renforça.
        - Mais maintenant c’est toi qui es malheureuse, murmurai-je.
        Je ne semblais pas pouvoir m’arrêter d'émettre des hypothèses à haute voix, espérant apprendre de ses réactions. Celle-ci, par contre, ne semblait pas beaucoup m’aider.
        - Et ? dit-elle, comme si cela n’était pas un aspect à prendre en compte.
        Je continuai à plonger dans son regard, sentant que j’arrivais aux portes de son âme. Je vis dans ce seul mot où elle se plaçait elle-même dans l’ordre de ses priorités. Contrairement à la plupart des humains, ses propres besoins étaient bas dans la liste.
        En voyant cela, le mystère de la personne caché derrière cet esprit silencieux commença à s’estomper.
        - Cela ne me semble pas très juste, dis-je.
        Je haussai les épaules, essayant de paraître décontracté, essayant de dissimuler l’intensité de ma curiosité.
        Elle rit, mais il n’y avait aucun amusement dans ce son.
        - On ne te l’a donc jamais dit ? La vie est injuste.
        Je voulus rire à ces mots, mais, moi aussi, je ne sentais pas d’amusement. Je connaissais un peu les injustices de la vie.
        - Je crois bien que j’ai déjà entendu ça quelque part.
        Elle me regarda de nouveau, semblant perplexe une nouvelle fois. Ses yeux vacillèrent, et revinrent sur moi.
        - Voilà, c’est tout, me dit elle.
        Mais je n’étais pas prêt à finir cette conversation. Le petit V entre ses yeux, vestige de son chagrin, m’ennuyait. Je voulais le faire disparaître du bout des doigts. Mais, bien sûr, je ne pouvais pas la toucher. C’était trop risqué de bien des façons.
        - Tu fais bonne figure.
        Je parlai lentement, considérant toujours mes prochaines hypothèses.
        - Mais je suis prêt à parier que tu souffres plus que tu ne le laisses voir.
        Elle fit une grimace, ses yeux se plissèrent et sa bouche se transforma en une moue de travers, et elle regarda vers le fond de la classe. Elle n’aimait pas que j'aie visé juste. Elle n'était le martyre type – elle ne voulait pas de public pour voir sa douleur.
        - Est-ce que je me trompe ?
        Elle tressaillit légèrement, mais prétendit ne pas m’avoir entendu. Cela me fit sourire.
        - C’est ce que je pensais.
        - En quoi est-ce que ça te concerne ?
    demanda-t-elle, le regard toujours ailleurs.
        - C’est une très bonne question, admis-je, plus à moi-même que pour lui répondre.
        Son discernement était meilleur que le mien – elle avait vu juste directement dans le cœur du sujet, pendant que je piétinais au bord, tâtonnant à l’aveuglette. Les détails de sa vie si humaine n'auraient pas dû m’importer. Il était mauvais que je m’intéresse à ce qu’elle pensait. Passé la nécessité de protéger ma famille, les pensées humaines étaient insignifiantes.
        Je n’étais pas habitué à être le moins intuitif d’une conversation. Je m’appuyais trop sur ma seconde écoute – je n’étais apparemment pas aussi perspicace que j’aimais le croire.
        La fille soupira et lança des regards noirs vers le fond de la classe. Quelque chose dans son expression furieuse était comique. Toute cette situation, toute cette conversation était comique. Personne n’avait été plus en danger venant de moi, que cette petite fille – à n’importe quel moment je pouvais, distrait par mon absorption ridicule dans la conversation, inhaler par le nez l’attaquer avant de pouvoir m'arrêter – et elle était irritée parce que je ne voulais pas répondre à sa question.
        - Est-ce que je t’agace ? demandai-je, souriant devant toute cette absurdité.
        Elle me jeta un coup d’œil rapide, puis ses yeux semblèrent piégés par mon regard.
        - Pas exactement, me dit-elle. Je m’agace moi-même en fait. Mon visage est tellement lisible – ma mère m'appelle tout le temps son livre ouvert.
        Elle fronça les sourcils, renfrognée.
        Je la fixai, émerveillé. La raison pour laquelle elle était énervée était parce qu’elle pensait que je lisais en elle trop facilement. Tellement bizarre. Je n’avais jamais déployé autant d’efforts pour comprendre quelque chose de toute ma vie – ou plutôt mon existence, puisque que vie n’était pas exactement le mot juste. Je n’avais pas vraiment de vie.
        - Au contraire, réfutai-je, me sentant étrangement... méfiant, comme s'il y avait un danger caché là, et que je ne le voyais pas.
        J’étais soudainement énervé, ce pressentiment me rendait anxieux.
        - Je te trouve très difficile à lire.
        - Tu dois être un bon lecteur,
    alors, devina-t-elle, faisant sa propre supposition qui était une fois de plus, en plein dans le mille.
        - D’habitude, acquiesçai-je.
        Je souris largement, laissant mes lèvres s'étirer pour exposer une rangée de dents étincelantes, aiguisées comme des lames de rasoir.
        C’était une chose stupide à faire, mais j’avais abruptement, désespérément envie d'envoyer à cette fille un avertissement. Son corps était plus près de moi qu'auparavant, elle s’était tournée inconsciemment durant la conversation. Tous les petits signes qui suffisaient à effrayer le reste de l'humanité ne semblaient par marcher sur elle. Pourquoi n’avait-elle pas reculé de terreur devant moi ? Elle avait sûrement vu assez de mon côté sombre pour réaliser que j’étais dangereux, intuitive comme elle semblait l’être.
        Je n’eus pas le loisir de voir si ma mise en garde avait eu l’effet escompté. M. Banner interpella la classe juste à ce moment-là, et elle détourna son visage une fois de plus. Elle semblait légèrement soulagée par cette interruption, donc sûrement avait-elle compris, inconsciemment.
        Je l'espérais.
        Je reconnus cette fascination qui grandissait en moi, même en essayant de la déraciner. Je ne pouvais pas me permettre de trouver Bella Swan intéressante. Ou plutôt, elle ne pouvait pas se le permettre. Mais déjà, j’avais hâte d’avoir une autre chance de lui parler. Je voulais savoir plus de choses sur sa mère, sa vie avant de venir ici, sa relation avec son père. Tous ces petits détails insignifiants qui étofferaient un peu plus son caractère. Mais chaque seconde que je passais avec elle était une erreur, un risque qu’elle ne devait pas avoir à prendre.
        D’un air distrait, elle agita ses cheveux épais, juste au moment où je m’autorisais à prendre une autre bouffée d’air. Une vague particulièrement concentrée de son parfum frappa le fond de ma gorge.
        Ce fut comme au premier jour – comme une boule de feu. La douleur de cette brûlure sèche me tourna la tête. Je dus agripper la table une nouvelle fois pour rester sur mon siège. Cette fois, j’avais légèrement plus de contrôle. Je n’avais rien cassé, au moins. Le monstre grogna à l'intérieur, mais ne prit aucun plaisir à cette douleur. Il était trop bien attaché. Pour le moment.
        J’arrêtai complètement de respirer, et me penchai aussi loin de la fille que possible.
        Non, je ne pouvais pas me permettre de la trouver fascinante. Plus je la trouvais intéressante, plus j’avais de chances de la tuer. J’avais déjà fait deux petits faux-pas aujourd’hui. En ferais-je un troisième, un qui ne serait pas petit ?
        Dès que la sonnerie retentit, je volai à travers la classe – détruisant probablement la quelconque impression de politesse que j’avais à moitié construite durant cette heure. De nouveau, je haletai face à l’air frais et humide du dehors comme s’il s’agissait d’une cure. Je me dépêchai de mettre autant de distance que possible entre la fille et moi.
        Emmett m’attendait à l'extérieur de la salle d'espagnol. Il déchiffra mon expression agitée pendant un moment.
        Comme ça s’est passé ? demanda-t-il prudemment.
        - Personne n’est mort, marmonnai-je.
        J’imagine que c’est un bon début. Quand j’ai vu Alice séchant les cours, devant ta salle, j’ai pensé...
        Alors que nous entrions en classe, je vis ses souvenirs de quelques minutes auparavant, vues à travers la porte ouverte de sa dernière classe. Alice marchant d'un pas brusque, livide, non loin du bâtiment de sciences. Je sentis son souvenir d’une envie urgente de se lever pour la rejoindre, et sa décision de rester. Si Alice avait eu besoin d’aide, elle l’aurait demandé...
        Je fermais les yeux d’horreur, et de dégoût en m’affalant sur mon siège.
        - Je ne m’étais pas rendu compte que c’était passé si près. Je ne pensais pas que j’allais... Je n’ai pas vu que c’était si grave, murmurai-je.
        Ça ne l’était pas, me rassura-t-il. Personne n’est mort, n’est ce pas?
        - Non, dis-je à travers mes dents. Pas cette fois.
        Peut-être que ça deviendra de plus en plus facile.
        - Bien sûr.
        Ou peut-être que tu la tueras
    . Il haussa les épaules. Tu ne serais pas le premier à te planter. Personne ne te jugerait trop durement. Parfois une personne sent juste trop bon. Je suis impressionné que tu aies tenu aussi longtemps.
        - Ça ne m’aide pas, Emmett.
        J’étais révolté par son acceptation de l’idée que je tuerais la fille, que c’était en quelque sorte inévitable. Était-ce sa faute si elle sentait si bon ?
        Je me souviens quand ça m’est arrivé... Il évoquait ses souvenirs, m’emmenant avec lui, un demi-siècle en arrière, sur un petit chemin, au crépuscule, où une femme d’âge mûr retirait son linge sec d’un fil tendu entre deux pommiers. Le parfum des pommes imbibait fortement l’air – le récolte était terminée et les fruits rejetés étaient éparpillés sur le sol, leurs peaux meurtries laissaient échapper leur parfum sous les nuages lourds. Le parfum d’un champ de foin fraîchement fauché était là en fond, en harmonie. Au-dessus, le ciel était violet, orangé un peu plus à l’est des arbres. Il aurait continué sur le chemin de terre serpentant et il n'aurait eu aucune raison de se souvenir de ce soir en particulier, si ce n’est qu’une soudaine brise nocturne souffla, secouant les draps blancs comme des voiles, avivant le parfum de la femme en direction d’Emmett.
        - Ah, grognai-je doucement.
        Comme si le souvenir de ma propre soif ne me suffisait pas.
        Je sais. Ça n’a pas duré une demi-seconde. Je n’ai même pas pensé à résister.
        Son souvenir devint bien trop explicite pour que je le supporte.
        Je sautai sur mes pieds, les mâchoires assez verrouillées pour couper de l’acier.
        - Esta bien, Edward ? demanda la señora Goff, surprise par mon mouvement brusque.
        Je pouvais voir mon visage dans son esprit, et je sus que j’étais loin d’avoir l’air bien.
        - Me perdona, murmurai-je, en fonçant à travers la porte.
        - Emmett, por favor, puedas tu ayuda a tu hermano ? demanda-t-elle, faisant un geste vers moi, tandis que je sortais de la pièce, sans pouvoir intervenir.
        - Sûr, l’entendis-je dire.
        Puis il fut juste derrière moi. Il me suivit de l’autre côté du bâtiment, où il me rattrapa, et posa sa main sur mon épaule. Je repoussai sa main avec une force non nécessaire. Cela aurait brisé les os d’une main humaine, et du bras qui s’y rattachaient.
        - Désolé, Edward.
        - Je sais.

        Je pris quelques bouffées d’air, essayant d’éclaircir ma tête et mes poumons.
        - C’est à ce point ? demanda-t-il, essayant de ne pas penser au parfum et au goût de son souvenir en me le demandant, et sans vraiment y réussir.
        - Pire Emmett, pire.
        Il fut silencieux pendant un moment.
        Peut-être...
        - Non, ce ne serait pas mieux si j’en finissais. Retourne en classe, Emmett. Je veux être seul.

        Il se retourna sans ajouter un seul mot ou une seule pensée, et s’en alla rapidement. Il dirait à la prof d’espagnol que j’étais malade, ou que je séchais, ou que j’étais un vampire dangereusement hors de contrôle. Son excuse importait-elle vraiment ? Peut-être ne reviendrais-je pas. Peut-être aurais-je à partir.
        Je retournai de nouveau à ma voiture, pour attendre la fin des classes. Pour me cacher. De nouveau.
        J’aurais dû utiliser ce temps pour prendre une décision, ou essayer de soutenir mes résolutions, mais, comme un drogué, je me retrouvai à chercher à travers les balbutiements de pensées émanant des bâtiments. Les voix familières sortaient du lot, mais je n’étais pas intéressé par les visions d’Alice ou les réflexions de Rosalie à ce moment-là. Je trouvais facilement Jessica, mais la fille n’était pas avec elle, alors je continuai de chercher. Les pensées de Mike Newton captèrent mon attention, et je la localisai finalement, en cours de gym avec lui. Il était mécontent, parce que je lui avais parlé aujourd’hui en cours de biologie. Il ressassait sa réponse lorsqu’il avait amené le sujet...
        Je ne l’avais jamais vraiment vu parler à quelqu’un plus que quelques mots ça ou là. Bien sûr, il a décidé de trouver Bella intéressante. Je n’aime pas la façon dont il la regarde. Mais elle ne semble pas vraiment enthousiaste à son sujet. Qu’est ce qu’elle a dit ? "Je me demande ce qui lui a pris lundi dernier". Quelque chose comme ça. Ça n’avait pas l’air de la toucher. Ça n’a pas pu être une vraie conversation...
        Il balaya son pessimisme en continuant de la sorte, réjoui à l’idée que Bella n’avait pas été très intéressée par notre échange. Cela m’ennuya plus qu’il n’aurait été acceptable, alors j'arrêtai de l’écouter.
        Je mis un CD de musique violente dans la stéréo, puis j’augmentai le volume jusqu’à noyer les autres voix. Je devais me concentrer très fort sur la musique pour m'empêcher de dériver de nouveau vers les pensées de Mike, à espionner la fille qui ne se doutait de rien.
        Je trichai quelques fois, vers la fin de l’heure. Sans espionner, essayai-je de me convaincre. Je me préparais simplement. Je voulais savoir exactement quand elle quitterait le gymnase, quand elle serait sur le parking. Je ne voulais pas qu’elle me prenne par surprise.
        Tandis que les étudiants commençaient à sortir en file du gymnase, je sortis de la voiture, pas certain de ce que j’étais en train de faire. La pluie était fine – je l’ignorai tandis qu’elle imprégnait doucement mes cheveux.
        Voulais-je qu’elle me voie ? Espérais-je qu’elle viendrait me parler ? Qu'étais-je en train de faire ?
        Je ne bougeai pas, même si j’essayais de me convaincre de retourner dans la voiture, ne sachant pas quel comportement était le plus répréhensible. Je gardais mes bras croisés sur la poitrine, et respirais peu profondément en la regardant marcher doucement vers moi, les coins de sa bouche abaissés. Elle ne me regarda pas. Quelques fois, elle jeta des coups d’œil aux nuages, faisant une grimace, comme s’ils l'offensaient.
        Je fus déçu lorsqu’elle atteignit sa voiture avant de passer devant moi. M’aurait-elle parlé ? Lui aurais-je parlé ?
        Elle entra dans une camionnette Chevrolet rouge délavée, un engin rouillé plus vieux que son père. Je la regardai démarrer le camion – le vieux moteur rugit plus fort que n’importe quel véhicule dans le parking – puis elle tendit les mains en direction de son chauffage. Le froid lui était inconfortable – elle ne l’aimait pas. Elle peigna ses cheveux épais avec ses doigts, tenant ses boucles devant le souffle d’air chaud, comme si elle essayait de les sécher. J’imaginai l’odeur qui devait se répandre dans la cabine du camion, puis rapidement, je chassai cette pensée.
        Elle jeta un coup d’œil aux alentours en se préparant à reculer, et finalement regarda dans ma direction. Elle me fixa elle aussi pendant une demi-seconde, et tout ce que je pus lire dans ses yeux était de la surprise avant qu’elle ne détache ses yeux, et fasse reculer brutalement le camion. Il grinça de nouveau pour s'arrêter, l’arrière de la fourgonnette manquant de peu d’entrer en collision avec la petite voiture d’Erin Teague.
        Elle jeta un regard dans son rétroviseur, sa bouche grande ouverte d’humiliation. Lorsque la seconde voiture passa devant elle, elle vérifia tous ses angles morts deux fois et centimètre par centimètre, s’extirpa du parking si précautionneusement que cela me fit sourire. C’était comme si elle pensait qu’elle était dangereuse dans cette camionnette délabré.
        La pensée de Bella Swan puisse être un danger pour qui que ce soit, peu importe comment elle conduisait, me fit rire tandis que la fille me passait devant, regardant droit devant elle.


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    Voici l'extrait du Chapitre 1. Premier regard (part. 1)

    C'était le moment de la journée pendant lequel je souhaitais le plus être capable de dormir.

    Le lycée.

    Ou "purgatoire" était-il un mot plus approprié ? S'il existait une quelconque façon d'expier mes péchés, cela devait peser assez lourd dans la balance. L'ennui n'était pas une chose à laquelle je m'habituais ; chaque jour me semblait plus incroyablement monotone que le précédent.

    Je supposais que c'était ma forme de sommeil – si le sommeil était défini comme l'état d'inertie entre deux périodes actives.

    Je contemplai les fissures qui couraient le long du mur dans le coin opposé de la cafétéria, imaginant des motifs qui n'existaient pas. C'était une façon d'affaiblir les voix qui formaient un brouhaha, comme le flot d'une rivière, à l'intérieur de ma tête.

    J'ignorai plusieurs centaines de ces voix par pur ennui.

    En ce qui concernait l'esprit humain, j'avais déjà tout entendu. Aujourd'hui, toutes les pensées étaient tournées vers l'insignifiant drame d'un nouvel ajout au petit corps étudiant local. Il en fallait si peu pour les exciter tous. J'avais vu le nouveau visage répété pensée après pensée sous tous les angles. Rien d'autre qu'une humaine ordinaire. L'excitation à propos de son arrivée était péniblement prévisible – comme si l'on montrait un objet brillant à un enfant. La moitié des garçons, se comportant comme des moutons, s'imaginait déjà amoureux d'elle, simplement parce qu'elle était quelque chose de nouveau à regarder. J'essayai encore plus de faire la sourde oreille.

    Il n'y avait que quatre voix que je bloquais par courtoisie plus que par dégoût : ma famille, mes deux frères et mes deux sœurs, qui étaient tellement habitués au manque d'intimité en ma présence qu'ils y pensaient rarement. Je leur donnais autant d'intimité que possible. J'essayais de ne pas écouter si je pouvais m'en empêcher.

    J'essayais tant que je pouvais, n'empêche que… je savais.

    Rosalie pensait, comme d'habitude, à elle-même. Elle avait aperçu le reflet de son profil dans les lunettes de quelqu'un et méditait à présent sur sa propre perfection. Son esprit était une mare peu profonde, sans beaucoup de surprises.

    Emmett rageait à propos d'un match de catch qu'il avait perdu la nuit précédente contre Jasper. Il lui faudrait mobiliser toute sa patience – limitée – pour attendre la fin de la journée afin d'organiser une revanche. Je ne m'étais jamais senti gêné en entendant les pensées d'Emmett, car il ne pensait à rien qu'il ne dise ensuite à voix haute ou ne mette en œuvre. Peut-être  me sentais-je coupable de lire les pensées des autres seulement parce que je savais qu'elles contenaient des choses qu'ils n'avaient pas envie que je sache. Si l'esprit de Rosalie était une mare peu profonde, celui d'Emmett était un lac sans zones d'ombre, parfaitement limpide.

    Et Jasper… souffrait. Je réprimai un soupir.

    Edward. Alice avait pensé mon nom, et obtint immédiatement mon attention.

    C'était comme si elle m'avait appelé à voix haute. J'étais heureux que mon prénom ne fût plus à la mode – c'aurait été agaçant. Chaque fois que quelqu'un aurait pensé à un quelconque Edward, ma tête aurait pivoté automatiquement…

    Pourtant cette fois-là, je ne tournai pas la tête. Alice et moi étions doués pour ces conversations privées. Il était rare que quelqu'un nous surprenne. Je gardai les yeux fixés sur les lézardes au mur.

    Comment va-t-il ? demanda-t-elle.

    Je grimaçai, seulement une petite altération au coin de ma bouche. Rien qui interpellerait les autres. Je pouvais très bien grimacer d'ennui.

    La voix mentale d'Alice était alarmée à présent, et je vis dans son esprit qu'elle surveillait Jasper de sa vision périphérique. Y a-t-il un danger ? Elle cherchait dans le futur immédiat, survolant les visions de monotonie pour découvrir la raison de ma grimace.

    Je tournai lentement la tête vers la gauche, comme si je regardais les briques au mur, soupirai, et revins vers la droite en fixant les fissures du plafond. Seule Alice savait que j'étais en train de secouer la tête.

    Elle se relaxa. Dis-moi s'il va trop mal.

    Je ne bougeai que les yeux, vers le plafond au-dessus de moi, puis les baissai.

    Merci de faire ça.

    J'étais heureux de ne pas avoir à répondre à voix haute. Qu'aurais-je dit ? « Tout le plaisir est pour moi » ? Ce n'était pas le cas. Je n'aimais pas avoir à écouter les luttes internes de Jasper. Était-il vraiment nécessaire de se tester ainsi ? Le chemin le plus sûr ne serait-il pas d'admettre simplement qu'il ne serait jamais capable de contrôler sa soif comme nous, et de ne pas se pousser dans ses retranchements ? Pourquoi flirter avec le désastre ?

    Cela faisait deux semaines que nous n'avions pas chassé. Ce n'était pas une période trop longue pour le reste d'entre nous. Un peu incommode de temps en temps – si un humain marchait trop près, si le vent soufflait dans la mauvaise direction. Mais les humains marchaient rarement trop près. Leur instinct leur disait ce que leur esprit conscient n'admettrait jamais : nous étions dangereux.

    Jasper était très dangereux à cet instant précis.

    À ce moment, une fille de petite taille s'arrêta au bout de la table la plus proche de la nôtre, parlant à une amie. Elle ébouriffa ses cheveux courts, couleur sable, en passant ses doigts dedans. Les ventilateurs envoyèrent son parfum dans notre direction. J'avais l'habitude des effets que cette odeur avait sur moi – la douleur sèche dans ma gorge, le creux languissant dans mon estomac, la contraction automatique de mes muscles, l'afflux de venin dans ma bouche…

    Tout cela était normal, habituellement facile à ignorer. C'était plus dur à présent, avec des sensations plus fortes, doublées, puisque je ressentais la réaction de Jasper. Deux soifs, au lieu de la mienne seule.

    Jasper laissait son imagination l'emporter. Il se le représentait – se représentait se levant de sa chaise près d'Alice pour se placer près de la fille. Il se voyait se penchant vers elle, comme s'il allait lui murmurer à l'oreille, laissant ses lèvres toucher la courbe de sa gorge. Imaginant quel goût aurait le flot chaud du pouls qui battait sous la peau fine une fois dans sa bouche…

    Je donnai un coup dans sa chaise.

    Il me regarda dans les yeux un instant avant de baisser le regard. Je pouvais entendre la honte le disputer à la rébellion dans sa tête.

    - Désolé, marmonna-t-il.

    Je haussai les épaules.

    - Tu n'allais rien faire, lui murmura Alice, apaisant son chagrin. Je pouvais le voir.

    Je retins la grimace qui aurait trahi son mensonge. Nous devions nous serrer les coudes, Alice et moi. Ce n'était pas facile d'entendre des voix ou d'avoir des visions du futur. Tous deux des monstres parmi ceux qui étaient déjà des monstres. Chacun protégeait les secrets de l'autre.

    - Ça aide si tu penses à eux en tant que personnes, suggéra Alice, sa voix haute et musicale trop rapide pour les oreilles humaines, si l'un d'entre eux avait été assez près pour nous entendre. Elle s'appelle Whitney. Elle a une petite sœur, un bébé, qu'elle adore. Sa mère avait invité Esmée à cette garden-party, tu te souviens ?

    - Je sais qui elle est, répondit-il sèchement.

    Il se tourna pour regarder à travers une des petites fenêtres qui étaient placées juste sous l'avant-toit, tout le long de la salle. Le ton de sa voix mit un terme à la conversation.

    Il devrait chasser cette nuit. Il était ridicule de prendre des risques comme cela, à tester sa force, construire son endurance. Il devrait accepter ses limites et apprendre à faire avec. Ses anciennes habitudes n'étaient pas favorables au mode de vie que nous avions choisi ; il ne devait pas poursuivre dans ce chemin-là.

    Alice soupira silencieusement et se leva, emportant son plateau – son accessoire, en fait –avec elle et le laissant seul. Elle savait qu'elle l'avait assez encouragé. Bien que la relation de Rosalie et Emmett soit plus flagrante, c'étaient Alice et Jasper qui connaissaient l'humeur de l'autre aussi bien que la leur. Comme s'ils pouvaient également lire dans les pensées – bien que ce ne soit que dans celles de l'autre.

    Edward Cullen.

    Je réagis par réflexe. Je me tournai vers l'endroit d'où on m'avait appelé, bien que mon nom n'eut pas été prononcé, seulement pensé.

    Mon regard croisa pendant une fraction de seconde une paire de grands yeux humains marron chocolat, appartenant à un visage pâle en forme de cœur. Je connaissais ce visage, bien que je ne l'eusse encore jamais vu. Il avait été présent dans presque toutes les têtes humaines aujourd'hui. La nouvelle élève, Isabella Swan. Fille du chef de police de la ville, amenée à vivre ici par quelque nouvelle situation de garde. Bella. Elle avait corrigé tous ceux qui avaient utilisé son nom en entier…

    Je détournai le regard, ennuyé. Il me fallut une seconde pour réaliser que ce n'était pas elle qui avait pensé mon nom.

    Évidemment, elle craque déjà sur les Cullen, entendis-je la première pensée continuer.

    Maintenant, je reconnaissais la « voix ». Jessica Stanley – cela faisait un moment qu'elle ne m'avait pas importuné avec son bavardage interne. Quel soulagement c'avait été quand elle avait laissé tomber l'intérêt mal placé qu'elle m'avait un temps porté. Il avait été presque impossible d'échapper à ses constantes et ridicules rêveries. J'avais souhaité, à l'époque, pouvoir lui expliquer exactement ce qui lui serait arrivé si mes lèvres, et les dents qui étaient derrière, s'étaient approchées d'elle. Cela aurait fait taire ces ennuyeux fantasmes. La pensée de sa réaction me fit presque sourire.

    Grand bien lui fasse, continua Jessica. Elle n'est même pas jolie. Je me demande pourquoi Eric la regarde autant… ou Mike.

    Elle tressaillit mentalement sur le dernier prénom. Son nouveau béguin, le très populaire Mike Newton, ne lui prêtait aucune attention. Apparemment, il n'était pas aussi insensible à la nouvelle. À nouveau comme l'enfant et son objet brillant. Cela envenima les pensées de Jessica, bien qu'elle se montrât très cordiale envers la nouvelle venue, pendant qu'elle lui racontait les histoires communes sur ma famille. La nouvelle élève avait dû lui poser des questions sur nous.

    Tout le monde me regarde aussi, aujourd'hui, pensa-t-elle avec suffisance. Si ce n'est pas de la chance que j'aie eu deux cours avec elle… Je parie que Mike va vouloir me demander ce qu'elle…

    J'essayai de bloquer ses jacassements ineptes avant que sa mesquinerie et son insignifiance ne me rendent fou.

    - Jessica Stanley est en train d'étaler tout le linge sale de la famille Cullen à la nouvelle fille Swan, murmurai-je à Emmett pour le distraire.

    Il ricana. J'espère qu'elle le fait bien, pensa-t-il.

    - Assez peu original, en fait. Juste le minimum de sandale. Pas une once d'horreur. Je suis un peu déçu.

    Et la nouvelle ? Elle est déçue par les ragots aussi ?

    J'essayai d'entendre ce que cette nouvelle, Bella, pensait des commérages de Jessica. Que voyait-elle quand elle regardait l'étrange famille à la pâleur de craie qui était universellement évitée ?

    Il était en quelque sorte de ma responsabilité de connaître sa réaction. Je me comportais comme un guetteur – à défaut d'un meilleur mot – pour ma famille. Pour nous protéger. Si jamais quelqu'un devenait suspicieux, j'étais prévenu et nous permettais un repli facile. Cela arrivait de temps en temps – un humain à l'imagination active nous voyait comme les personnages d'un livre ou d'un film. Généralement ils se trompaient, mais il était plus sûr de s'installer ailleurs plutôt que de risquer un examen approfondi. Très, très rarement, quelqu'un devinait. Nous ne lui laissions alors pas la chance de vérifier son hypothèse. Nous disparaissions simplement, pour ne plus devenir qu'un souvenir terrifiant…

    Je n'entendis rien, bien que j'écoutasse ce qu'il y avait autour du frivole monologue interne de Jessica qui continuait de bourdonner à l'intérieur de sa tête. C'était comme s'il n'y avait personne assis à côté d'elle. Comme c'était étrange, la fille avait-elle bougé ? Cela n'était pas plausible, puisque Jessica jacassait toujours. Je me tournai pour m'en assurer, feignant de me balancer sur ma chaise. Vérifier ce que me disait mon « écoute supplémentaire » était quelque chose que je n'avais encore jamais fait.

    Encore une fois, mon regard rencontra les mêmes grands yeux marron. Elle était assise exactement à la même place, en train de nous regarder, chose que je trouvais naturelle puisque Jessica continuait à la régaler des rumeurs locales sur les Cullen.

    Penser à nous aurait également été une chose naturelle à faire.

    Mais je n'entendais pas le moindre murmure.

    Ses joues se teintèrent d'un rouge invitant, chaud, alors qu'elle baissait les yeux, loin de la gaffe embarrassante de s'être fait prendre à fixer un inconnu. Heureusement que Jasper était toujours en train de regarder par la fenêtre. Je préférais ne pas imaginer l'effet que cette accumulation de sang aurait eu sur son contrôle.

    Les émotions sur son visage avaient été aussi claires que si elles avaient été écrites en toutes lettres sur son front : de la surprise, tandis qu'elle observait inconsciemment les subtiles différences entre son espèce et la mienne, de la curiosité, à l'écoute des histoires que lui racontait Jessica, et quelque chose de plus… de la fascination ? Cela n'aurait pas été la première fois. Pour elles, nos proies désignées, nous étions magnifiques. Et enfin, de l'embarras quand je l'avais surprise à me regarder. Et pourtant, bien que ses pensées eussent été aussi claires dans ses yeux étranges – étranges de par leur profondeur ; les yeux marrons semblant généralement inexpressifs tant ils étaient foncés – seul le silence me provenait de l'endroit où elle était assise. Rien du tout.

    J'eus un court instant de malaise.

    Je n'avais jamais rencontré cela auparavant. Avais-je un problème ? Je me sentais pourtant exactement comme d'habitude. Tracassé, j'écoutai plus fort.

    Toutes les voix que j'avais bloquées se mirent à crier dans ma tête.

    … me demande quelle musique elle aime… Je pourrais peut-être lui parler de ce nouveau CD… pensait Mike Newton, deux tables plus loin – les yeux rivés sur Bella Swan.

    Regardez-le la guigner. Ça ne lui suffit pas que la moitié des filles du lycée soient à ses pieds… Les pensées d'Eric Yorkie étaient sulfureuses, et tournaient également autour de la fille.

    … tellement écœurant. C'est comme si elle était célèbre ou…Même Edward Cullen la regarde… Lauren Mallory était si jalouse que son visage devait être à présent d'un jade foncé. Et Jessica, affichant sa nouvelle meilleure amie. Laissez-moi rire… Le vitriol continuait à suinter des pensées de la fille.

    … parie que tout le monde lui a déjà demandé ça. Mais j'aimerais lui parler. Il faut que je trouve une question plus originale… songeait Ashley Dowling.

    … peut-être qu'elle sera dans mon cours d'espagnol… espérait June Richardson.

    … des tonnes à faire ce soir. Trigonométrie, et le devoir d'anglais. J'espère que Maman… Angela Weber, une fille discrète, dont les pensées étaient étonnamment gentilles par rapport à celles de ses condisciples, était la seule à la table qui n'était pas obsédée par cette Bella.

    Je les entendais tous, j'entendais chaque chose insignifiante qu'ils pensaient au moment où elle leur traversait l'esprit. Mais rien du tout de la part de la nouvelle élève aux yeux si trompeusement communicatifs.

    Évidemment, je pouvais entendre ce qu'elle disait quand elle parlait à Jessica. Pas besoin de lire dans ses pensées pour entendre sa voix basse et claire à l'autre bout de la cafétéria.

    - Qui c'est, ce garçon aux cheveux blond roux ? l'entendis-je demander, me jetant un regard du coin de l'œil avant de se tourner rapidement quand elle vit que je l'observais toujours.

    Si j'avais eu le temps d'espérer que le ton de sa voix pourrait m'aider à identifier ses pensées, perdues quelque part où je ne pouvais les atteindre, je fus instantanément déçu. D'habitude, les pensées des gens leur venaient avec le même ton que leurs voix physiques. Mais cette voix discrète et timide ne m'était pas familière, pas comme les centaines de pensées qui rebondissaient partout dans la cafétéria, en tout cas. Entièrement nouvelle.

    Oh, bonne chance, idiote ! pensa Jessica avant de répondre à la question de la fille.

    - C'est Edward. Il est superbe, mais inutile de perdre ton temps. Apparemment aucune des filles d'ici n'est assez bien pour lui.

    Elle renifla.

    Je détournai la tête pour cacher mon sourire. Jessica et ses condisciples n'avaient aucune idée de la chance qu'elles avaient, elle et ses camarades de classe, qu'aucune d'entre elles ne m'attirât particulièrement. Derrière l'humour passager, je ressentis une impulsion étrange, que je ne compris pas clairement. Cela avait un rapport avec les pensées venimeuses de Jessica, dont la nouvelle n'avait pas conscience… Je sentis le besoin inexplicable de m'interposer entre elles, de protéger cette Bella Swan des rouages sombres qui tournaient dans l'esprit de son interlocutrice. Quel sentiment étrange. Essayant de déchiffrer les motivations qui se cachaient derrière mon impulsion, j'examinai la nouvelle une fois de plus.

    Peut-être était-ce seulement une sorte d'instinct protecteur qui ressurgissait – le fort pour le faible. Cette fille semblait plus fragile que ses nouveaux camarades. Sa peau était si translucide qu'il était difficile de croire qu'elle puisse lui offrir une quelconque protection contre le monde extérieur. Je pouvais voir la pulsation rythmique du sang dans ses veines à travers sa fine et pâle membrane…Mais je ne devais pas me concentrer là-dessus. J'étais assez bon dans cette vie que j'avais choisie, mais j'avais aussi soif que Jasper et il ne servait à rien de se laisser tenter.

    Il y avait une légère ride entre ses sourcils dont elle ne semblait pas avoir conscience.

    C'était incroyablement frustrant ! Je pouvais clairement voir que c'était une torture pour elle d'être assise là, à faire la conversation avec des inconnus, à être au centre de toutes les attentions. Je pouvais sentir sa timidité à la façon dont elle tenait ses frêles épaules, très légèrement voûtées, comme si elle s'attendait à une rebuffade d'un moment à l'autre. Mais je ne pouvais que sentir, que voir, qu'imaginer. Rien d'autre que le silence en provenance de cette fille banale. Je ne pouvais rien entendre. Pourquoi ?

    - On y va ? murmura Rosalie, interrompant mes interrogations.

    Je me détournai de la fille avec un sentiment de soulagement. Je ne voulais pas continuer à faillir ainsi – cela m'irritait. Et je ne voulais pas développer de l'intérêt pour ses pensées cachées simplement parce qu'elles m'étaient illisibles. Sans aucun doute, quand je les déchiffrerais – car je finirais bien par trouver un moyen de le faire – elles se révèleraient aussi futiles et insignifiantes que n'importe quelles pensées humaines. Cela ne valait pas l'effort que je fournirais pour les atteindre.

     - Alors, la nouvelle a peur de nous maintenant ? demanda Emmett, attendant toujours une réponse à la question qu'il avait posée.

    Je haussai les épaules. Emmett n'était pas intéressé au point de demander des informations supplémentaires. Je n'étais pas censé être intéressé non plus, d'ailleurs.

    Nous nous levâmes et quittâmes la cafétéria.

    Emmett, Rosalie et Jasper faisaient semblant d'être en terminale ; ils se dirigèrent vers leurs classes. Je jouais un rôle plus jeune que le leur. Je partis vers mon cours de biologie avancée, me préparant mentalement à subir un ennui profond pendant le reste de la journée. Je doutais que M Banner, un homme d'intelligence moyenne, puisse trouver quoi que ce soit dans ses livres qui surprenne quelqu'un ayant passé – et obtenu – deux fois le diplôme de médecine.

    Une fois dans le labo de biologie, je m'installai sur ma chaise et éparpillai mes manuels – encore des accessoires ; ils ne contenaient rien que je ne sache déjà – sur ma table. J'étais le seul élève qui disposait d'une paillasse pour lui seul. Les humains n'étaient pas assez intelligents pour savoir consciemment qu'ils me craignaient, mais leur instinct de survie leur suffisait pour se tenir loin de moi.

    La pièce se remplit lentement, au fur et à mesure que les autres finissaient de manger. Je me balançai sur ma chaise en attendant que le temps passe. Je souhaitai encore une fois être capable de dormir.

    Comme je pensais à elle, quand Angela Weber rentra avec la nouvelle, son nom attira mon attention.

    Bella a l'air aussi timide que moi… j'aimerais pouvoir lui dire quelque chose… mais je vais avoir l'air stupide…

    Ouais ! pensa Mike Newton en se tournant pour voir la fille rentrer.

    Et toujours rien de la part de Bella Swan. L'espace vide où ses pensées auraient dû être m'irritait et me troublait.

    Elle se rapprocha, traversant l'allée qui longeait ma table pour atteindre le bureau du professeur. La pauvre ; le seul siège libre était à côté de moi. Automatiquement, je définis ce qui serait sa place en empilant mes livres en une pile bien nette. Je doutais qu'elle se sente à l'aise près de moi. Elle était ici pour un long semestre dans cette classe, au moins. Peut-être, étant plus près d'elle, serais-je capable de lui soutirer ses secrets… Non pas que j'aie déjà eu besoin de proximité avant… Ce n'était pas comme si j'allais trouver quoi que ce soit susceptible de m'intéresser.

    Bella Swan se retrouva au milieu du courant d'air que produisaient les ventilateurs.

    Son odeur me heurta comme une balle dévastatrice, comme un bélier furieux. Il n'y avait pas d'image assez puissante pour décrire la force de ce qui m'arrivait.

    À cet instant, je n'avais plus rien à voir avec l'humain que j'avais un jour été ; plus une trace des lambeaux d'humanité que je m'efforçais de conserver.

    J'étais le prédateur. Elle était ma proie. Il n'y avait plus rien au monde que cette vérité.

    Il n'y avait plus de salle pleine de témoins – ils étaient déjà des dommages collatéraux dans mon esprit. Le mystère de ses pensées était oublié. Elles ne signifiaient plus rien, puisque dans quelques secondes elle ne penserait plus.

    J'étais un vampire, et elle avait le sang le plus parfumé que j'eusse senti en quatre-vingts ans.

    Je n'aurais jamais pu imaginer qu'une telle odeur puisse exister. Si je l'avais su, je serais parti à sa recherche il y a longtemps. J'aurais passé la planète entière au peigne fin pour elle. J'en imaginais déjà le goût…

    La soif me brûla la gorge comme un feu ardent. Ma bouche était brûlante et desséchée. Le flot de venin frais ne fit pas disparaître cette sensation. Mon estomac se tordit sous l'effet de la faim, conséquence de ma soif. Mes muscles se bandèrent, prêts à l'action.

    Une seconde à peine avait passé. Elle effectuait toujours l'enjambée qui avait envoyé son odeur dans mes narines.

    Au moment où son pied toucha le sol, elle se tourna vers moi, dans un mouvement qu'elle espérait furtif. Son regard croisa le mien, et je vis mon reflet dans le grand miroir de ses yeux.

    Le choc du visage que j'y vis sauva sa vie pour quelques secondes épineuses.

    Elle ne me rendit pas les choses faciles. En constatant l'expression de mon visage, le sang afflua une fois de plus à ses joues, leur donnant la plus belle couleur que j'aie jamais vue. Son odeur était un nuage épais dans ma tête. Je pouvais à peine penser à autre chose. Mes pensées rageaient, résistant à mon contrôle, incohérentes.

    Elle marchait plus vite à présent, comme si elle avait compris qu'elle devait s'échapper. Sa hâte la rendit maladroite – elle trébucha sur un livre et tituba, manquant de justesse de tomber sur la fille assise à la table devant moi. Vulnérable, faible. Plus encore, même, que ses semblables.

    J'essayai de me concentrer sur le visage que j'avais vu dans ses yeux, un visage que j'avais reconnu avec révulsion. Le visage du monstre en moi – le visage que j'avais réduit à l'impuissance grâce à des décennies de discipline et de contrôle intransigeants. Avec quelle facilité il était soudain remonté à la surface !

    L'odeur tourbillonna autour de moi à nouveau, dispersant mes pensées et manquant de me propulser hors de mon siège.

    Non.

    Ma main s'agrippa au bord de la table tandis que je tentais de rester sur ma chaise. Le bois ne se montra pas très coopératif. Ma main écrasa le support et je me retrouvai avec une écharde entre les doigts, laissant l'empreinte de ma main dans le bois qui restait.

    Détruire l'évidence. C'était une règle fondamentale. Je pulvérisai rapidement les bords de l'empreinte du bout de mes doigts, ne laissant plus qu'un trou irrégulier et une pile de copeaux sur le sol, que j'éparpillai du pied.

     

    Chapitre 1. Premier regard (part. 2)

    Détruire l'évidence. Dommages collatéraux…

    Je savais ce qui allait se passer à présent. La fille n'aurait d'autre choix que de s'asseoir à côté de moi, et je serais obligé de la tuer.

    Les innocents spectateurs de la classe, dix-huit adolescents et un adulte, ne seraient pas autorisés à sortir de la salle, ayant vu ce qu'ils allaient bientôt voir.

    Je tressaillis à l'idée de ce que j'allais devoir faire. Même dans mes pires moments, jamais je n'avais commis une telle atrocité. Je n'avais jamais tué d'innocents, pas un en huit décennies. Et voilà qu'à présent je planifiais d'en supprimer une vingtaine d'un coup.

    Le visage du monstre dans le miroir me regarda d'un air narquois.

    Même si une partie de moi frissonnait en pensant au monstre, une autre se réjouissait de ce que je préparais.

    Si je tuais la fille en premier, je n'aurais que quinze ou vingt secondes avec elle avant que les humains dans la pièce ne réagissent. Peut-être un peu plus, s'ils ne se rendaient pas tout de suite compte de ce que je faisais. Elle n'aurait pas le temps de crier ou d'avoir mal ; je ne la tuerais pas cruellement. C'était tout ce que je pouvais offrir à cette étrangère au sang si horriblement désirable.

    Mais dans ce cas, je devrais empêcher les autres de s'échapper. Je n'aurais pas à m'inquiéter des fenêtres, trop petites et hautes pour permettre à quiconque de s'échapper. Seulement la porte – si je la bloquais, ils étaient piégés.

    Cela serait plus lent et plus compliqué, essayer de les prendre tous alors qu'ils seraient paniqués en train de se bousculer, au milieu du chaos. Assez de temps pour qu'il y ait beaucoup de cris. Quelqu'un entendrait… et je serais forcé de tuer encore plus d'innocents pendant cette heure sombre.

    Et son sang refroidirait pendant que je serais occupé à tuer les autres.

    L'odeur me punit, fermant ma gorge d'une douleur sèche…

    Les témoins d'abord, alors.

    Je me représentai mentalement la pièce. J'étais au milieu, dans la rangée la plus éloignée de la porte. Je m'occuperais du côté droit en premier. J'estimais pouvoir briser quatre ou cinq nuques par seconde. Cela ne ferait pas de bruit. Le côté droit aurait de la chance ; il ne me verrait pas venir. Le temps de faire toute la rangée de gauche, il me faudrait, au plus, cinq secondes pour mettre un terme à toutes les vies présentes dans le labo.

    Assez longtemps pour que Bella Swan voie brièvement ce qui allait lui arriver. Assez longtemps pour qu'elle ait peur. Assez longtemps, peut-être, si le choc ne la pétrifiait pas sur place, pour qu'elle pousse un cri. Un cri ténu qui ne ferait accourir personne.

    Je pris une profonde inspiration, et l'odeur fut un feu qui parcourut mes veines sèches, incendiant ma poitrine pour consumer toute parcelle de la bonté dont j'étais capable.

    Elle se retournait. Dans quelques secondes, elle ne se tiendrait qu'à quelques centimètres de moi.

    Le monstre dans ma tête sourit à l'avance.

    Quelqu'un ferma bruyamment son classeur  quelque part sur ma gauche. Je ne levai pas les yeux pour voir lequel de ces humains voués à disparaître était à la source du bruit. Mais le mouvement m'envoya une bouffée d'air ordinaire, dépourvu d'odeur.

    L'espace d'une seconde, je fus capable de réfléchir clairement. Pendant cette précieuse seconde, deux visages s'imposèrent à ma vue, côte à côte.

    L'un était le mien, ou plutôt ce qu'il avait un jour été : le monstre aux yeux  rouges qui avait tué tant de gens que j'avais cessé de les compter. Des meurtres rationnels, justifiés. Un tueur de tueurs, un tueur d'autres monstres moins puissants. C'était un complexe divin, je le reconnaissais – décider qui méritait la peine de mort. C'était un compromis auquel j'étais parvenu seul. Je me nourrissais de sang humain, mais seulement au sens le plus vague du terme. Mes victimes étaient, de par leurs passe-temps répugnants, à peine plus humaines que moi.

    L'autre était celui de Carlisle.

    Il n'y avait aucune ressemblance entre ces deux visages. Ils étaient le jour et la nuit.

    Il n'y avait d'ailleurs aucune raison pour qu'ils se ressemblassent. Carlisle n'était pas mon père au sens biologique du terme. Nous n'avions pas de points communs. La similarité de notre teint était le résultat de ce que nous étions ; tous les vampires avaient la même peau de glace. La ressemblance de la couleur de nos yeux avait une autre cause – le reflet d'un choix mutuel.

    Et en ce moment, alors qu'il n'y avait au départ aucun point commun entre nous, j'imaginai que mon visage avait commencé à ressembler au sien pendant les soixante-dix ans que j'avais passé à respecter son choix et suivre ses traces. Mes traits n'avaient pas changé, mais il me semblait à présent qu'un peu de sa sagesse marquait mon expression, qu'on pouvait retrouver une partie de sa compassion dans la forme de ma bouche, que des traces de sa patience se lisaient clairement sur mon front.

    Toutes ces subtiles améliorations étaient absentes du visage du monstre. Dans un moment, plus rien en moi ne reflèterait les années que j'avais passées avec mon créateur, mon mentor, mon père de toutes les façons possibles. Mes yeux rougeoieraient comme ceux d'un démon ; toute ressemblance serait perdue à jamais.

    Dans ma tête, les yeux pleins de bonté de Carlisle ne me jugeaient pas. Je savais qu'il me pardonnerait l'acte horrible que je m'apprêtais à faire. Parce qu'il m'aimait. Parce qu'il me croyait meilleur que je ne l'étais réellement. Et il continuerait à m'aimer, même si je lui prouvais bientôt qu'il avait tort.

    Bella Swan s'assit, ses mouvements raidis et maladroits – de peur ? – et l'odeur de son sang forma un nuage inexorable autour de moi.

    Je prouverais à mon père qu'il avait tort. La souffrance que cet acte lui causerait serait presque aussi douloureuse que la sécheresse dans ma gorge. Je m'éloignai d'elle par répulsion – révolté par le monstre qui brûlait de se saisir d'elle.

    Pourquoi était-elle venue ici ? Pourquoi  fallait-il qu'elle existe ? Pourquoi était-elle venue gâcher la paix que j'avais réussi à instaurer dans ma non-vie ?  Pourquoi cette exaspérante humaine était-elle née ? Elle me ruinerait.

    Je tournai mon visage vers l'extérieur de la table, sous l'effet d'une violence subite, une haine irraisonnée parcourant mon être tout entier.

    Qui était cette créature ? Pourquoi moi, pourquoi maintenant ? Pourquoi devais-je tout perdre simplement parce qu'elle avait choisi d'apparaître dans cette invraisemblable petite ville ?

    Pourquoi était-elle venue !

    Je ne voulais pas être un monstre ! Je ne voulais pas tuer cette pièce remplie d'adolescents sans défense ! Je ne voulais pas perdre tout ce que j'avais péniblement gagné au cours d'une vie de sacrifice et d'abnégation !

    Je ne le ferais pas. Elle ne pourrait pas m'y obliger.

    Son odeur était un problème, l'hideusement attirante odeur de son sang. S'il existait ne serait-ce qu'une façon de résister… Si seulement une autre bouffée d'air frais pouvait éclaircir ma tête une fois de plus.

    Bella Swan agita sa longue et épaisse chevelure acajou dans ma direction.

    Était-elle folle ? C'était comme si elle encourageait le monstre ! Comme si elle le tentait.

    Il n'y avait aucune brise amicale capable d'éloigner son odeur de moi à présent. Tout serait bientôt perdu.

    Non, il n'y avait aucune brise capable de m'aider. Mais je n'avais pas besoin de respirer.

    Je stoppai le flot d'air qui circulait dans mes poumons ; le soulagement fut instantané, mais incomplet. J'avais toujours le souvenir de son odeur dans la tête, son goût à l'arrière de ma langue. Même à ça je ne pourrais pas résister longtemps. Mais je pouvais peut-être résister une heure. Une heure. Juste assez pour sortir de cette pièce pleine de victimes, victimes qui finalement n'auraient peut-être pas à en être. Si je pouvais résister une petite heure.

    Ne pas respirer était un sentiment assez inconfortable. Mon corps n'avait pas besoin d'oxygène, mais cela allait à l'encontre de mes instincts. Je dépendais de mon odorat plus que de mes autres sens quand j'étais tendu. Il me guidait quand je chassais, il était le premier avertissement en cas de danger. Je n'étais pas souvent tombé sur une créature aussi dangereuse que moi, cependant mon instinct de conservation était aussi fort que celui de n'importe quel humain moyen. Inconfortable, mais raisonnable. Plus supportable que la sentir et ne pas planter mes dents dans cette peau douce, claire et translucide, ne pas pouvoir atteindre son sang chaud, bouillonnant et…

    Une heure ! Rien qu'une heure. Je ne devais pas penser à l'odeur, au goût.

    La fille, silencieuse, gardait ses cheveux entre nous, se penchant tant qu'ils touchaient son cahier. Je ne pouvais pas voir son visage, ne pouvais pas lire ses émotions dans ses profonds yeux clairs. Était-ce pour cela qu'elle avait déployé ses longues boucles entre nous ? Pour me cacher ses yeux ? Par peur ? Timidité ? Pour garder ses secrets loin de moi ?

    Mon ancienne irritation, celle de ne pas pouvoir lire ses pensées, n'était plus rien en comparaison du besoin – et de la haine – qui me possédaient désormais. Car je haïssais cette frêle femme-enfant à côté de moi, je la haïssais de toute la ferveur avec laquelle je m'accrochais à mon ancien moi, à ma famille, à mes rêves d'être quelqu'un de meilleur que ce que j'étais…

    Je la haïssais, je haïssais ce qu'elle me faisait ressentir – cela m'aidait un peu. Oui, l'irritation que j'avais ressentie avant était faible, mais elle aidait cependant. Je m'accrochais à chaque émotion qui me distrairait de la pensée du goût qu'elle aurait…

    Haine et irritation. Impatience. L'heure ne passerait-elle donc jamais ?

    Et quand elle serait terminée…Elle sortirait de la pièce. Que ferais-je alors ?

    Je pourrais me présenter. Bonjour, je m'appelle Edward Cullen. Je peux t'accompagner vers ton prochain cours ?

    Elle dirait oui. Ce serait la chose la plus polie à faire. Même si elle me craignait déjà, comme je le suspectais, elle suivrait les conventions et marcherait avec moi. Il serait assez simple de l'entraîner dans la mauvaise direction. Une partie de la forêt s'avançait près des bâtiments, atteignant le coin le plus éloigné du parking. Je pourrais lui dire que j'avais oublié un livre dans ma voiture…

    Quelqu'un remarquerait-il que j'étais la dernière personne avec laquelle on l'avait aperçue ? Il pleuvait, comme d'habitude ; deux imperméables sombres ne piqueraient pas trop la curiosité des autres, et ne risquaient pas de me trahir.

    Sauf que je n'étais pas le seul élève qui s'intéressait à elle aujourd'hui – bien que personne ne soit aussi intensément captivé. Mike Newton, en particulier, était conscient de chaque changement dans ses appuis quand elle remuait sa chaise – elle était mal à l'aise trop près de moi, comme tout le monde, comme ce à quoi je m'étais attendu avant que son odeur ne détruise toutes mes préoccupations charitables. Mike Newton remarquerait qu'elle quittait la classe avec moi.

    Si je pouvais attendre une heure, pouvais-je en attendre deux ?

    Je tressaillis à la douleur que me causait la brûlure.

    Elle rentrerait chez elle, et sa maison serait vide. Le chef Swan travaillait tard le soir. Je savais où elle se trouvait, tout comme je savais où habitait chacun dans cette ville minuscule. Sa maison était nichée tout contre un petit bois, sans voisins proches. Même si elle avait le temps de crier, ce qui n'arriverait pas, personne ne l'entendrait.

    Cela serait une façon raisonnable d'agir. Je m'en étais sorti sept décennies sans sang humain, je pouvais bien résister une heure. Et quand je serais seul avec elle, il n'y aurait plus aucun risque que je blesse quelqu'un d'autre. Et pas besoin de te hâter alors que tu as tant d'expérience, acquiesça le monstre dans ma tête.

    Il était stupide de penser qu'en sauvant les dix-neuf humains dans cette pièce grâce à mes efforts patients, je serais moins monstrueux au moment de tuer cette fille innocente.

    Bien que je la haïsse, je savais que ma haine était injuste. Je savais que ce que je détestais était en réalité moi-même. Et je nous haïrais tous deux tellement plus quand elle serait morte…

    Je passai l'heure ainsi – à imaginer les meilleures façons de la tuer. J'essayai d'éviter d'imaginer l'acte lui-même. Cela aurait été trop pour moi ; je risquais de perdre cette bataille et de finir par tuer tous ceux qui se trouvaient dans la salle. Je ne planifiais que ma stratégie, rien de plus. Cela m'aida à supporter l'heure.

    À un moment, vers la fin du cours, elle me jeta un coup d'œil à travers la tenture fluide de ses cheveux. Je pus sentir la haine injustifiée qui me brûlait quand je croisai son regard – je vis mon reflet dans ses yeux effrayés. Le sang monta à ses joues avant qu'elle puisse s'abriter à nouveau derrière son rideau, et je faillis succomber.

    Mais la sonnerie retentit. Sauvé par le gong – quel cliché. Nous étions tous les deux sauvés. Elle, sauvée de la mort. Moi, sauvé pour un court moment de l'obligation de redevenir la créature cauchemardesque que je redoutais et méprisais.

    Je ne parvins pas à garder une allure humaine tant j'avais hâte de sortir de la salle. Si quelqu'un m'avait regardé, il aurait sûrement remarqué qu'il y avait quelque chose d'anormal quant à la façon dont je me déplaçais. Mais personne ne faisait attention à moi. Toutes les pensées humaines continuaient à graviter autour de la fille qui était condamnée à mourir dans un peu plus d'une heure.

    Je me cachai dans ma voiture.

    Je n'aimais pas penser que je devais me cacher. Ça sonnait tellement lâche. Mais c'était incontestablement le cas.

    Je n'avais pas assez d'emprise sur moi-même pour pouvoir m'approcher d'humains sans danger. Fournir autant d'efforts afin d'épargner l'un d'entre eux ne me laissait pas assez de ressources pour résister aux autres. Quel gâchis ce serait. Si je devais céder au monstre, autant que ma défaite en vaille la peine.

    Je mis en route un CD qui d'ordinaire me calmait, mais en ce moment il était inefficace. Non, ce qui m'aidait le plus à présent, c'était l'air frais et nettoyé par la pluie fine que j'inspirai profondément par ma fenêtre ouverte. Bien que je me rappelasse parfaitement l'odeur enivrante de Bella Swan, cet air propre me faisait l'effet d'une douche qui débarrassait mon corps de cette infection.

    J'étais à nouveau sain d'esprit. Je pouvais à nouveau penser. Et je pouvais à nouveau me battre. Me battre contre ce que je ne voulais pas être.

    Je n'étais pas obligé d'aller chez elle. Je n'étais pas obligé de la tuer. Évidemment, j'étais une créature rationnelle et pensante, et j'avais le choix. On avait toujours le choix.

    Je ne m'étais pas senti comme ça dans la classe… mais j'étais loin d'elle à présent. Peut-être, si je l'évitais très, très prudemment, n'aurais-je rien à changer à ma vie. Tout allait comme je le désirais. Pourquoi devrais-je laisser cette exaspérante et délicieuse anonyme tout ruiner ?

    Je n'étais pas obligé de décevoir mon père. Je n'étais pas obligé de causer à ma mère de l'inquiétude, de l'embarras… de la tristesse. Oui, cela blesserait également ma mère adoptive. Et Esmée était si gentille, si douce et aimante. Faire de la peine à quelqu'un comme elle était absolument inexcusable.

    Quelle ironie que j'eusse voulu protéger cette fille de la menace dérisoire et inoffensive que représentaient les pensées sarcastiques de Jessica ! J'étais la dernière personne qui se comporterait comme un protecteur envers Bella Swan. Elle n'aurait jamais besoin d'autant de protection que celle dont elle avait besoin contre moi.

    Où était Alice ? me demandai-je soudain. Ne m'avait-elle pas vu tuer la fille Swan de multiples façons ? Pourquoi n'était-elle pas venue aider – pour m'arrêter ou m'aider à effacer les traces de l'évidence, qu'importe ? Était-elle si absorbée par sa surveillance du futur de Jasper qu'elle n'avait pas perçu l'évènement bien plus grave qui risquait d'arriver ? Étais-je plus fort que je ne le croyais ? Ne ferais-je donc rien à la fille ?

    Non. Je savais que ce n'était pas vrai. Alice devait être concentrée sur Jasper de toutes ses forces. Je cherchai dans la direction dans laquelle je savais qu'elle était, dans le petit bâtiment qui abritait les salles d'anglais. Il ne me fallut pas longtemps pour localiser sa « voix » familière. Et j'avais raison. Toutes ses pensées étaient tournées vers Jasper, scrutant avec attention chaque minute de son futur.

    Je souhaitais qu'elle me donne un conseil, mais en même temps, j'étais heureux qu'elle ne sache pas ce dont j'étais capable. Qu'elle n'ait pas connaissance du massacre que j'avais projeté une heure auparavant.

    Je sentis une nouvelle brûlure en moi – celle de la honte. Je ne voulais pas qu'ils sachent.

    Si je pouvais éviter Bella Swan, si je pouvais m'arranger pour ne pas la tuer – alors que je pensais cela, le monstre dans mon ventre se tordit et grinça des dents – personne n'aurait besoin de savoir. Si je pouvais rester loin de son odeur…

    Il n'y avait aucune raison pour que je n'essaye pas. Pour que je fasse le bon choix. Que je tente d'être ce que Carlisle pensait que j'étais.

    La dernière heure touchait à sa fin. Je décidai de mettre mon plan en action. Cela valait mieux que rester sur le parking où elle risquait de passer et de ruiner toutes mes tentatives. Je ressentis encore cette haine injustifiée envers la fille. Je détestais qu'elle ait ce pouvoir inconscient sur moi. Qu'elle puisse m'obliger à être quelque chose que je ne supportais pas.

    Je me dirigeai vivement – un peu trop vivement, mais il n'y avait pas de témoins – vers l'accueil du lycée. Il n'y avait aucune raison pour que Bella Swan croise mon chemin. Je l'éviterais comme le fléau qu'elle était.

    Il n'y avait personne à l'accueil à part la secrétaire, celle que je voulais voir.

    Elle ne remarqua pas mon entrée silencieuse.

    - Mme Cope ?

    La femme aux cheveux d'un rouge artificiel leva la tête et ses yeux s'agrandirent. Cela les mettait toujours sur leurs gardes, ces petits signes qu'ils ne comprenaient pas, quel que soit le nombre de fois qu'ils avaient vu l'un d'entre nous auparavant.

    - Oh, fit-elle, le souffle coupé et un peu troublée.

    Elle tira sur son tee-shirt. Stupide, pensa-t-elle. Il a quasiment l'âge d'être mon fils. Trop jeune pour penser à lui comme ça…

    - Bonjour, Edward. Que puis-je faire pour toi ?

    Ses cils battirent derrière ses épaisses lunettes.

    Mal à l'aise. Mais je savais me montrer charmant quand je le désirais. C'était simple, dès lors que je savais ce qu'ils pensaient de mes gestes ou de mes intonations.

    Je me baissai vers elle, la regardant comme si j'étais ensorcelé par ses yeux marron terne. Ses pensées se troublaient déjà. Ce serait facile.

    - Je me demandais si vous pouviez m'aider à propos de mon emploi du temps, dis-je de ma voix la plus douce, celle que j'utilisais pour ne pas effrayer les humains.

    J'entendis son rythme cardiaque s'affoler.

    - Bien sûr, Edward, comment puis-je t'aider ?  

    Trop jeune, trop jeune, se répétait-elle. Elle avait tout faux, bien entendu. J'étais plus âgé que son grand-père. Mais si on s'en tenait à mon permis de conduire, elle avait raison.

    - Je me demandais s'il était possible d'échanger mon cours de biologie avec une matière de niveau terminale. Peut-être la physique ?

    - As-tu un problème avec M. Banner, Edward ?

    - Non, pas du tout, c'est juste que j'ai déjà étudié ce qu'on fait en ce moment, alors…

    - Dans cette école avancée dans laquelle tu étais en Alaska, c'est bien ça ?

    Elle pinça ses fines lèvres en disant cela. Ils devraient tous être à l'université. J'ai entendu les professeurs se plaindre. Parfaits en tous points, jamais une réponse hésitante, jamais une faute aux contrôles – comme s'ils avaient trouvé un moyen de tricher dans toutes les matières. M. Varner préférerait croire qu'on triche plutôt que d'admettre qu'un élève est plus intelligent que lui… Je parie que leur mère leur paye des cours particuliers…

    - En fait, Edward, la classe de physique est pleine. M. Banner n'aime pas avoir plus de vingt-cinq élèves en même temps.

    - Je ne dérangerai personne.

    Bien sûr que non. Pas un parfait Cullen.

    - Je le sais, Edward, mais il n'y aura pas assez de sièges et…

    - Je pourrais peut-être laisser tomber cette matière, alors. J'utiliserai ce temps libre pour étudier seul.

    - Laisser tomber la biologie ? 

    Elle resta bouche bée. C'est n'importe quoi. Quel problème pourrait-il avoir à étudier un sujet qu'il connaît déjà ? Il doit y avoir un problème avec M. Banner. Je devrais peut-être en parler à Bob…

    - Tu n'auras pas assez de points pour obtenir ton diplôme.

    - Je rattraperai l'année prochaine.

    - Tu devrais peut-être en parler à tes parents.

    La porte s'ouvrit derrière moi, mais qui que ce soit il ne pensa pas à moi, je ne m'en préoccupai donc pas et me concentrai sur Mme Cope. Je me rapprochai légèrement, et agrandis un peu mes yeux. Cela marchait d'ordinaire mieux quand ils étaient dorés. La noirceur faisait peur aux gens, à juste titre.

    - Je vous en prie, Mme Cope.

    Je rendis ma voie aussi onctueuse et persuasive que possible – et elle pouvait être très persuasive.

    - N'y a-t-il aucune autre matière avec laquelle je pourrais échanger ? Il doit bien y avoir un autre horaire disponible ? Il n'y a tout de même pas qu'un cours de deux à trois heures…

    Je lui souris, faisant attention à ne pas trop découvrir mes dents pour ne pas l'effrayer, laissant mon expression adoucir mon visage.

    Son rythme cardiaque s'emballa. Trop jeune, se rappela-t-elle frénétiquement.

    - Eh bien, peut-être pourrai-je parler à Bob – je veux dire M. Banner. Je verrai si…

    Il ne fallut qu'une seconde pour tout changer ; l'atmosphère dans la pièce, ma mission ici, la raison pour laquelle je m'étais penché vers la femme aux cheveux rouges… Ce que j'avais accompli dans un but précis se détourna vers un autre.

    Il ne fallut qu'une seconde à Samantha Wells pour ouvrir la porte et jeter son billet de retard dans la corbeille près de l'entrée, puis se précipiter dehors, dans sa hâte de quitter le lycée. Il ne fallut qu'une seconde pour que la soudaine bourrasque de vent s'engouffre dans mes narines. Il ne me fallut qu'une seconde pour réaliser pourquoi le premier arrivant ne m'avait pas dérangé avec ses pensées.

    Je me retournai, bien que je n'eusse pas besoin de vérifier. Je pivotai lentement, luttant pour garder le contrôle sur mes muscles qui se rebellaient.

    Bella Swan se tenait à l'entrée du bureau, son sac adossé au mur, une feuille de papier serrée fort entre ses doigts. Ses yeux s'agrandirent encore plus quand elle croisa mon regard féroce et inhumain.

    L'odeur de son sang satura chaque particule d'air dans la pièce étroite et surchauffée. Ma gorge s'enflamma.

    Le monstre me jeta à nouveau un regard furieux depuis ses prunelles, masque démoniaque.

    Ma main hésita dans l'air au-dessus du comptoir. Je n'aurais pas besoin de regarder où se trouvait Mme Cope avant de l'escalader et d'aplatir sa tête avec tant de force que cela la tuerait. Deux vies, au lieu de vingt. Un échange.

    Le monstre affamé attendait anxieusement que je le fasse.

    Mais on avait toujours le choix – on devait l'avoir.

    Je stoppai le mouvement de mes poumons, et fixai le visage de Carlisle devant mes yeux. Je me retournai vers Mme Cope, et entendis sa surprise interne devant le brusque changement de mon expression. Elle recula loin de moi, mais sa peur ne prit pas forme de mots cohérents.

    Utilisant tout le contrôle que j'avais acquis pendant des décennies d'abnégation, je rendis ma voix douce et égale.

    - Tant pis. C'est impossible, et je comprends. Merci quand même.

    Je tournai les talons et m'élançai à l'extérieur, essayant de ne pas sentir la chaleur du sang de la fille alors que je ne passais qu'à quelques centimètres d'elle.

    Je ne m'arrêtai pas avant d'être arrivé dans ma voiture, bougeant trop vite pendant tout le trajet. La plupart des humains avaient déjà quitté les lieux, il n'y avait donc plus beaucoup de témoins. J'entendis un élève de seconde, D.J. Garrett, me remarquer, puis me chasser de ses pensées.

    D'où est arrivé Cullen – c'est comme si il était sorti de nulle part… Voilà que je me laisse emporter par mon imagination encore une fois. Maman me dit toujours…

    Quand je me glissai dans ma Volvo, les autres y étaient déjà. J'essayai de contrôler ma respiration, mais je haletais comme si j'étais en train d'étouffer.

    - Edward ? me demanda Alice, alarmée.

    Je secouai la tête.

    - Bon sang, qu'est-ce qui t'est arrivé ? s'enquit Emmett, pour le moment distrait du fait que Jasper ne soit pas d'humeur à lui accorder sa revanche.

    Au lieu de répondre, je démarrai la voiture en marche arrière. Je devais partir de là avant que Bella Swan puisse m'y suivre aussi. Mon démon personnel, celui qui me hantait… Je fis demi-tour et accélérai. Je passai la quatrième avant d'arriver sur la route. Une fois dessus, je mis la cinquième avant d'en tourner le coin.

    Sans regarder, je sus que Rosalie, Emmett et Jasper s'étaient tous tournés vers Alice. Elle haussa les épaules. Elle ne pouvait pas voir ce qui s'était passé, seulement ce qui allait arriver.

    À présent, elle cherchait dans mon futur. Nous vîmes en même temps ce qui défilait dans sa tête, et nous fûmes aussi surpris l'un que l'autre.

    - Tu t'en vas ? murmura-t-elle.

    Les autres avaient les yeux fixés sur moi.

    - Vraiment ? sifflai-je entre mes dents.

    Elle vit alors mon futur changer brutalement, le choix que je venais de prendre l'entraînant dans une direction bien plus sombre.

    - Oh.

    Bella Swan, morte. Mes yeux, rendus cramoisis par le sang frais. Les recherches que cela entraînerait. Le temps nécessaire qu'il nous faudrait attendre avant de pouvoir à nouveau nous montrer au grand jour et tout recommencer…

    - Oh, répéta-t-elle.

    La vision devint plus nette. Je voyais l'intérieur de la maison du chef Swan pour la première fois, voyais Bella dans une petite cuisine aux placards jaunes, le dos qu'elle m'offrait alors que je la traquais depuis les ténèbres…son odeur m'attirant irrépressiblement…

    - Stop ! grondai-je, incapable d'en supporter plus.

    - Désolée, murmura-t-elle, les yeux grands ouverts.

    Le monstre se réjouit.

    Et la vision dans sa tête changea à nouveau. Une autoroute vide, de nuit, les arbres qui la bordaient couverts de neige, moi filant à la vitesse de l'éclair, dépassant allègrement les deux cent kilomètres à l'heure.

    - Tu me manqueras, me déclara-t-elle. Même si tu ne pars pas longtemps.

    Emmett et Rosalie échangèrent un long regard d'appréhension.

    Nous étions presque arrivés à la longue allée qui menait chez nous.

    - Dépose-nous là, ordonna-t-elle. Mais tu devrais le dire à Carlisle toi-même.

    J'acquiesçai et arrêtai la voiture dans un crissement de pneus.

    Emmett, Rosalie et Jasper sortirent en silence ; ils demanderaient à Alice de s'expliquer une fois que je serais parti. Alice pressa mon épaule.

    - Tu feras ce qu'il faut, m'assura-t-elle.

    Pas une vision cette fois – un ordre.

    - Elle est la seule famille de Charlie Swan. Ça le tuerait aussi.

    - Oui, répondis-je, d'accord seulement avec la dernière partie.

    Elle se glissa dehors pour rejoindre les autres, les sourcils froncés par l'anxiété. Ils se fondirent dans les bois, hors de vue avant que j'aie effectué mon demi-tour.

    J'accélérai en retournant vers la ville, sachant que les visions d'Alice passeraient des ténèbres à la lumière, en flashes incessants. Tandis que j'entrais dans Forks, frôlant les cent cinquante kilomètres heure, je n'étais pas vraiment sûr de la direction que je prendrais ensuite. Irais-je à l'hôpital dire au revoir à mon père ? Ou faire ce que me dictait le monstre en moi ? La route s'envola sous mes pneus.


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  • Révélation:

      Bella est inquiète, quelle sera la réaction de Charlie? Edward la pousse à lui annoncer, et finalement, Charlie est d'accord. Les invitations sont lancées, et Alice supervise tout pour le mariage! Robe, chaussures, fleurs, bancs, buffet, tout est passé au peigne fin!!

      Bella n'avait pas de raisons de s'inquieter, son mariage est parfait, on en rêverait !!! Juste le temps de se changer, et Bella et son nouvel époux partent en avion pour une destination secrète. Après un long voyage, Bella découvre l'Ile d'Esmé !!! Une magnifique petite ile près de l'amérique du Sud. Les deux amoureux vont se baigner, et ... bref, vous savez quoi. Tout va pour le mieux, mais Bella est de plus en plus fatiguée... Et un beau jour, elle découvre perplexe qu'elle attend un enfant. Edward, affolé appelle Carlisle, il veut se débarrasser de ce "monstre" le plus rapidement possible. mais Bella refuse, et pour la première fois, elle s'appuie sur Rosalie.

      Mais le bébé grandit, de plus en plus, et Bella est vidée d'énergie... Elle boit du sang pour nourrir le bébé vampire... Mais voilà, il commence à naiitre !!!! Edward se trouve obligé de faire une sésarienne, mais Bella se meurt... Le venin de vampire va-t-il la sauver à temps?

      Oui. Après deux jours d'inconscience, Bella ouvre les yeux. Elle découvre les mille détails qu'elle n'avait jamais vus, avecses yeux d'humaine. Après d'émouvantes retrouvailles, Bella doit aller chasser. Au beau milieu de sa chasse, elle sent l'odeur d'un humain. Elle commencepar le poursuivre puis renonce. Ce qui est incroyable de la part d'un vampire aussi jeune.

      De retour chez les Cullen, Bella rencontre son incroyable petite fille Renesmée. D'un seul toucher, la petite fille de 1metre malgré ses trois jours, transmet ce qu'elle ressent... Maintenant,Alice offre a Bella pour son anniversaire, une charmante maison, que Bella va visiter avec son beau mari. La maison est parfaite, et le couple s'empresse d'essayer le lit. Le lendemain, les jeunes tourtereaux sont exposés aux railleries d'Emmett...

    Mais ce n'est pas important, le problème est que Jacob s'est impregné de Renesmée, et cela ne plait pas vraiment à la jeune Bella... Second problème, Charlie s'inquiete pour sa fille. Finalement, ils se voient et Charlie découvre sa petite fille!!

      Troisième problème, Renesmée grandit a vue d'oeil, et carlisle ne sait pas ce qui se passera. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, Irina, une des soeurs Denali, a ptis Renesmée pour une enfant immortelle... Ce que les Volturi n'accepteront pas.

    S'engage maintenant une course aux témoins, pour sauver Renesmée et sa famille. En même temps, Bella découvre son pouvoir, et à s'en servir; Elle est un bouclier contre les dons vampiriques... Et puis, jasper et Alice ont disparu, laissant une adresse. Bella y va, et prend des faux papiers pour sa fille et de celui que  l'on pourrait appeler son "gendre".

      Les Volturi arrivent, les chefs et leur garde. S'engage un grand débat. Renesmée n'est pas un enfant immortel, mais représente-t-elle un danger ??? Non! Alice arrive a temps avec son témoin, qui est comme Renesmée, un certain Nahuel. A court de motif de tuerie, les nombreux Volturi repartent, en laissant les Cullen et leurs alliés prêts à la bataille s'il l'avait fallu, en paix.

      Et c'est ainsi Cullen purent enfin vivre en paix, pour l'éternité.

     

      Forever

    L'équipe de rédaction

     

    Ps : pour le résumé détaillé bien drôles des 2 parties cinématographiques d'un non-fan, cliquez à cet endroit(part.1) et ici pour la partie 2 


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  •  Hésitation:

    Bella hésite à épouser Edward, elle réfléchit (oui je sais, moi aussi à sa place je n'aurais pas hésité une seconde). De plus, depuis sa fuite pour sauver son Roméo, Charlie ne veut plus qu'elle sorte, et surtout il voudrait qu'elle choisisse Jacob, "un bon garçon" ...Bella est divisée entre sa grande amitié avec jacob, son naturel, ou avec Edward, ténébreux vampire. Mais quelque chose de grave se trame. Les Cullen essaient de mettre Bella à l'écart,et l'envoient avec son Roméo en Floride, chez sa mère. Mais à son retour Bella apprend par Jacob que Victoria la cherche toujours, pour venger James.

      De plus en plus de meurtres à Seattle... Etrange. Des voitures en feu, une bonne somme de gens disparus. Bizarre. Certaines affaires de Bella disparaissent, une odeur de vampire inconnue dans sa maison. Quelqu'un va attaquer. Mais les Cullen préparent une contre-attaque. Sous l'oeil de Jasper, les Cullen s'entrainent, et décident même de faire une alliance avec les loups.

      Le jour J approche, l'occasion de tuer Victoria aussi.

      Ce soir, Bella va dormir chez Alice, Charlie est d'accord. En fait, il n'y aura que Edward et Bella. Bella aimerait profiter de cette liberté avec son compagnon pour aller plus loin que le simple baiser, mais Edward la redemande en mariage de manière spectaculaire. Et cette fois est la bonne : Bella elle accepte, anffilant la magnifique bague de fiançailles.

      Ca y est, c'est la grande bataille. Les vampires nouveaux-nés arrivent déchainés, excités par l'odeur du sang de Bella, plus puissants que jamais grâce aux sang humain s'attardant encore dans leurs veines. mais ils sont désorganisés, et disparaissent un a un, sous les puissants coups expérimentés.

      Pendant ce temps la, Edward et Bella campent plus haut en montagne. Ce premier essaie de tuer Victoria lorsque celle-ci les retrouve. Il manque de mourir, mais une diversion de Seth et une poussée d'adrénaline produite par Bella réussit à la tuer.

    Un des vampires nouveaux-nés, Bree, se rend. les Cullen attendent les Volturis pour décider... Et ces Volturis refusent catégoriquement. L'heure est venue pour la petite Bree de mourir, en étant d'abord obligée de réveler certaines informations.

      Bella va annoncer a son père son mariage, et jacob s'en va à qquatre pattes, en laissant sont passé derrière lui...

         

    L'Appel du sang, retraçe la vie de Bree Tanner

    L'équipe de rédaction

     

    La révélation dans Révélation !!!

     

    Ps : Si vous souhaitez avoir un résumé du film du point de vue d'un non-fan mais qui fait rire, cliquez Odieuxconnard.wordpress.com .


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  •    Tentation:

    Résumé du livre si triste...

     

        Une nouvelle année démarre pour Edward et sa belle. Ils se sont arrangés pour avoir plus de cours en commun, et passent beaucoup de temps ensembles.

         L'anniversaire de Bella approche à grands pas. Et Alice a déjà tout préparé!! Bella, qui déteste les anniversaires, n'a pas d'autres choix que de venir... La soirée débute bien, séance photo, gâteau magnifique, puis les cadeaux arrivent. Bella entreprend d'en ouvrir un, mais elle se coupe. Une goute de sang coule. Mais cela suffit à rendre Jasper fou, et manque de la tuer. Heureusement, le reste de la famille l'en empêche. Mais ce petit incident pousse Edward à faire quelque chose d'affreux. Affreux... A suivre !!! Non, ne vous inquiétez pas, voici la suite !!! Edward... fait ses adieux à Bella.

                                           Elle ne le verra plus. Plus jamais. Il part de sa vie.

       Bella n'encaisse pas le choc.

    OCTOBRE.

    NOVEMBRE.

    DECEMBRE.

    JANVIER.

       Les mois passent, Bella est en transe. IL lui manque. IL est parti. IL lui manque. Charlie la pousse à prendre de la hauteur. Elle se jette désespérement dans l'amitié de Jacob. Elle reste beaucoup avec lui. Avec lui, elle ne pense plus à ... Non, elle ne peut pas penser à ce nom.

       Mais elle découvre la puissance de l'adrénaline, qui lui permet d'avoir des hallucinations, elle entend la voix d'Edward. Elle se met alors à maintes reprises gravement en danger. Jusqu'au jour où elle saute d'une falaise. Et Alice la voit. Edward aussi, via Alice. Non. Pas ça. NOOON !! Bella ne peut pas être morte. Edward ne peut pas supporter cela. Reste à aller voir les Volturi, puissants vampires dirigeants. Si il commet une faute, il mourra. Tant mieux. C'est mieux ainsi; il se prépare à commettre l'erreur fatale, mais Bella, mise au courant par Alice, vient le sauver. Mais les volturis découvrent qu'elle SAIT ... Que se passera-t-il ? Vont ils tuer Bella? Ou la transformer ??? A suivre dans Hésitation les amies!!!

    L'équipe de rédaction

     

    Ps : Si vous souhaitez avoir un résumé du film du point de vue d'un non-fan mais qui fait rire, cliquez .

     


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